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SOCIALISME

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été tentés d’exploiter les plus faibles et beaucoup ont cédé à la tentation. Le vieil idéal catholique, avec sa hiérarchie des valeurs, a été méconnu, oublié. L’argent n’a plus accepté d’être le serviteur du travail, il a réclamé sa liberté d’allures, ambitionné la’première place, commandé seul les gestes et les démarches. D’où les abus connus du capitalisme, tils du libéralisme économique.

Mais alors, et déplus en plus, d’autres hommes, reprenant la fameuse Déclaration des droits de f Homme, ont estimé préférable d’insister sur la seconde prérogative qui s’y trouvait mentionnée. L’égalité totale, et surtout sous le rapport des ressources, leur a paru présenter des avantages plus substantiels qu’une théorique liberté.

En marquant ainsi leurs préférences, en prenant souvent figures d’adversaires, libéraux et socialistes n’ont point prétendu êire infidèles à l’individualisme dont ensemble ils procèdent. Frères ennemis, ils n’en ont pas moins laïuême origine, bien que leurs conclusions se fassent violemment contradictoires. L’individu est souverain, sur ce point ils s’accordent. Les uns seulement affirment que le principal joyau de la couronne est la liberté, les autres tiennent que l’égalité est de plus haute valeur. Divergences que les situations respectives expliquent et qui laissent subsister le même point de départ lointain.

« De même qu’il y a un siècle, le libéralisme a

soufflé en tempête sur la France, y renversant des institutions antiques, plutôt que de les pénétrer et transformer sans trop de violences, comme il le fit du reste du monde civilisé, de môme aujourd’hui ce monde commence à frissonner sous un vent révolutionnaire nouveau, celui du socialisme.

« Sortis de la même outre d’Eole, des mêmes
« principes de 1789 », ces deux souilles, qui se succèdent

à si court intervalle dans l’histoire, courent néanmoins en sens contraire, le dernier paraissant devoir emporter toutes les voiles mises selon le premier. » (db la Tour du Pin, Fera un ordre social chrétien. Paris, Nouvelle Librairie Nationale, p. 163.)

D’ailleurs libéralisme et socialisme, tout en faisant leur choix dans les prérogatives que l’individu émancipé réclame, n’oublient pas de saluer celles qu’en pratique ils sont contraints de délaisser. C’est ainsi que le libéralisme ne pourra instaurer son règne qu’aux dépens de l’égalité, il voudra cependant, d’ordinaire, lui payer un hommage verbal. Et le socialisme, à son tour, au milieu des consignes draconiennes qu’il est amené à formuler, à imposer, ne négligera jamais d’adresser son compliment à la liberté qu’il immole.

Au surplus, l’histoire elle-même de ces deux mouvements montre leur solidarité dans l’ordre des idées. Les théoriciens socialistes n’ont pas eu souvent d’autre peine que d’emprunter certains principes aux docteurs du libéralisme économique, pour en tirer des conclusions logiques bien que reniées par ces devanciers.

C’est ainsi que le collectivisme a pu prendre chez Adam Smith sa théorie de la valeur, chez Turgot celle du salaire. Et quand il ne veut reconnaître à la propriété d’autres titres qu » ceux du travail ou même d’autres bases que celles de la loi positive, il peut abriter plusieurs de ces thèses sous le patronage de certains penseurs libéraux de jadis ou même sous celui de toute la doctrine officielle moderne. (AîiToms, Cours d’Economie sociale. Paris, A’can, pp. 229 et a30). « Comment cette conception monstrueuse, qu’il faut appeler par son nom, le libéralisme, a séduit les hautes classes, mais a été com battue par l’Eglise ; comment ses applications économiques, le travail sans droits et la propriété sans charges, ont pourtant trouvé des défenseurs jusque dans ses rangs ; comment elle a engendré le socialisme et lui a frayé les voies par ses excès : tels sont les grands problèmes historiques de notre siècle. » (La Tour du Pin, Vers un ordre social chrétien, p. 208).

III. — Histoire du Socialisme en France depuis cent ans

Avant de fixer les diverses nuances sous lesquelles se présente le socialisme de nos jours, il convient de remonter jusqu’à la lointaine et commune origine de ces courants aujourd’hui divisés.

S’il fallait d’ailleurs retrouver la source du socialisme, sous sa forme instinctive, rudimentaire, nous serions contraints de retourner jusqu’aux dates les plus reculées de l’histoire. La protestation ou la révolte de ceux qui se croyaient ou qui étaient lésés se marque à travers les siècles : il serait difficile d’en relever tous les traits.

Nous parlerons donc uniquement du socialisme, qui a pris conscience de lui-même, qui s’est défini, formulé, qui a ses principes et ses objectifs. Encore n’essaierons-nous de le retrouver, avec ses caractères généraux el ses variétés, que sur la terre française. Pour faire le tour du monde à sa suite, il faudrait peut-être quatre-vingts jours et plus ; il y a autant de socialismes que de peuples sur le globe, Même en restant chez nous il sera impossible de présenter ici autre chose qu’un résumé, exact, nous l’espérons, mais fatalement incomplet, et qui s’en tiendra aux types les plus caractérisés.

L’on peut apercevoir la théorie en germe dans certains principes de la Révolution française. A cette époque, le socialisme instinctif, la révolte, trouvait son expression et ses hérauts dans certains hommes et certaines feuilles : Babeuf, par exemple, et le Père Duchesne. Mais nous avons dit que nous voulions parler seulement du socialisme doctrinaire, réduit en formules ou en systèmes. Celui-là n’était pas encore officiellement proclamé, mais il existait déjà implicitement dans certains principes dont il suffirait de développer plus tard les conséquences logiques. Il existait, en particulier, nous l’avons déjà noté, dans cet article de la Déclaration de 1791 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. »

Pour les auteurs de cette proclamation, cette égalité se bornait à la reconnaissance de droits civiques égaux pour tous, à la suppression de certains privilèges. Par ailleurs, ils avaient soin de maintenir l’institution de la propriété privée, source évidente et immédiate d’inégalités tangibles.

Il suffira que leurs successeurs, pour arriver au socialisme, déclarent que l’égalité, dans ces conditions, reste toute verbale et qu’ils prétendent l’établir sous le rapport des ressources pareilles pour tous.

Cette idée égalitaire affectera, au cours du siècle dernier, diverses formes, présentera des exigences plus ou moins absolues, préconisera des méthodes variables. Nous allons la suivre, à grandes étapes, pour arriver jusqu’aux aspects qu’elle a revêtus de nos jours.

a) Le socialisme « utopique ». Il a paru au premier quart du siècle dernier. Les principaux représentants sont Saint-Simon et Fourier.

Saint-Simon énonce ses vues sociales sous cette forme sentimentale et imprécise que nous signalions au début. Le but des hommes, dans leur vie