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SOCIALISME

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de ceux qui voudraient occuper plusieurs places, sauf à laisser dehors les derniers venus ? Voici pourtant que les biens de ce inonde peuvent se comparera ce gâteau ou à cette salle. Lespropriétaires, qui prétendent à un monopole, à une exclusion de toute compétition, font-ils autre chose que priver leur semblables de leur part légitime ? Mais toute comparaison a ses déficits. Et, puisque beaucoup de ces valeurs ne souffriraient pas la division indéiinie que leur ferait subir le partage, le seul moyen de ne léser personne est de remettre à la collectivité l’ensemble des ressources, avec la mission et la charge de les exploiter pour le compte de tous et de faire l’égale distribution des produits.

L’on ne peut nier que cette objection a les apparences du bon droit. On y répondra en accordant d’abord que les biens de cette terre ont, en effet, pour destination naturelle et providentielle la subsistance de tous les habitants du globe. Il faudra donc que tous aussi aient à leur portée un moyen normal, et fa « i !e de prendre, sur cette masse, au moins la quantité voulue pour l’entretien d’une existence humaine. Cette considération nous ouvre, en passant, des perspectives sur la valeur naturelle du travail et sa rémunération.

Ceci posé, il faudra remarquer que les comparaisons précédentes cachent, sous leur bonhomie, une grosse équivoque. Il n’est pas vrai que l’on puisse assimiler les biens de ce monde à un g&teau déjà cuit, à une salle garnie de ses fauteuils. Il n’est pas vrai qu’il faille d’abord songer à une distribution. Les ressources terrestres se présentent, dans leur ensemble, comme des instruments dont il faudra tirer parti ; le problème esteelui delà production. Et si ce problème n’est pas exactement résolu, le patrimoine commun subira des pertes qui auront vite fait de le réduire, au détriment de tous.

Comment, alors, dans les conditions de la vie concrète, assurer un rendement satisfaisant ?

Sera-ce par les méthodes socialistes, dont nous avons vu que, comptant sur une solidarité spontanée, elle » brisaient le ressort de l’intérêt personnel, refusaient à l’effort sa récompense proportionnée, à l’indépendance légitime ses plus élémentaires garanties ?


Ou sera-ce, au contraire, dans un régime social qui n’essaiera pas de ruser avec les exigences essentielles de la nature humaine mais qui s’y adaptera en toute loyauté ? Prenant les hommes, tels qu’ils sont, non pas dans une abstraction chimérique, mais dans la réalité de leur équilibre toujours instable, de leur race affaiblie par la faute originelle, cette doctrine maintiendra, comme un ressort nécessaire, la propriété personnelle. Elle saura, d’ailleurs, que l’abus en est proche, souvent rencontré dans les systèmes d’absolue liberté. Et c’est pourquoi, en dehors et en dessous de la règle morale, sanctionnée par l’autorité divine, elle préconisera une surveillance qui discipline l’exercice du droit reconnu.

Sous ces traits et dans ce contraste, se présentent les doctrines socialiste et catholique ; il nous reste a voir, de façon un peu plus précise, où en sont leurs mutuelles relations.

VI. — SnciALISMR ET CATHOLICISME

« ) Les rapports pratiques. — Peu de questions

ont été plus embrouillées. Il ne faut pas s’en étonner si l’on se rappelle combien la théorie socialiste comporte de nuances et d’interprétations.

Commençons par le groupe de ceux qui croient et proclament les accords possibles entre le socialisme cl la religion.

A l’extrême gauche, ou même en marge de toutes

les catégories officielles, nous pourrions d’abord rencontrer quelques isolés, qui, se réclamant d’un vague anarchisme, pensent trouver, dans l’Evangile, une autorité en faveur de leurs thèses. Ceux-là comprennent ou feignent de comprendre le Sermon sur la Montagne, à la manière de Tolstoï et ne mettent pas de bornes à l’audace ou à la fantaisie de leur exégèse.

« Vous vagabonds, vous êtes heureux, vous êtes

dans le pouvoir de Dieu… vous, le sel du monde, vous êtes les maîtres du monde, si vous savez que le vrai bonheur est d’être vagabond… » (Tolstoï, Les h Evangiles. Œuvres, t. XXI. p. aa/j).

Passons sur ces excentricités, qui ne sont point cependant tout à fait des raretés. Nous n’avons pas à nous arrêter non plus longtemps sur les fantaisies de ceux qui ont voulu parfois trouver, dans la communauté des biens, en vigueur au début de l’Eglise, un précédent qui autoriserait la thèse du communisme. Au chapitre quatrième des Actes des Apôtres, ilnous est dit en effet : « La multitude des fidèles n’avait qu’un cœur et qu’une âme : nul n’appelait sien ce qu’il possédait, mais tout était commun entre eux. »

Cette mise en commun n’apparaît pourtant point comme imposée. Et Pierre, ei. reprochant à Ananie d’avoir menti dans la déclaration partielle du prix qu’il a tiré de la vente de son bien, le spécifie expressément :

« Ne pouvais-tu pas, sans le vendre, en

rester possesseur ? Et, après l’avoir vendu, n’étais-lu pas maître de l’argent ? « (Actes, c. v, v. li).

Si tout était commun, en pratique, c’est qre, dans un groupe peu nombreux, rassemblé, soumis à la discipline que tous acceptaient et plus encore aux inspirations généreuses d’une foi identique et ardente, ce régime pouvait, en effet, durer sans inconvénients pour une période plus ou moins prolongée. Ces conditions se retrouvent, pour une application analogue, dansnos monastères modernes. Elles sont assez rares et exceptionnelles pour ne pas prévaloir contre la règle générale.

Venons, maintenant, à l’autre aile des conciliateurs, à ceux qui croient les rapprochements possibles, sans violente déformation de l’Evangile.

Seulement ils ont remarqué, dans cet Evangile, ce qui s’y trouve, effectivement, en maint passage : des sévérités à l’égard de la richesse, des mots de pilie sympathique pour les déshérités de ce monde. Ils ont encore entendu les anathèmes souvent vigoureux des Pères de l’Eglise à l’adresse de certains riches et les condamnations qui, séparées du contexte, des circonstances où elles étaient promulguées, étonnent par leur rigueur. Par ailleurs, prenant le socialisme dans le sens large et mal défini, que nous signalions au début, n’y voyant qu’une aspiration à (les réformes sociales, ils ont admis que l’alliance était facile et plus qu’à demi réalisée entre des tendances si convergentes dans leur lutte contre la misère.

Sur la foi de ces similitudes, Brunetière, par exemple, s’était fait fort jadis de prouver que christianisme et socialisme pouvaient coexister en bon accord et que le second empruntait beaucoup de ses éléments au premier. Le socialiste Georges Renard releva la gageure, une polémique s’ensuivit dans les colonnes de la Petite République en 190^, elle ne tourna pas à l’avantage de l’académicien.

Jusque dans les rangs des socialistes authentiques, cette prétention reparaît de temps à autre. AlaChambre française, le 3 février 1926, M. Lkon Blum disait :

« Nous déclarons — et j’ai l’assentiment unanime

de mes amis, j’en suis sur, — qu’on peut entrer dans