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SOCIOLOGIQUE (MORALE)

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quand elles y donnent lieu —, mais non pas en tant que théoriquesou en tant précisément que sciences : on ne les considérerait comme normatives à ce second titre que sous peine de < confondre l’effort pour connaître aec l’etfort pour régler l’action » (p. 1 2) et ainsi de supprimer la science même. C’est pourtant cette « prétention irréalisable » (il/.) qu’aflicue la morale traditionnelle, c’est ce mélange bâtard de deux tendances r< ellement opposées ou ce compromis boiteux entre l’une et l’autre sur lequel elle repose tout entière. Au vrai, les systèmes qu’elle engendre ne sont jamais spéculatifs (au sens propre ou Tort) ; jamais ils ne « recherchent d’une façon désintéressée les lois d’une réalité (empirique ou intelligible) prise pour objet de connaissance », parce que « jamais ils ne perdent de vue L’intérêt pratique » (ib.). Il n’y a de science possible dans l’espèce qu’autant qu’on lui assigne pour matière la pratique même, mais considérée objectivement ou du dehors, sous forme de coutumes, d’habitudes communes, de règles de conduite ayant force de loi dans un milieu collectif donné ; bref, qu’autant qu’on lui assigne pour matière la réalité morale (au sens délini précédemment), en dehors de toute appréciation subjective, dans le même esprit d’impartialité absolue dont ne se relâchent nulle part, au cours de leurs enquêtes, les professionnels du savoir ; autrement dit encore, qu’autant qu’on « pose en principe que les faits meraux sont des faits sociaux tt que la même méthode convient aux uns et aux autres » (p. 8). Science des mœurs, encore un coup, et non pas, ce qui a même toutes les peines du monde à n'être point un non-sens, morale scientitique (ou comme disait Renouvier, science de la morale).

— Les sociologues nous reprochent de « confondre l’effort pour connaître avec l’effort pour régler l’action » : et si, par hasard, cette confusion se trouvait être leur fait à eux, ou une confusion similaire ? C’est, apparemment, ce prestigieux mot de « pratique » qui la dissimule. La pratique pourtant est une chose, et les idées qui la dirigent en sont une autre. Il n’y a de pratique, au pied de la lettre, ou dans toute la propriété du terme, que lorsqu’on agit eten tant qu’on agit (tw 7r^àrT£iv) ; voilà, en toute rigueur, ce qui c a son origine dans notre volonté libre », à savoir notre action même, et non pas la loi que la gouverne. Si l’une échappe par délinition même, c est-à-dire parce que procédant ju^te de notre liberté, à toute exposition systématique, il n’en va pas de même de l’autre, et surtout de l’ordre absolu de relations dont elle emprunte sa valeur.

Assurément, et comme il a été expliqué ci-dessus, le « fait moral » ne se réalise tout de bon et in concrelo que si nous acceptons cette loi et en ce sens nous l’imposons volontairement à nousmêmes, en y obéissant hic et nu ne. N’empêche qu’elle s’impose à nous avant toute chose par son autorité propre et transcendante, qu’aucune violation effective, cela aussi a été expliqué, ne saurait compromettre d’aucune manière ; n’empêche que l’ordre de relations correspondant offre toute la consistance de la « réalité » la plus positive et puisse devenir l’ol jet d’un savoir proprement dit, aussi complet et aussi indépendant en lui-même que n’importe quel autre. Quand le moraliste s’attache à le délinir et à le déduire ainsi en luimême, tel qu’il se révèle à la raison, c’est tout autant « effort pour connaître « que lorsque le géomètre v. g. s’applique à déterminer les propriétés et les relations de l'étendue (igurée, ou même le physicien à mettre sur pied la théorie des ondes sono res. M. L. B. serait-il, dans le fond, à ce point éloigné d’en convenir, lui qui astreint la science en général à rechercher les lois d’une réalité empirique ou intelligible 1 prise pour objet de connaissance » (p. ia ; cf. stip.)f Et précisément nous dirons, pour parler la même langue, qu’en morale c’est réalité intelligible, mais qu’on ne voit toujours pas pourquoi elle ne pourrait, en tant que telle, être atteinte théoriquement ou scientifiquement.

Quant à 1' « effort pour régler l’action », entendu lui aussi en toute exactitude, il ne vient qu’ensuite, ici comme ailleurs. Qu’il y vienne plus tôt et plus inévitablement ; que les deux, si l’on préfère, effort pour connaître et effort pour régler l’action, se trouvent ici dans un rapport plus étroit et plus intime que partout ailleurs, est-ce une raison de « confondre « cet « effort pour régler l’action » avec 1' « effort pour connaître » les lois qui la règlent en effet ? Car c’est cela même qu’on appelle Morale (comme s’opposantv. g. à la science des mœurs ou en tout cas comme différente de celle-ci), 110Il pas l’action même, l’action réglée, l’action morale eniin, mais la connaissance systématisée, au moins à quelque degré, des lois dont l’observation la rend telle.

Autrement dit, * effort pour régler l’action » peut s’entendre de deux manières : soit pratiquement (à la lettre), auquel cas il désigne l’activité vertueuse elle-même, se mettant tout de bon à l'œuvre ; soit spéculativement, c’est-à-dire comme étude abstraite des conditions diverses et multiples, objectives (loi morale et son principe) ou subjectives (connaissance, volonté, liberté), dont cette activité vertueuse dépend. Et, la chose est presque trop claire, il ne s’oppose à « effort pour connaître » (si bien qu’on doive éviter de les « confondre »), que dans le premier sens, se rejoignant même avec lui dans le second.

8. Pétition de principe enveloppée dans la thèse sociologique. — Il s’en faut donc, et de combien ! que « dès qu’il s’agit de morale, la subordination de la pratique à une théorie distincte d’elle semble s’effacer tout à coup » (p. 9). « La pratique n’y est [dus comprise comme la modilication, par l’intervention rationnelle de l’homme, d’une réalité objective donnée » (ib.), soit (encore qu’il y eût plus d’une réserve à stipuler sur ce point précis) 2 ; mais comme réalisation ou approximation d’un idéal donné, et d’un idéal tout aussi connaissable en soi, redisons-le, que la réalité expérimentée ? Car eniin, ce dont il n’y a pas moyen de construire la science, c’est cette approximation ou cette réalisation comme telle, « subjectivement » considérée, ce n’est pas l’ordre de relations intelligibles à quoi cet idéal revient.

Cet ordre transcendant peut bien ne nous être accessible qu'à la condition de nous replier sur nousmêmes, parce qu’il ne se révèle qu'à la lumière de

1. Même remarque que ii, 1 de la col. 14J7.

9. Au fait, comment apprendre à l’homme ce qu il doit être sans tenir compte de co qu’il est en réalité ? Ne serail-ce pas s’exposer à légiférer plus d’une fois dans, e ^i !e ? Le travail de la vertu peut se définir (dus d’une foi- aussi « la modification (dans le sens du bien ou du mieuil, par l’intervention rationnelle de l’homme (cf.

« Art de vivre »), d’une réalité donnée r>. a.-avoir nousmcine pris précisément tels que nous sommes. Que 111rniiier.deiil. hors de là, les mots de reforme, de progrès, 

de perfectionnement ? Nous avons déjà note, $up., cp.e In .( science de. mœurs » est à même d’y contribuer très elficacement pour sa part, comme aus.M à la détermination de l’idéal moral (par la mi »e en lumière deB éléments accidentels et caducs), etc.