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SIBYLLES

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est évident pour tous. » Ailleurs il assure que les devins et les prophètes inspirés « disent beaucoup de choses vraies, tout en ne sachant pas ce dont ils parlent » ; et il invite Ménon « à qualifier de divins ces hommes qui, dépourvus d’intelligence, atteignent le vrai dans beaucoup de grandes choses ». On peut s'étonner du silence d Hérodote à l’endroit de la Sibylle ; cet historien si profondément religieux, qui recueille les oracles avec un soin si empressé, qui en consigne la réalisation avec une complaisance si visible, ne nomme pas une seule fois la Sibylle ; ce n’est sans doute ni ignorance ni dédain de sa part ; comme l’a remarqué M. Bouché- Leclereq, cette abstention systématique est plutôt une concession faite par Hérodote au clergé de Delphes, qui n’aurait pas vu sans déplaisir l’historien célébrer les mérites d’une rivale de la Pythie ; la concurrence de devins, comme Bakis et Musée, dont les oracles sont reproduits par Hérodote, paraissait à Delphes sans doute moins redoutable que celle de la Sibylle, dont les prédictions étaient dans toutes les mains.

Une autre preuve de l’influence de la divination sibylline, se tire de railleries que lui prodigue Aristophane. Ce poète semble mettre sur le même rang la Sibylle et Bakis. Parmi les oracles, dont se repaissait la crédulité populaire, un grand nombre était sans doute attribué à la devineresse ; la foi à ses prédictions était aux yeux des hommes instruits une faiblesse d’esprit, appelée dédaigneusement mCui/iâï, et cette manie ridicule est naturellement imputée par le comique au vieux bonhomme Démos. Aristophane va jusqu'à parodier les oracles euxmêmes, travestissant les formules prétentieuses et les tours énigmatiques en usage dans la poésie sibylline : » mais lorsque les loups et les blanches corneilles, s'écrie un personnage des Oiseaux, habiteront ensemble entre Corinthe et Sicyone, etc… », le poète se moque ici des oracles qui se prêtent à toutes sortes d’interprétations. N’est-ce pas aussi un signe du crédit persistant de la divination sibylline, que l’apparition à l'époque d’Alexandre d’une Sibylle nouvelle, Phænnis ou Phænno, qui affecte de se rattacher directement à son aïeule d’Erythrée ? Au milieu du n' siècle, les Juifs eux-mêmes, ainsi que nous le dirons plus loin, empruntent à la Sibylle son nom, ses formules et une grande quantité d’oracles déjà en circulation, pour gagner des adeptes à la religion de Iahweh et démontrer plus efficacement aux païens l’excellence de la Loi de Moïse : il fallait que la popularité de la Sibylle fût bien grande auprès des masses, pour que les Juifs eux-mêmes se soient couverts de son autorité.

A l'époque impériale, le prestige de la Sibylle n’est nullement amoindri, et sans doute le zèle avec lequel Rome consulte toujours le précieux recueil des oracles de la prophétesse n a pas peu contribué à maintenir sa vogue, t Si nous établissions une comparaison, dit Plularque, entre les dits de la Sibylle et ceux de Bakis, le rapprochement paraîtrait justement blâmable… » Voulant placer la prophétesse hors de pair, Dion Chrysostome ne connaît rien de plus véridique que la Sibylle et Bakis, et rappelle dans un de ses discours les événements prédits par ces deux estimables chresmologues. Aristide affirme à son tour sa foi au témoignage de la Sibylle, de Bakis et des autres devins de même ordre. Quant à Phlégon de Tralles, sa crédulité à l’endroit des Sibylles dépasse toutes les bornes.

Observons toutefois que, dans le inonde grec, la poésie sibylline n’est guère sortie du domaine privé : les Etats ne consultent pas les prédictions de la devineresse qui jouissait d’une si haute autorité

auprès du gouvernement romain ; c’est à des institutions d’un caractère public, comme Delphes. Dodone, Olympie, etc…, que s’adressent les cités, dans les circonstances graves, où l’assistance des lumières d’en haut paraissait indispensable. Les Sibylles sont demeurées les devineresses préférées des particuliers, individus et familles, qui s’aidaient de leurs oracles pour satisfaire leur curiosité, préparer leurs âmes aux événements futurs, conformer parfois leur vie aux préceptes salutaires contenus dans ces menace*, où le moyen de détourner le fléau était généralement révélé à côté de la catastrophe. Par leur étrangelé même, ces poésies bizarres, dont le mystère se laissait à demi pénétrer, avaient un vif attrait pour les âmes ; un événement était-il arrivé contorinément aux prédictions ? on éprouvait un redoublement de foi et de vénération envers la pro.ihélesse, que Dieu éclairait si manifestement ; au contraire, l’accomplissement des menaces de la Sibylle se faisait il attendre, ou la réalité était-elle en contradiction avec les prophéties ?les populations attendaient avec d’autant plus d’angoisse quelque catastrophe plus grave, qui ne tarderait pas à se produire. De très bonne heure, l’autorité de la Sibylle paraît l’avoir emporté sur celle de ses rivaux, comme Bakis, etc., qu’elle finira par reléguer totalement dans l’ombre.

Rome. — Nulle part, les prophéties de la Sibylle n’obtinrent un succès plus grand et plus durable qu'à Itome, le seul Etat où ce genre de divination eut un caractère officiel. Enfermés dans un coffret de Irène, les libri Sibyllini fatales, dont la provenance ne sauraitètre indiquée avec certitude, étaient conservés dans la crypte du temple de la Triade capiloline, puis, à partir d’Auguste, dans le sanctuaire d’Apollon Palatin, sous la statue même du dieu. Dès le principe, c’est-à-dire depuis les derniers temps de la royauté, la garde et l’interprétation des oracles fut conGée à un collège spécial de prêtres, dont le nombre fut porté avec le temps jusqu'à quinze, XV viri sacris faciundis. La consultalion ne pouvait être faite par eux qu’en vertu d’un sénatusconsulte spécial, adiré, inspicere libros, et elle n'était ordonnée que dans les circonstances d’une gravité exceptionnelle, lorsque la paix des dieux protecteurs de l’Etat était manifestement troublée et que leur courroux se manifestait par des événements extraordinaires, tels que : séditions, désastres militaires, épidémies, tremblements de terre, monstruosités physiques et autres prodiges affreux, tetra. Les lextes sibyllins du recueil officiel n’ont d’ailleurs pas pour but d’annoncer l’avenir ; ils contiennent des menaces générales de calamités publiques, avec l’indication du remède convenable pour y mettre lin et rétablir les relations normales entre la cité et ses patrons divins. Les remèdes prescrits, remédia sibyllina, assez variés en euxmêmes, avaient pour trait commun d'être des cérémonies à instituer en l’honneur de divinités étrangères, helléniques ou orientales : supplications solennelles, processions, banquets divins, jeûnes, offrandes d’objets précieux, fêtes expiatoires, jeux, etc…

Les livres sibyllins ont joui longtemps à Rome d’une autorité qu’on a peine à comprendre ; la foi à l’efficacité des mesures qu’ils prescrivaient était absolue ; leur application ponctuelle était un gage certain du retour de la faveur céleste. Cette confiance reposait en grande partie sur la conviction que les prédictions contenues dans le recueil étaient spécialement destinées à la race d’Enée ; la devineresse se rattachait elle-même par son origine à l’antique Troade et témoignait une sollicitude innée aux des-