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SOCIALISME

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collective, doit être « l’amélioration la plus rapide possible du sort de la classe la plus pauvre ». Sur quoi, la question de la propriété privée devient dépendante de l’opportunité. Il n’y a plus là un principe établi, un droit véritable. On la gardera ou bien ou la supprimera, suivant les indications de l’intérêt social. (M. Leroy, La vie du Comte de Saint-Simon. Paris, Grasset, p. 157).

La grande réforme ou la révolution essentielle consiste à remplacer le pouvoir politique par la puissance économique, dans la hiérarchie des valeurs. Il s’agit d’administrer des choses beaucoup plus que de gouverner des hommes. La seule politique bienfaisante est « la science de la production ». Le travail doit avoir la première place dans la société. Alors les citoyens, assagis par ces méthodes positives, par cette tâche commune, prendront conscience et soin du bien général, jusqu’à y conformer presque spontanément leurs intérêts propres.

Ils y seront aidés par la religion nouvelle, le

« nouveau christianisme », réduit à la solidarité dans

le travail d’ici-bas.

Toutefois l’œuvre de libération de « la classe la plus pauvre » n’est pas entièrement ni principalement remise à cette classe elle-même. Saint-Simon professe que les chefs politiques sont inutiles et disparaîtraient sans inconvénient (c’est le sens de la fameuse Parabole). Il accorde, au contraire, une grande importance à une élite compétente, formée de savants, d’industriels et d’artistes, chargée d’organiser et de conduire la production. Ces chefs puiseront, d’ailleurs, dans leurs qualités techniques, la vertu d’être des conseillers impartiaux et intègres.

Ces idées forment, on le voit, une sorte de « socialisme des producteurs » ; elles se retrouveront plus tard, modifiées mais reconnaissables, dans les tendances du syndicalisme révolutionnaire moderne telles que nous aurons à les exposer.

Fourier demande au calcul et prétend avoir trouvé la formule de « l’harmonie universelle », qui remplacera la civilisation actuelle avec ses tares et ses défauts. Sur les «. seize ordres sociaux » possibles, il y en a sept « qui établissent la paix perpétuelle, l’unité universelle, la liberté des femmes ». Malheureusement le monde s’est jusqu ici trompé dans ses formules. La véritable, que Fourier lui annonce, est celle de l’association « naturelle ou attrayante ». Alors les membres de la société future seront entraînés au travail par l’émulation ; l’amourpropre et les passions elles-mêmes, prises dans ce mécanisme bienfaisant, deviennent des éléments de concorde et d’unité sociales. En pratique, la doctrine de Fourier donna naissance à quelques essais de réalisation connus sous le nom de phalanstères.

Pendant nombre d’années, les tenants du socialisme utopique continuèrent leur propagande. Les disciples de Saint-Simon donnent à leur doctrine une forme religieuse où les déviations sentimentales et sensuelles ne sont pas rares. Us évoluent vers une doctrine formellement égalitaire, plus nettement socialiste, par la suppression explicite de l’héritage. Par ailleurs, ils conservent la note positive, économique, donnée par le maître, et le journal, qu’ils fondent, se nomme le Producteur.

Les fouriéristes, de leur côté, publient des feuilles successives qui s’appellent Le Phalanstère, La Phalange et la Démocratie pacifique. Le premier numéro de ce journal (du i’r août 1 8^8) contient un manifeste de Victor Considérant.

« La société, y est-il dit, tend à se diviser de plus

en plus distinctement en deux classes : un petit nombre possédant tout ou presque tout, mallre ab solu de tout dans le domaine de la propriété, du commerce et de l’industrie, et le grand nombre ne possédant rien, vivant dans une dépendance absolue des détenteurs du capital et des instruments de travail. »

Pour éviter les révolutions nouvelles qu’un pareil élat de choses provoquerait.

« Il n’existe qu’un seul moyen, c’est la reconnaissance

sérieuse du droit au travail, et l’organisation de l’industrie sur la base de la triple association du capital, du travail et du talent. » (Gborobs et Hubert Bourgin, Le Socialisme français de 1789 à I818. Paris, Hachette, p. 49).

Les idées étaient ainsi en travail et en fermentation. Il importe de ne pas oublier d’ailleurs que les cii’constances extérieures se modifiaient aussi pour poser des problèmes nouveaux.

C’était l’heure où les perfectionnements de la machine à vapeur transformaient l’industrie. En raison de leur puissance, les nouveaux engins réclameraient une main-d’œuvre appropriée. L’atelier de jadis, avec son type familial, céderait, de plus en plus, la place à l’usine moderne, concentrant sur un même point des masses ouvrières. El, trop souvent, les marchés du travail présenteraient de pénibles abus. Le libéralisme économique, aveeses invocations à la liberté individuelle théorique, laisserait pratiquement en présence, dans un tête-à-tête inégal, le patron armé de sa puissance et l’ouvrier dans sa faiblesse d’isolé besogneux. Il en résulterait, trop souvent encore, des clauses et des traitementsdontla mémoire assombrit la périodeà laquelle ils se rapportent. Et ces abus se traduiraient par des rancœurs qui activeraient le mouvement socialiste, aisément propagé d’ailleurs dans les foules rassemblées.

En face de ces transformations industrielles, un événement avait eu lieu sur la scène politique. La loi de 1848 avait reconnu à tous un droit desuffrage égal. Il était probable que cette arme serait utilisée par la masse des électeurs ouvriers pour faire aboutir ses revendications.

Et c’est le conseil que lui donne, en effet, quelques années plus tard, Proudhon, le révolutionnaire franc-comtois, le chef d’école d’un socialisme qui porte son nom.

Socialisme de Proudhon. — Proudhon (18091 865) refuse de faire confiance aux intellectuels, à une élite vraie ou prétendue. C’est à la classe ouvrière elle-même de prendre en main sa cause pour la faire triompher. D’ailleurs, Proudhon refuse de prêcher la lutte des classes, il ne croit pas aux bienfaits du collectivisme tel que nous le verrons se formuler tout à l’heure.

Certes, il demeure, en bon socialiste, partisan farouche de l’égalité. C’est au nom de cette égalité, synonyme absolu, pour lui, de la justice, qu’il condamnait tout apanage, tout patrimoine et prononçait d’abord le mot fameux : « La propriété, c’est le vol)>. C’est encore en vertu du même principe qu’il dresse, dans un parallèle souvent blasphématoire, la Révolution, champion de droits pareils pour tous, contre l’Eglise et sa doctrine des différences sociales inévitables ou nécessaires.

Seulement, la liberté ne lui semblait pas moins précieuse. Dès lors, on assiste, dans son œuvre chaotique, à un curieux essai d’harmonie entre ces deux éléments — égalité et liberté —, qui ne peuvent subsister en paix qu’au prix de concessions réciproques. Et voilà Proudhon qui révise sa notion d’égalité, alin de ménager une pince à la liberté. II ne veut pas que l’on prenne « l’uniformité pour la loi » ni le « nivellement pour l’égalité ». A grand