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SUBCONSCIENT ET INCONSCIENT

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l’œuvre d’un Newton, qui déclarait pourtant n’avoir découvert la gravitation universelle qu’  « en y pen-Bant toujours » ; ou celle d’un Kepler, recommençant vingt fois ses calculs avant de trouver, à la pointe du raisonnement mathématique, la loi des orbites planétaires : qui accordera jamais qu’au cours de dé luctions si prodigieusement complexes, l’aperception des rapports logiques n’y fût qu’un luxe ? A qui fera-t-on croire, pour emprunter un autre exemple à l’esthétique, que la seule danse des cellules cérébrales dans la tête d’un Wagner, sans conscience, sans réflexion d’aucune sorte, eût pu aboutir d’elle-même à cette merveille d’orchestration qui s’appelle la chevauchée des Walkyries ? Jamais supposition plus fantastique n’a hanté l’imagination la plus délirante… C’est le cas de rappeler le mot de Vacherot à propos del’évolutionisme mécaniste et matérialiste : « un prodigieux effort de j l’esprit pour nier l’esprit ».

Nous aimerions encore mieux, à ce compte, la fiction inverse, la fiction idéaliste, qui, tout irrecevable qu’elle s’accuse en dernière analyse, a pourtant quelque chose de beaucoup moins choquant. Au lieu que le rationnel ou le mental se ramène à un simple reflet du physique ou du mécanique, c’est le mécanique ou le physique qui serait une objeclivation et comme un dédoublement du rationnel et du mental ; tout se passerait alors comme si celui-ci existait seul, sans réalités proprement matérielles :

« Les Turcs ont pris Constantinople en 1^53 ï, cela

voudrait dire qu’à cette date précise des séries de représentations diverses, parmi lesquelles il y en avait de fossés, deremparts.de cavaliers, de lances, de cuirasses, de mortiers, de bombardes, etc., ont évolué et se sont agencées entre elles (à peu près comme il arrive dans nos rêves) de manière à produire la même apparence que des soldats, des chevaux, des armes, des fortifications, des combats pour tout de bon (1d., ibid., p./txiv). Rcdisons-le, s’il fallait choisir entre les deux, nous préférerions sans balancer l’hypothèse idéaliste, qui offre au moins l’avantage, critiquement parlant, de prendre son i point d’appui dans le donné immédiat de la conscience ; car enfin, si des philosophes ont pu douter (provisoirement/ou en définitive) de l’existence du monde extérieur, ils n’ont jamais pu douter de l’idée qu’ils en avaient. Aussi bien n’en sommes-nous pas réduits à cette alternative : il y a un réalisme ou, si l’on veut (car, à le prendre de la sorte, les mots ne tirent plus tellement à conséquence), un idéalisme (disons avec certains Allemands un « réalidéalisme ») modéré ou raisonnable, qui, se contentant de subordonner les choses à la pensée, au lieu d’absorber indiscrètement celles-là dans celle-ci, réussit à intégrer en une synthèse plus haute et vraiment compréhensive ce que peuvent contenir de solide l’une et l’autre des deux conceptions rivales. Mais ce n’est pas de quoi il est question pour le moment : nous ne voulions que faire voir à quel salto mortale l’épiphénoménisme mental se trouve vite acculé, pour peu qu’on le presse d’aller jusqu’au bout de ses principes. A parler franchement, c’est une métaphysique de casse-cou.

3. Ignorance du sujet. — Faut-il s’étonner dès lors que tels ou tels de ses adeptes méconnaissent comme de gaieté de cœur les vraies difficultés ou que, le cas échéant, ils les escamotent — nous ne croyons pas que le terme soit trop fort — avec une désinvolture déconcertante ? « L’association de6 semblables, dira v. g. Maudslky (cf. Id., Psychologie des Idées-forces, t. I, p. 2/Jo), et la reconnaissance des sensations sont un seul et même acte. » Mais alors, comment expliquer qu’à l’occasion des sou venirs ne soient pas reconnus, dont la loi de similarité a pourtant déterminé la restauration ? On nous dit encore que, quand nous avons eu une idée une première fois, il n’est pas étonnant que nous la reconnaissions à la seconde. — Si l’on veut, d’une manière, puisque c’est un fait, qui, en un sens, tranche à lui seul la question de sa propre possibilité : n’empêche que, s’il y a moyen de savoir comment il est possible, ou comment il a lieu, c’est là pour notre curiosité une satisfaction très légitime, ou même une satisfaction qu’elle réclame impérieusement. Est-ce la lui procurer que de dire, comme le même auteur : « Lorsqu’une idée rentre dans le champ de la conscience, c’est simplement que le même courant nerveux se reproduit, qu’elle reflétait à l’origine, avec l’impression que c’est la même » ? N’estce pas, au contraire, sautera pieds joints par dessus la vraie question ? Car il s’agit précisément de montrer pourquoi ou comment on a cette impression que c’est la même.

En tout cas, que la reproduction du courant nerveux explique pour une part, c’est-à-dire à titre de condition organique ou matérielle (soit d’ailleurs directe ou indirecte), la restauration de l’idée correspondante, rien de mieux : mais l’aperception qui s’y ajoute d’un rapport de ressemblance ou d’identité ? Cela, manifestement, est d’un autre ordre, et ce n’est pas en rendre un compte suffisant, ni même en rendre compte d’aucune manière, que de nous répondre : réverbération accidentelle de la mécanique nerveuse, ou aspect subjectif et collatéral de l’automate vivant’.

4. Confusion entre condition et cause. — Voyons cependant sur quoi l’épiphénoménisme croit pouvoir fonder des affirmations aussi aventureuses. En somme, tout revient ici, comme il fallait presque s’y attendre, au conditionnement du moral (ou du mental) par le physique. « Je ne vois pas, écrivait v. g. A. Bain, comment, en nous tenant aux strictes limites de l’expérience, nous pourrions faire du subjectif un agent. Dans nos livres de psychologie, nous pouvons bien laisser une place à la cause et à l’effet parmi les éléments sujectifs, dire v. g. que les sensations donnent lieu aux idées, aux émotions, aux volitions, et celles-ci à d’autres idées, émotions, volitions ; mais nous savons bien que ce n’est pas là un courant de pures subjectivités. Ces faits ont leurs rapports physiques. Voilà donc pourquoi, si l’on me presse de dire quelle voie je prendrais dans une théorie de l’évolution quand j’aurais atteint le moment de celle-ci où des êtres conscients apparaissent, si je suivrais alors la seule chaîne de la causation physique ou bien si j’introduirais le sentiment comme facteur coopérant, comme quelque chose de plus qu’un accompagnement ou une expression additionnelle du physique même, voilà pourquoi je réponds que je m’en tiendrais au physique, sans rien dire du mental dans la ligne de la causation (Mind, t. VIII, p. 102 sq., cité par

FOUILLKR, Op. cit., p. 25f>) ».

llya longtemps que dans une page célèbre, une des plus belles qui soient sorties de sa plume, Platon a fait justice de cet argument classique du matérialisme. Nous voulons parler de ce passage du

1. En d’autres termes, le parallélisme des deux séries, physique et mentale, n’est pas rigoureux, à beaucoup près : la seconde déborde plus d’une foi » la première. Il n’en faudrait pas plus pour que la tentative apparût comme vouée d’avance à l’insuccès, qui s’efforce de subordonner d’un bout à l’autre les lois sychologiques aux lois physiologiques, ou même desuppiimer les première ! comme lois originales en les faisant rentrer de tous points dans les secondes.