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SUBCONSCIENT ET INCONSCIENT

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d’avouer plus clairement, sinon plus candidement, l’irréductibilité foncière de la pensée aux mouvements organiques dont elle peut dépendre ou, d’une manière générale, sa transcendance absolue à l’égard de la matière ? Car tel est, en définitive, le vrai sens de cette étrange théorie, ou, pour mieux dire, telle est la seule manière de lui en conserver un. Ce n’est pas notre faute si, pour finir, il se retourne contre elle, l’nefois de plus, mentitus est materialismus sibi.

B. — L’inconscient psychologique.

i. Le problème. Précision préliminaire. — Est-ce à dire que la conscience constitue par elle-même un < lément essentiel ou intégrant de l’activité psychologique en tant que telle ? Elle n’est pas l’éclairage accidentel et intermittent d’une série physique, voilà qui est acquis ; mais (pour parler la même langue) d’une série mentale ? Remarquons avec soin que cette autre hypothèse n’a plus rien, de soi, dont la saine philosophie ne trouve moyen de s’accommoder. A preuve, l’attitude prise à cet égard par nombre de représentants actuels de l’Ecole, et non des moins qualifiés (cf. art. Religion, col. go3). Et cela se conçoit sans peine. Que le spiritualisme cartésien ou éclectique, avec sa notion d’une âme « dont toute la substance est de penser », ait pour conséquence inévitable que rien ne se puisse passer en elle dont elle ne s’aperçoive ipso facto, soit’ ; mais il en va tout autrement de l’animisme traditionnel, où elle est le principe unique de toute la vie humaine, même organique : l’idée d’une activité psychique étrangère à la conscience devient ainsi tout ce qu’il y a de moins irrecevable. — Activité en travail, au surplus, et comme éveillée. Car le problème peut être énoncé en termes plus précis, et c’est par où cette position de la philosophie traditionnelle ne fera, ou l’on se trompe étrangement, que se fortifier encore.

Nous parlons désormais de faits intérieurs, en laissant de côté, règle générale, leurs conditions physiologiques, mais de faits, notons-le derechef et plus soigneusement que jamais même, de faits, ou de mise en œuvre effective de quelqu’une de nos puissances mentales. Il résulte aussitôt de là que, raisonnablement, on doit éliminer du débat, sans autre forme de procès ou presque, tout ce qui dans l’espèce relève de la virtualité pure et qui, en toute rigueur, est beaucoup moins « fait », entendu à la lettre (soit action, soit passion), que principe du fait, situé pour ainsi dire sur un autre plan de réalité que le fait lui-même — disons mieux : ce qui n’est pas « fait », mais principe du fait, appartenant à une autre catégorie ou détermination de l’être.

« Nos inclinations, écrit un contemporain, nos

instincts et nos tendances nous échappent, tant qu’ils ne sont pas actualisés dans des représentations et des actes. Tout ce qui est virtuel en nous est inconscient (E. Baudin, Psychologie, p. i 4-5). » A coup sur, mais aussi bien n’est-ce que virtuel, à savoir ce qui, ayant existé à titre de fait psychologique, peut exister de nouveau au même titre, ou ce qui peut simplement exister à ce titre, sans y avoir existé encore. Mais s’il ne s’agit que de ce qui peut donner lieu à un fait ou étal intérieur (par voie de production première ou de restauration) sans y donner lieu actuellement (encore une fois c’est à quoi revient ici virtualité), il paraît bien qu’on doive, en bonne logique, renoncer à s’en prévaloir, lorsque la discussion porte précisément sur le fait

1. Encore y aurait-Il lieu de réserver le cas de Leibniz et de sa théorie des « petites perceptions » (sans n aperception »).

intérieur et ne porte que sur lui. On ne tardera pas à mesurer l’importance de cette simple observation 1.

2. La thèse affirmative. — Y a-t-il donc des phénomènes psychologiques auxquels on ait le droit d’appliquer le qualificatif d’inconscients (au sen6 fort) ; autrement dit. y a-t-il, peut-il y avoir en nous des émotions, des sensations, des pensées, des jugements, des raisonnements même, etc., que nous aurions ou ferions sans le savoir, entendez : sans le savoir d’aucune façon, si rudimentaire, si embryonnaire, si nucléaire que ce soit ? Encore une fois, nombre d’auteurs répondent sans hésiter (pue oui.

Non pas sans doute que ces phénomènes psychologiques inconscients se révèlent en eux-mêmes et par eux-mêmes à l’observation, à l’observation savante du moins, cela serait contradictoire, l’observation se trouvant être ici la conscience même, réfléchie et analytique : seulement ils sont exigés, dit-on, pour l’explication d’autres phénomènes, immédiatement constatés, eux, et qui demeurent inintelligibles aussi longtemps qu’on n’admet pas les premiers. Soit v. g. la reviviscence des sensations passées ; elle emporte manifestement que les dites sensations se sont conservées jusque là, et donc, puisqu’on ne les perçoit alors d’aucune manière, à l’état inconscient. De même, je n’ai pas conscience du travail de rumination ou de maturation secrète par lequel, dans les intervalles qui séparent les périodes d’application actuelle, je continue d’élaborer telle théorie que je vise à mettre sur pied, ou d’amener à terme la solution de tel problème : je suis bien obligé pourtant de convenir que ce travail ignoré a effectivement lieu, puisqu’il arrive que, mon attention s’y portant de nouveau, je retrouve l’affaire non pas au point où je l’avais abandonnée la dernière fois, mais singulièrement avancée sinon liquidée sur toute la ligne.

L’existence de faits psychologiques inconscients deviendrait de la sorte aussi certaine que l’est pour chacun de nous celle de la pensée chez les autres hommes, que nous ne saisissons pas non plus en elle-même. Quelque chose, enfin, comme les aSri/.a. de l’écoleépicurienne, objet des im(vota.t ou des ùjroOiaiit, réalités inaccessibles de soi à toute expérience et qu’on n’atteint que par la pointe du raisonnement s’attachantà interpréter le donné empirique, tels les atomes et le vide ; ou, pour choisir un terme de comparaison plus moderne, comme l’éther, ce milieu élastique dont, il y a une vingtaine d’années encore, les physiciens s’accordaient à reconnaître l’existence, parce qu’il ne leur semblait pas qu’on pût rendre compte autrement des phénomènes enregistrés par la science’-.

3. Critique, l^aits proprement dits vu virtualités correspondantes ? — Le problème reste pourtant, et tout entier, de savoir si ce qu’on est logiquement contraint de supposer alors, ce sont des faits, précisément (n’oublions pas que là même réside le point

1. A ce propos relevons dans l’ouvrage précité les lignes suivantes ; « Les idées claires, dit Joubert, non ? servent a penser ; mais c’est toujours par quelques idées confuses que nous agissons, ce sont elles qui mènent la vie. Et ces idées enveloppent l’infini des forces inconscientes. » (p. 115). Quoi qu’il en puisse être du mot de Joubert, et de sa parfaite justesse, les idées confuses ne laissent pas d’être conscientes en elles-même à quelque degré, qu’elles enveloppent ou non des forces inconscientes. Mais les idées les plus claires (ou les plus distinctes), en enveloppent aussi, ne fût-ce que les facultés qu’elles mettent en jeu et dont nous n’avons pas non plus conscience en tant que telles.

2. Un terme de comparaison tout à fait contemporain nous serait fourni par les micelles et les bactériophages, dans la théorie de M. d’Hérelle.