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SOCIALISME

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annonce et le collectivisme ne sont nullement des faits amenés par l’intervention humaine, par les aspirations d’une classe sociale. Ce sont plutôt les conséquences d’une évolution matérielle, et les hommes se trouveraient pris dans un engrenage auquel il ne leur serait pas loisible de se soustraire.

La concentration des capitaux et les crises. — Voici comment se dessinerait la série des événements précurseurs de la révolution inévitable.

Le capital irait toujours se concentrant dans un nombre plus petit de mains. Par suite et par contrecoup, les classes moyennes seraient condamnées à disparaître, à augmenter l’armée du prolétariat. Cette armée compterait donc une grosse réserve, encore accrue du fait que le machinisme, en se développant, ne réclamerait pas un surcroit proportionné de main-il’œuvre. Les salaires fléchiraient donc et la « paupérisation » des masses irait toujours s’aggravant.

Par ailleurs, l’industrie, prise à son propre piège, obligée d’utiliser l’énorme capital et le matériel investis, serait contrainte de produire plus que ses débouchés normaux ne l’y autoriseraient. D’où les crises commerciales éliminant les concurrents moi is solides et produisant une concentration nouvelle du capital parmi les vainqueurs.

La lutte des classes. — Le contraste violent entre larichesse de quelques-unset le dénuementdu grand nombre amènerait et envenimerait toujours plus la lutte enire des classes aussi disproportionnées.

Finalement, après des épisodes variés et des fluctuations, le nombre triompherait de l’or. L’industrie, tout entière aux mains de quelques individus, offrirait une proie facile à la masse qui s’en emparerait. Et ainsi se trouverait instaurée la société prolétarienne au lieu de la société capitaliste. Toutes les ressources, toutes les forces productrices seraient mises en commun et le collectivisme serait un fait accompli.

Ainsi parlait Karl Marx. L’on voit que la volonté humaine, bonne ou mauvaise, sans être annihilée, tient ici peu de place et se trouve dominée par une sorte de destin, de génie économique qui joue le rôle du Fatum des anciens.

A vrai dire, les positions scientifiques du marxisme sont aujourd’hui très fort battues en brèche. Si l’on reprend la chaîne de ses déductions, l’on s’aperçoit aisément que les mailles en sont fragiles et cèdent dès qu’on les éprouve.

S’il est exact que les entreprises se concentrent et s’unissent, il est faux que le capital suive le même mouvement, car, au contraire, la foule des actionnaires, des porteurs de titres, augmente constamment. Il n’est pas vrai que les salaires diminuent, que la « paupérisation » de la masse s’accentue. Et, tout au contraire, en dépit de lacunes subsistantes, la situation moyenne des travailleurs va s’améliorant.

L’expérience a donc démenti le marxisme sur les points essentiels de ses déductions et c’est là, pour une théorie qui prétend s’appuyer uniquement sur l’observation et sur la science, la pire des disgrâces (G. Simkiiovitcii, Marxisme contre socialisme. Paris, Payot, passim).

Mais ce qui est écrit demeure, sinon dans ses détails, que l’on ne consulte guère, au moins dans sa thèse générale qui continue à impressionner. Et les socialistes de France persistent à se réclamer du marxisme. Sur cette base supposée solide, les revendications peuvent s’établir et ne pas craindre de monter. Elles se formuleront au nom de la justice, mais avec cette conviction rassurante qu’elles sont, de plus, appuyées par la science.

D’autant que, par un autre point encore de sa doctrine, Marx fournissait une base nouvelle aux prétentions collectivistes. Nous voulons parler de sa fameuse théorie de la valeur.

Théorie de la valeur. — Elle affirme que toute la valeur d’échange des choses leur vient uniquement du temps de travail qui y a été incorporé, qui s’est, pour ainsi dire, cristallisé en elles. De cette donnée

— elle-même toute arbitraire, — Marx va déduire que le bénéfice du capital ne peut être formé que d’une part du salaire non payée à l’ouvrier. Pareille affirmation a fait évidemment son chemin, elle est encore accueillie aujourd’hui par beaucoup de ceux qui seraient fort en peine d’en esquisser même une démonstration. ,

Celle que Marx fournit estassezpénible. Essayons de la suivre.

Le capitaliste, qui dirige une industrie et qui embauche de la main-d’œuvre, paie ainsi une certaine force-travail. Quelle est la valeur de cette énergie ? Pour la connaître, il faut avoir recours à la théorie générale que nous venons d’exposer. La valeur de cette force-travail se déterminera, comme dans tous les autres cas, par le temps de travail qui fut nécessaire pour la produire. Mais ici il s’agit de forces humaines. Tout se réduit donc à connaître le temps de travail requis pour donner les moyens de subsistance qui ont eux-mêmes fourni la vigueur physique à rétribuer.

Admettons qu’il ait fallu six heures. Le capitaliste aura versé un salaire adéquat, dès lors qu’il paie un prix correspondant à ce laps de temps.

Voici maintenant l’ouvrier appliqué à sa besogne. Pour rendre exactement l’équivalent de ce qu’il a reçu, il n’aura qu’à fournir six heures de travail. Alors les valeurs se compenseront. Capitaliste et ouvrier seront quittes. Mais alors aussi nul béuéGce n’est possible pour le premier. Car l’on aperçoit qu’il a juste retrouvé ce qu’il a dépensé.

Théorie de la plus-value. — Pour réaliser un gain réel, une plus-value, il faudra que, continuant à payer pour six heures, il fasse travailler l’ouvrier huit, dix ou douze heures. Alors ce temps supplémentaire, incorporé aux produits manufacturés, leur donnera une plus-value dont le capital pourra tirer son bénéfice. Pour comprendre l’idée de Marx, il faut bien voir que, d’après lui, « le capitaliste achète la force de travail à sa valeur ; ce qui est fâcheux, c’est que cette force de travail, qui peut créer plus de valeur qu’elle n’en a par elle-même, soit à vendre, puisse être achetée et dégager la plus-value aux mains d’un autre que le travailleur, victime ainsi d’un vol objectif. » (11. Gonnard, Histoire des Doctrines économiques. Nouvelle Librairie Nationale, 3e vol., p. 1 1 i).

Telle est la théorie qui, elleaussi, se donne comme scientifique. Si elle était exacte, il faudrait en déduire que plus une entreprise emploie de main-d’u-uvre par rapport à ses installations matérielles et mécaniques, plus aussi elle réalise de gains, puisque c’est uniquement sur les salaires que se prélèverait ce bénéfice. Il n’en est rien pourtant, et Marx l’avouait lui-même. C’était une énigme qu’il promettait de résoudre. Il est mort sans l’avoir fait (Simkhovitcii. op. cit., pp. 299, 300, 301, 30a, 303).

Mais, en dehors même de cette démonstration expérimentale, la fausseté de la théorie apparaît dès ses premières assertions. La valeur d’échange d’une chose ne vient pas uniquement du temps de travail qui s’y trouve incorporé, mais d’autres éléments indépendants du labeur humain, tels que l’utilité, la rareté.

Même si l’on ne considère que le travail, il est abusif de ne vouloir apprécier que sa quantité. La