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SIBYLLES

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cendants de ses compatriotes. Se croyant issus des fugitifs de Troie, les Romains s’appliquaient volontiers des prophéties qui promettaient l’empire du monde à la race troyenne : et le gouvernement, loin j d’ébranler celle confiance, considéra toujours la Si- | bylle comme le guide fidèle de la nation, aux heu- I res de trouble et d’incertitude, quand la religion traditionnelle s’était montrée impuissante à sauver l’Etat et que l’imminence du péril ne permettait pas d’altendre. Les historiens nous font connaître une centaine de cas environ, où le Sénat eut recours aux lumières de la Sibylle ; la vogue de ses oracles fut surtout grande au m’et au n" siècle, lorsqu’une multitude de prodiges inouïs troublaient si fort la conscience romaine. Il était inévitable que les livres sibyllins devinssent aussi un instrument de domination, dissimulé sous les dehors d’une révélation surnaturelle ; le Sénat s’ingénia à entretrenir toujours dans les âmes la foi à ces oracles et ménagea habilement le collège des interprètes, afin de pouvoir compter sur ses complaisances ; aussi bien, ceux-ci découvraient toujours dans le recueil la réponse convenable pour rendre le calme aux esprits. Les lettrés de Rome n’ont pas dédaigné de s’occuper de la poésie sibylline, bien que sa valeur prophétique leur parût sujette à caution. Varron s’est livré à des reclierches approfondies sur l’histoire de cette forme de divination. Gicéron prend la peine d’étudier la composition et le style des oracles ; selon lui, l’inspiration d’un esprit en délire fait défaut à cette poésie qui offre plus d’ait et de soin que de spontanéité et de mouvement, et l’emploi de l’acrostiche en particulier lui semble accuser plus de réflexion que d’enthousiasme véritable. Cicéron affiche d’ailleurs le plus grand scepticisme à l’endroit de la divination sibylline ; il parle avec une raillerie dédaigneuse d’un oracle sur Jules César, où la < ! evineresse, ambiguë à dessein, a évité adroitement toute désignation de personne et de date, pour que la prédiction pût s’adapter indifféremment à toute époque, sans compter l’obscurité voulue de ces vers qui changent de sens suivant l’occasion ; il reproche en outre à la Sibylle d’être partisan durégirue monarchique et de multiplier les superstitions, au lieu d’en guérir les âmes ; pour toutes ces raisons.il estime qu’il est préférable de laisser la Sibylle en paix dans son antre. Virgile parait avoir fréquenté curieusement la poésie sibylline ; au début de la IVéglogue, il annonce, d’après la supputation du temps en usage dans ces poèmes, la venue imminente du dernier âge et le commencement d’un nouvel ordre de choses ; au centre même de l’Enéide, il place la Sibylle de Cumes, qu’ilcharge de dévoiler aux yeux du héros troyen l’histoire future de sa descendance et les exploits fameux qui illustreront la cité souveraine, œuvre grandiose de sa glorieuse lignée.

Sibylle juive. — La société païenne, avec ses vices dégradants et sa corruption étalée au grand jour, n’inspirait en général aux Juifs de la dispersion, obligés de vivre dans son sein, qu’horreur et dégoût ; l’idolâtrie surtout, avec ses divinités innombrables et les vains honneurs qu’on leur prodiguait sans se soucier de devenir meilleur, ne réussit qu’à attirer le mépris et à provoquer les sarcasmes des fidèles adorateurs de Iahweh. Néanmoins, par certains côtés, la culture grecque devait exercer bientôt, sur les enfants d’Israël, une séduction contre laquelle ils ne cherchaient nullement à se défendre. Les Juifs d’Alexandrie en particulier surent apprécier les agréments de la littérature hellénique et s’avisèrent de tirer parti des avantages qu’elle leur offrait pour la défense des intérêts supérieurs de leur race. Loin de manifester aucune méfiance a l’égard des nobles

productions des poètes, des historiens, des philosophes de la Grèce, loin de se montrer réfractaires à l’influence de ces grands esprits, les Juifs firent preuve d’une étonnante souplesse pour s’assimiler tout ce que la culture grecque présentait de compatible avec les prescriptions de la Loi. Ils montrèrent d’autant plus d’empressement à se mettre à l’école des Grecs qu’ils découvrirent chez ceux-ci plus d’une conception qui s’accordait à merveille avec leurs propres croyances. S’il est vrai que, dans ce commerce avec la littérature païenne, l’àme juive n’a rien perdu de sa foi monothéiste et de son inviolable attachement à la Loi de Moïse, on ne s’étonnera pas m n plus que l’idée soit venue à un bon nombre d’Israélites de gagner à leur religion ces Grecs, dont les livres renfermaient souvent des notions si pures sur la divinité et des aspirations moralessi hautes. Aussi bien, la race juive conimençaità être l’objet d’égards inattendus de la part des gouvernements, non moins que des particuliers. Le culte de Iahweh jouissait partout de la tolérance la plus large ; les livres sacrés d’Israël sont traduits en grec ; des écrivains païens, comme Evhémère de Messine, ne dédaignent pas de s’occuper d’antiquités judaïques : Hécatée d’Abdère, contemporain d’Alexandre, avait, dans son Histoire de l’Egypte, longuement décrit les mœurs, les institutions politiques, les habitudes religieuses des Juifs Ainsi les points de contact se multipliaient entre juifs et païens ; et avec le goût du prosélytisme, qui est un des caractères de leur race, les enfants d’Israël en profitèrent aussitôt pour se livrer à une propagande zélée, tantôt se bornant à créer un mouvement d’opinion favorable à leurs communautés, tantôt cherchant à accroître le nombre des partisans de la vie juive.

Mais quel moyen choisir pour atteindre ce but ? Comment réussira-t-on à inspirer aux Gentils de l’estime et de la sympathie pour une race que de gravesdéfauts avaientlongtemps rendue odieuse et dont le genre de vie était, à bien des égards, la condamnation des habitudes et des mœurs païennes ? Comment surtout amener les païens à reconnaître la vanité de l’idolâtrie et à embrasser la pure religion du Dieu véritable et unique ? On ne pouvait songer à confier le rôle de prédicateurs aux antiques prophètes d’Israël ; la forme étrange de leurs écrits leur eût donné une médiocre autorité auprès de ces Grecs polis, amis du beau langage, et d’ailleurs si justement tiers des grands génies qui avaient illustré leurs patries respectives, et. depuis des siècles, formé l’âme des générations. Seuls, lesécrivains grecs pouvaient s’imposer à l’attention des centres de même culture et agir efficacement sur les esprits. Les Juifs se décidèrent donc à placer les idées qui leur étaient chères sous le haut patronage des grands écrivains grecs eux-mêmes, pour en assurer avec plus de succès la diffusion ; l’apocryphisme, qui attribue à quelque personnage révéré du passé des écrits de date récente, fabriqués dans le secret par une main anonyme, fut adopté par rapporta certains noms illustres de la savante Hellade, comme on l’avait déjà appliqué à plus d’une personnalité vénérable de l’histoire biblique. Pour attirer le lecteur grec, on emprunta tour à tour la voix d’Homère, d’Orphée, de Sophocle, de Ménandre, soit qu’on fit des extraits plus ou moins importants de leurs poèmes pour en décorer ses propres écrits, soit qu’où rédigeât hardiment des développements entiers, qu’on publiait ensuite sous leur nom. Personnages légendaires, écrivains dont la réalité historique était certaine, on exploita les uns et les autres pour atteindre plus sûrement l’âme grecque, lui inculquer les idées juives et lui inspirer l’opinion la plus avantageuse possible