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SOCIOLOGIQUE (MORALE)

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torité effective et comme leur emprise concrète sur les ànies Un philosophe contemporain a dit de la théorie de Mill et de Spencer sur les principes premiers : << Si l’association pouvait rendre compte de la formation de telles croyances, l’associationisme, en dévoilant le vice de leur origine, aurait tôt fait de les dissoudre. » (Cf. Rabibr, Psychologie, p. 380). Eh bien, montrez-moi semblablement dans l’ « impératif catégorique » le produit complexe de circonstances multiples et diverses, qui ne dépassent pas l’ordre des simples faits et le rendent en lui-même relatif au milieu où elles se produisent, croyez-vous que je continuerai de m’y soumettre avec la même simplicité ?

« Quand la science des faits moraux nous en aura

donné une représentation objective, écrit-on encore, quand elle les aura incorporés à la « nature », la vie intérieure delà con>cieitce morale n’aura rien perdu de son intensité ni de son irréductible originalité (p. 32). » Nous avouons ne point partager cet optimisme, si du moins, comme il paraît bien que ce soit le cas, on l’entend toujours de la même manière ou dans le sens d’une assimilation complète de la morale aux sciences de la nature. Quand la science aura incorporé à celle-ci les faits en cause, quand elle nous y aura fait voir des phénomènes du même ordre que les autres, fonction des mêmes facteurs généraux, n’en sera-ce pas fait de leur originalité irréductible ? Comme si cette originalité irréductible n’emportait pas qu’ils dépendent d’autres facteurs ou qu’ils sont <t d’un autre ordre ! »

Mais cette considération reviendra plus loin. Passons à une autre difliculté que soulève l’art moral rationnel.

2. Equivoque enfermée dans l’idée d’un art moral rationnel. — De fait, et d’un autre côté, comment s’y prendra-t-il — r quand il sera constitué — pour améliorer notre condition humaine, en utilisant les lois du devenir social, etc., ou plutôt qu’entend-on au juste par là ?

Prenons garde à l’équivoque qui se cache sous l’assimilation établie à cet égard entre le dit art moral rationnel et la mécanique ou la médecine (Cf. sup., Exp., n. 7). Dans ces deux derniers cas, on n’a pas à se demander, parce qu’on le sait pour ainsi dire d’avance, à quelles fins précises il y a lieu de faire servir les résultats acquis par la science : il va de soi que c’est la santé ou le confort de l’existence. Mais dans le domaine des mœurs ? On ne peut pourtant pas se contenter d’y prendre acte de de la diversité des tins désirées en fa’t, comme le sont juste le confort et la santé, pour y adapter les moyens convenables, car c’est là même que réside la dilliculté. La difficulté, disons-nous, la difliculté précise est desavoir quelles sont, parmi ces lins désirées en fait, celles qu’il y a lieu de retenir comme décidément préférables. Alors ?

On nous parle de « tirer du fait le meilleur parti possible. » Nous comprenons très bien ce langage, lorsqu’il s’agit de composer la réalité avec un idéal donné, qu’on s’efforce d’y introduire dans la mesure où le permettent les « fatalités inéluctables » dont il faudra bien une foison l’autre prendre son parti. Mais quand un tel idéal fait défaut, cela risque terriblement de ne plus rimer à rien. Car enfin, que signifie ici « meilleur », sinon plus conforme à un type d’organisation de la vie individuelle ou collective, qu’on estime supérieur à la réalité existante, auquel on attribue une valeur plus haute, etc. ? Vous voilà donc amenés à commencer, malgré tout, par porter des jugements de cet ordre, des jugements de valeur, au moins pour appliquer les conclusions de la science des mœurs et au moment de les appliquer I

Vous voilà contraints de substituer, vous aussi,

« le droit au fait » 1 Vous voilà renvoyés, irrémissiblement

renvoyés à la « morale » !

Et même à la morale rationnelle la plus authentique. Il ne serait pas tellement malaisé, au vrai, d’.établir qu’en délinitive pareille comparaison ne conserve un sens qu à la condition de supposer un ordre absolu des choses, que la raison a le privilège de découvrir, bref d’en revenir à l’idée essentielle de la morale, dont il apprit une fois de plus que la science des mœurs ne saurait la remplacer.

Nous allons d’ailleurs nous en rendre un compte plus précis, par la critique de la scienee des mœurs en elle- même.

3. Ce qu’il y a de fondé et d’utile dans lit conception d’une science des mœurs. — Non pas, pour commencer par là, que cette conception soit de tous points irrecevable. Tant s’en faut. Ce serait le cas de rappeler le mot de Leibniz, pour banal qu’il soit devenu : « la plupart des sectes ont raison en ce qu’elles affirment, mais non pas tant en ce qu’elles nient » ; car il ne laisse pas de s’appliquer à la thèse générale de M.L.B., au moins jusqu’à un certain point.

Rien de plus légitime, en effet, que l’idée d’une science des mœurs prise en elle-même, comme étude comparative des multiples manières dont les hommes, suivant la diversité des époques et des latitudes, aménagent leur vie individuelle ou collective, — ou même conçoivent qu’on la doit aménager. La science des mœurs devient alors, au pied de la lettre, la science des morales, et par morale on entend, à ce compte, « l’ensemble des conceptions ». juste, « sentiments, usages, relatifs aux droits et aux devoirs respectifs des hommes entre eux’, reconnus et généralement respectés, à une période et dans une civilisation donnée (p. toi). »

L’intérêt, spéculatif qui s’attache à cette élude n’est pas le seul qu’elle offre. Pratiquement, elle tire à conséquence, et même dans la plus large mesure.

« Ce qui doit être étant conçu dans un rapport

constant avec ce qui est, la science de ce qui doit être (c’est-à dire la morale) en suppose une autre, où entrent, en proportion variéeselon les doctrines, la connaissance de la nature, la science de certaines lois du monde physique et la science sociale en général (p. 16). » Bref, la morale peut tirer un très grand pro fit de la science des mœurs. On ne conçoit même guère qu’elle en fasse abstraction (sur toute la ligne, s’entend), si du moins elle ne veut pas courir le risque de se perdre, le cas échéant, dans l’idéologie pure.

Quelqu’un a dit de la nécessité qu’elle est la chaîne sur laquelle trame la liberté. Le même image illustrerait avec avantage ce rapport de la réalité à l’idéal. S’il est vrai qu’on ne saurait améliorer celle-là qu’au nom de celui-ci, il ne va pas moins de soi que celui-ci, en un autre sens, ne serait pas impunément coupé de ses attaches avec celle-là. La réalité, on sait de quelle énergique façon Pascal a caractérisé la prétention de l’ignorer systématiquement en pareille matière s.

1. Pourquoi d’uilleurs « entre eux » ? N’y en a-t-il pas d’autres ? Le sociolo^isme passe déjà, ici, le bout de 1 oreille. — Ni>us appelons sociologisme la tendance b tout expliquer de In vie humaine (tout, spéculntivement aussi bien que pratiquement) par la société, ou par l’influence de la société ; en termes techniques, par des repris rotations collectives et dès lors, au moins en dernière analyse, par le mode de structure des groupements. Bref, c’e-t la tendance à tout ramener dans cet ordre à la physiologie et à la morphologie sociales.

2. Se rappeler à ce sujet ce que les manuels enseignent couranvnent du rapport de la morale à la psychologie.