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SOCIOLOGIQUE (MORALE)

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couvre, constate, identifie, pour ainsi dire, et authentique la nécessité du déterminisme naturel, qu’elle prend tel qu’il fonctionne, la nécessité de ce déterminisme n’est pas son œuvre à elle, il y aurait même une sorte de naïveté à insister làdessus (cela n’est vrai, pour ainsi parler encore, que de la physique ou connaissance divine, dont on a pu dire que les choses sont parce qu’elle les voit, mais notre physique ou notre connaissance à nous ne les voit que parce qu’elles sont). De même, ce qui fonde l’autorité des impératifs moraux, c’est la conscience, ou plutôt l’ordre absolu des valeurs (en donnant à cette formule son sens le plus compréhensif ) dont la conscience est en nous l’expression et qui seul peut donner une signification vraiment satisfaisante aux mots de devoir et de droit.

Quant au conformisme imposé par la société, sans contester le moins du monde son influence en pareil cas, on peut se demander s’il ne tient pas lui-même à une autre cause par delà. Un fait remarquable à cet égard, c’est que les systèmes de morale mentionnés par M. L. B. ont tous fleuri dans nos sociétés « occidentales », disciplinées de longue date et gouvernées, dans l’ensemble, par la morale

« naturelle » ou « rationnelle ». Dès lors, n’est-ce

pas celle-ci encore qu’on retrouverait là-derrière, à titre de vraie et première cause, précisément ? N’est-ce pas la présence, au fond des consciences individuelles ou, si l’on veut, de la conscience collective, des idées communes de devoir, d’obligation, de droit, avec leurs tenants et aboutissants divers, qui explique ici le conformisme même et, par lui, la rencontre finale des différents systèmes dans la formulation effective des préceptes déterminés qui règlent concrètement la conduite ?

6. Distinction capitale entre << nature morale » et nature physique. Le concept de devoir. — Quoi qu’il en soit de ce point spécial, il y a singulièrement de chancespourque, avec cetélémentuniversel de droit, de devoir, etc., universel et invariable aussi, en dépit de la diversité des applications particulières qui en peuvent être faites selon la différence des temps et des lieux, nous tenions le trait distinctif par excellence de l’objet de la science des mœurs. Ou l’on se trompe fort, ou c’est par là que la réalité et la nature morales sont précisément ce qu’elles sont, à savoir morales. Tandis que la nature physique est assujettie à des lois nécessaires, dont nous pouvons bien utiliser le jeu, mais sans qu’il cesse d’échapper en lui-même à notre initiative (c’est juste pourquoi nous ne pouvons l’utiliser qu’en nous y soumettant nous-mêmes), l’ordre que définit la nature morale ne saurait être établi en définitive et in concrelo que par l’intervention de notre libie vouloir.

Par on l’on n’entend pas nécessairement, tant s’en faut, que la liberté, selon une prestigieuse formule qui n’a que trop réussi à fausser les idées sur ce point, se donne à elle-même le commandement auquel elle obéit, au moins dans toute la force et toute l’étendue du terme. Autrement dit, il ne s’agit pas pro tanto d’autonomie, à la façon kantienne ou réputée telle. Ce ne serait, en tout cas, qu’autonomie d’acceptation, et non pas de législation. Traduisez que, si l’impératif qui oblige notre conscience procède et ne peut que procéder d’un principe supérieur qui le lui impose (quel qu’il soit en lui-même, c’est ce dont nous n’avons pas à nous préoccuper pour le moment), encore faut-il qu’elle s’y soumette de plein gré, par un consentement qui n’émane, lui, que d’elle, corde m a g no et anima volenti ; encore faut-il qu’à ce titre elle se l’impose, secondairement pour ainsi dire à elle-même, et qu’ainsi elle le

fasse sien par la vertu de ce libre consentement. Elle le reçoit du dehors (ou d’au-dessus d’elle), à coup sûr, mais en se l’intériorisant de la manière que nous venonsde dire, comme aussi — ceci suit de cela — en reconnaissant à quel point il s’accorde ou s’harmoniseavecsa véritable nature. Ce n’estqu’alors qu’il est vraiment obéi. Voilà pourquoi nous aflirmions tout à l’heure que seule notre intervention personnelle peut établir en définitive et dans le concret l’ordre qu’il signifie, au double sens du mot, au sens d’intimer comme à celui d’exprimer. Le bien moral, a-t-on dit, excellemment dit, est l’ordre, idéal des actions raisonnables (cf. M. d’HuLST, Conférences de N. D., 189a, 4° confér.) : ajoutons sans hésiter, à la lumière des explications qui précède nt cette addition va comme de soi, qu’entant que réalisé, à la lettre, il devient, positivement, l’ordre dans nos actions. Plus simplement, c’est le bien dans nos actions, et par nos actions, tout court et sans plus.

Et voilà pareillement à quoi revient « obligation », un vocable autrement inexplicable. Qu’estce à dire, en effet, obligation, sinon nécessité (à nous imposée par un principe supérieur ou transcendant ) de faire ce que d’autre part nous restons libres de ne pas faire ? Quelque chose comme une synthèse originale, tout à fait hors de pair même, de liberté et de nécessité, la seule espèce de nécessité, pour ainsi parler, que comporte notre liberté même, bref nécessité « morale », comme on dit juste d’habitude Synthèse tout à fait hors de pair ou originale, car enfin où trouve-t-on rien de pareil ou même de simplement analogue dans le monde, ou, pour employer le langage de M. L. B., dans la nature physique ?

Au surplus, c’est à quoi il ne serait pas impossible, semble-t-il, d’amener son propre texte à lui, lorsqu’il qualifie v. g. la Morale rationnelle de

« Métamorale », où se projette sous le nom d’idéal

le respect de la pratique universellement acceptée (p. 121). — Soit, mais pourquoi acceptée de cette manière ? Parce qu’elle s’impose à ce titre même, à titre d idéal, digne, indéfectiblement digne de respect : il s’agit toujours de droit supérieur au fait, lequel ne se trouve en désacord avec lui qu’au prix d’une méconnaissance pratique de ce caractère en quelque sorte sacré ; lequel, en le méconnaissant ainsi, n’ôte rien à l’absolue rectitude qui le définit en soi. On a beau s’ingénier et se retourner et s’efforcer, toujours on se retrouve en présence du même trait différentiel qui constitue cet ensemble de notions dans une situation privilégiée, si nous osons dire, tel enfin qu’elles ne puissent de ce chef se comparer à quoi que ce soit d’autre.

7. La morale n’en est d’ailleurs pas condamnée à demeurer chose exclusivement pratique et subiectie.

— Prise de ce biais, l’affirmation n’est pas dépourvue de tout fondement, selon laquelle « les faits moraux ont leur origine dans la volonté libre de l’homme » (p. 8). Seulement, il ne s’ensuit pas que la morale rationnelle ne puisse revêtir, ou conserver, un caractère théorique ou scientifique (//>. et p. sa. "). Autre malentendu, qu’il importe au premier chef d’éclaircir, car il y a des chances pour que nous touchions plus que jamais au vrai point vif du débat.

Suivant M. L. B., ce qui empêche et empêchera toujours la morale d’être une science, c’est son rapport essentiel et comme intrinsèque à la pratique, ou, ce qui revient au même, son caractère normatif par excellence. Normatives, toutes les sciences le peuvent assurément devenir, oui, en tant qu’elles donnent lieu à des applications —