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SOCIOLOGIQUE (MOKALE)

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point de nous apparaître comme un élément de notre uature spirituelle et une façon d’instinct supérieur par où s’allirrue, éminemment même, notre rapport à l’absolu et au divin. Pour cesser toutefois de prendre le change sur la véritable origine et le vrai caractère du fait moral, il suflit de l’envisager à la manière de la science, c’est-à-dire objectivement et du dehors : on s’aperçoit alors, i° qu’en réalité la morale d’une société donnée, à une époque donnée, est déterminée par l’ensemble des conditions où se trouve à cette époque la société en cause ; 2° que notre époque, notre société et notre morale à nous ne font pas exception à la loi.

Et du même coup on s’abstient de la tenir, cette morale de notre société et notre époque, pour l’idéal de l’activité parfaite, excluant a priori toute possibilité de critique.

5. Fausseté de la notion classique de droit naturel.

— Nombre de philosophes parlent volontiers à ce propos d’une morale ou d’un droit naturel, qui revient à cela même, ou dont la notion générale repose sur une illusion du même genre. Ils entendent par là que « toute conscience humaine reçoit, par cela seul qu’elle est humaine, une lumière spéciale qui lui découvre la distinction du bien et du mal. Prêts à admettre (comme les faits d’ailleurs nous y contraignent) que cette lumière peut être obscurcie de mille manières, et presque entièrement, dans les sociétés sauvage », corrompues ou dégénérées », ils n’en sont pas moins u persuadés qu’il suffirait d’enlever ce qui l’offusque, pour qu’elle recommençât à briller. » En un mot, ils croient a que l’homme est naturellement moral, au même titre qu’il est naturellement raisonnable (p. 200-0- "

Mais au fond de cette croyance, il y a toujours le même postulat d’une nature humaine identique à elle-même en tout temps comme en tout lieu, et qui trouve précisément son expression la plus haute chez les « civilisés » que nous sommes ou prétendons être. Encore un coup, la science actuelle en a fait justice.

« L’homme est naturellement moral », cela signifie, 

tout uniment, que partout il vit en société et que dans toute société il y a des « mœurs », des usages, des commandements ou des interdictions qui ont force de loi ; — simple fait, dont il n’y a, si l’on peut dire, rien à tirer que lui-même. En tout cas, si l’on a le droit d’en conclure quelque chose, c’est que la conception d’une morale naturelle, entendue comme tout à l’heure, doit céder la place à l’idée que, naturelles, toutes les morales indistinctement le sont. Elles le sont au même titre, quel que soit le rang que chacune occupe dans une classification établie par nous. La morale des sociétés australiennes est aussi naturelle que celle de la Chine, la morale chinoise aussi naturelle que celle de l’Europe et de l’Amérique : chacune est précisément ce qu’elle pouvait être d’après l’ensemble des conditions données (p. 200). »

6. Objet de la science des mœurs : réalité et nature morale, explicables par les mêmes procédés essentiels que la réalité et la nature physique. — Et tel est, exactement, l’objet de la * science des mœurs », un vocable qui prend ainsi tout son sens : étudier objectivement, a l’aide de la méthode comparative en particulier, ces morales diverses dans leur diversité même, les étudier objectivement et aussi, ou plutôt du même coup, car l’un c’est l’autre en somme, avec une entière impartialité, les étudier eniin connue le savant ou le physicien étudie la nature proprement extérieure et matérielle, telle qu’elle se présente à lui et sans y rien mêler de soi, de ses manières de voir, de ses préférences, de ses tendances, de ses aspirations à soi, en se dégageant de toute réac tion personnelle. Si les progrès de l’acoustique n’ont rien enlevé à la puissance émotionnelle des sons, ce n’est pourtant qu’à la condition de s’en abstraire que les hommes du métier ont pu réaliser de tels progrès et un Helmholtz v. g. mettre sur pied la théorie scientifique du timbre.

« D’une façon générale, notre conception de la

nature s’agrandit et s’enrichit chaque fo s qu’une portion de la réalité qui nous est donnée dans l’expérience se « désubjective » pour s’objectiver (p. 20). » Il en va de même de la réalité ou de la nature « morale ». Car il y a une « réalité », une

« nature morale », comme il y a une nature physique

— après tout ce qui précède, rien de plus facile à saisir que ce qu’on doit entendre par là. Un dernier éclaircissement ne sera pourtant pas hors de propos.

Nous venons de dire réalité ou nature (soit morale, soit physique). A parler à la rigueur, les deux termes ne sont pas synonymes de tous points. Nature dit plus que réalité. Réalité, c’est ici tout ce qui peut, en fait, s’offrir à la perception. Nature, c’est cette réalité en tant qu’elle est soumise ou conçue comme soumise à des lois, constantes et invariables. Et comme cet élément de rapport invariable ou de loi est celui auquel la science s’intéresse exclusivement, on pourrait ajouter que nature équivaut à réalité en tant qu’objet proprement dit de science. Inutile d’insister sur le cas de la réalité ou de la nature physique, qui. de longue dale, ne fait plus question à cet égard. Il en va tout autrement de la nature ou réalité morale. En dépit de l’impulsion vigoureuse donnée en ce sens par Aug. Comte, 1 effort à constituer la science correspondante se heurte encore aujourd’hui, nous y voilà revenus, à des résistances obstinées — le lecteur sait lesquelles et qu’elles ont leur raison dans l’emprise profonde exercée sur les esprits par la conception multiséculaire de la « morale », non moins que par le moralisme kantien, où cette conception a trouvé, d’une manière, son expression la plus rigoureuse.

Mais on n’arrête pas le mouvement irrésistible de la pensée scientifique, qui finira bien par emporter tous ces obstacles. En se « désubjectivant », elle aussi, de plus en plus, la réalité morale tombera de plus en plus sous ses prises, pour faire figure de i nature morale », analogue sur toute la ligne à la nature physique, c’est-à-dire scientifiquement explicable comme celle-ci, c’est-à-dire encore explicable avant toute chose, sinon même uniquement, par les relations fonctionnelles qu’on y peut mettre au jour entre les diverses catégories de phénomènes dont elle se compose au total (ou même entre ceux-ci et les phénomènes physiques par delà). Ne retenons pour le moment que leurs relations fonctionnelles à eux, existant d’emblée entre les phénomènes moraux et les phénomènes, (les autres)phénomènes sociaux. Il s’agit toujours du rapport des règles de conduite en vigueur dans chaque groupement humain avec son degré de développement intellectuel, avec sa condition économique, avec sa législation, avec son passé, avec son mode de structure aussi, son volume et sa densité, sa situation géographique et climatérique, bref avec tous les facteurs physiologiques (au sens de « représentations collectives », bien entendu) ou morphologiques, qu’un sociologue averti et rompu aux bonnes méthodes peut, dans l’espèce, ou même doit mettre en avant.

Car, et à peine y a-t-il lieu de le relever, nous venons de toucher le point précis par où la théorie de M. L. 1$. s’apparente au mouvement d’idées désormais personnifié, ou peu s en faut, dans le nom de Durkheira. Sans être un de ses disciples ni même,