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SOCIALISME

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renfort de sopuismes, il affirme même que la liberté, c’est l’égalité. Seulement il ne croit pas que cette union puisse se faire, que cette équation puisse se vérilier, sauf dans le système qu’il se propose d’instaurer.

Ce système serait celui de la société « mutuelliste », où les relations seraient établies suivant les règles de la plus stricte équité, de la complète réciprocité,

« service pour service, crédit pour crédit, gage pour

gage, sûreté pour sûreté, valeur pour valeur, information pour information, bonne foi pour bonne foi, vérité pour vérité, liberté pour liberté, propriété pour propriété ». Dans les transactions financières et commerciales, la règle imposerait un juste prix, calculé sur les frais de production augmentés de l’équitable paiement du travail.

Ce principe « mutuelliste » serait mis en vigueur par la classe ouvrière, usant du suffrage universel. Une fois consacré par les institutions, les banques, les entreprises publiques et privées, il passerait dans les mœurs, au point de ne pouvoir plus en être chassé.

L’argent, dans ce régime social, n’aurait plus de droit à un revenu quelconque, ni fermage, ni rente d’aucune sorte, la monnaie se trouve réduite à son unique puissance d’acbat. Ainsi contenu dans des lisières étroites, l’argent ne trouble plus, d’après Proudhon, l’égalité essentielle d’ailleurs sauvegardée par toutes les pratiques du « muluellisuie ».

Reste à garantir maintenant la liberté. Proudbon va s’y employer. Il veut que l’initiative, même la concurrence, maintienne son stimulant, il veut que l’individu reste actif, responsable. Donc pas d’absorption dans des groupements qui étouffent les personnalités. Nombre de métiers paraissent à Proudhon mieux exercés dans des entreprises individuelles. Si les exigences de la production, la complexité de la tâche requièrent l’association, alors il préconise les

« compagnies ouvrières », sortes de coopératives de

production, agissant sous leur responsabilité et à leurs frais, d’après les principes mutuellistes qui régissent les groupes comme les individus isolés. (Proudhon, De la capacité politique des classes ouvrières ; et Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle, passim).

En ce qui concerne l’agriculture, Proudhon se souvient spécialement de ses propres origines terriennes. Le cultivateur, bien que fermier de la nation ou delà commune, sera plus qu’un simple usufruitier. Il aura un véritable droit d’occupation, de <t possession », qu’il pourra vendre ou léguer à sa guise. Sans cette garantie, l’exploitant a plus perdu que gagné au nouvel ordre de choses, « il semble que la motte de terre se dresse contre lui et lui dise : Tu n’es qu’un esclave du lise, je ne te connais pas. » (Proudhon, Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle, p. î3y). La dignité du laboureur ne peut être compatible avec le domaine sur la terre de « cet être liclif. sans génie, sans passions, sans moralité, qu’on appelle l’Etat ».

« La possession est dans le droit, la propriété est

contre le droit. » Proudhon parlait ainsi dans un premier ouvrage. Qu’est-ce que la propriété ? Plus tard dans son Deuxième mémoire sur la Propriété, il en est venu à rétablir, moyennant certaines garanties, le principe même de la propriété. Ces quelques traits suffisent sans doute pour indiquer l’idée profonde du révolutionnaire Proudhon. Il répudie l’embrigadement de tous les citoyens dans un service social uniforme, comme le voudra plus tard le collectivisme, et réclame, an contraire, une marge où la liberté individuelle pourrait se déployer à l’aise. Il réprouve les luttes violentes entre les classes.

Par ailleurs, son système restreint le pouvoir de l’argent, supprime les titres de la propriété ou du moins en limite l’exercice. Il tend à instaurer une sorte de niveau moyen qui ne laisserait pas subsister entre les hommes de différences notables, mais permettrait cependant, en dessus ou en dessous de la ligne médiane, certains écarts correspondant au jeu des libertés individuelles. Ici encore, comme déjà chez Saint-Simon, le point de vue de la production est envisagé d’abord, le travail est misa l’honneur, l’économique l’emporte sur la politique, au point de l’absorber presque complètement.

Tout n’est pas faux dans ces idées ; et plus d’une pourrait êlrereprise pour être adaptée. Lesocialisme qui y demeure inclus, malgré les corrections apportées progressivement par l’auteur lui-même, devrait provoquer les réflexions que nous réservonspour la fin de cette étude.

Nous dirons seulement ici que refuser à l’argent le pouvoir de produire une rente même légitime et modérée, c’est supprimer le capital nécessaire pour l’exploitation des ressources naturelles, pour les grandes entreprises modernes. L’industrie s’arrêterait, puisque le risque, que nul bénélice ne compenserait, fermerait toutes les bourses. Et le remède condamnerait la société malade, sous couleur de la guérir.

Par ailleurs, croire que le système mutuelliste pourrait se maintenir, avec les sacrifices qu’il exige, dans la liberté chantée par Proudhon, c’est donner dans une illusion voisine de celles qui marquent tous les socialismes et que nous aurons aussi à relever plus loin.

Enfin les outrances, les contradictions, les violences irréligieuses du révolutionnaire franc-comtois ont noyé ce que ses études peuvent contenir d’exact, et mérité que l’Eglise, en mettant son œuvre à l’Index, la marquât d’un signe spécial de réprobation.

Nous ne ferons que signaler ici, d’un mot, le mouvement blanquiste, révolutionnaire et socialiste, mais où les vues politiques dominent. Avant tout, il s’agissait d’assurer le pouvoir au peuple. Le reste semblait suivre, sans qu’on se fût beaucoup mis en peine des conditions où se ferait cette révolution ni des programmes pratiques qui devraient assurer son avenir.

Et nous notons seulement aussi, en passant, le socialisme d’Etat de Louis Blanc, et la tentative malheureuse des « ateliers nationaux ».

c) Le marxisme ou socialisme « scientifique ». — Jusqu’ici nous avons rencontré, sur notre route, les socialismes d’origine française. Ils parlent surtout au nom d’un principe, d’une idée, présentent leurs revendications sous le patronage de la justice. Ils restent dans le cadre national.

Ce n’est pas le point de vue auquel se place Karl Marx (1818-1883), en ses analyses. De race juive, né à Trêves, ayant vécu surtout en Angleterre, ce socialiste n’en a pas moins marqué profondément de son empreinte les doctrines qui auront désormais cours en France.

Il parle, lui, le langage de la science et non du sentiment. Il s’est mis, assure-t-il, à l’école des faits ; et c’est le < matérialisme historique » qui lui a dicté les conclusions qu’il apporte.

Le matérialisme historique. — D’après cette théorie, les organisations politiques et juridiques, les institutions, les civilisations et les mœurs sont strictement déterminées parles conditions économiques, par l’état de l’industrie et du commerce, de la pro duction et des échanges.

Il en résulte que, pour Marx, la révolution qu’il