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SIBYLLES

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Campanie ; l’aspect de ces régions tourmentées, si souvent bouleversées par des tremblements de terre, où les gouffres béants du sol alternent avec les solfatares, invitait les imaginations à y fixer la résidence d’une de ces devineresses farouches, dont les oracles sont hérissés de cataclysmes provoqués par la justice divine. Après la grotte d’Erythrée, il n’est guère de séjour delà Sibylle plus fameux dans l’antiquité que celle de Cumes, sur le littoral campanien, au nord du cap Misène ; on racontait que la prophétesse avait terminé là son existence, qui semblait devoir se prolonger sans lin ; l’urne renfermant ses cendres était déposée dans le sanctuaire d’Apollon Zostérios. A la suite d’un dédoublement, Cumes obtint bientôt sa Sibylle propre, appelée tantôi Démo ou Déruophile, tantôt Deiphobé, tille deGlaucos, ou encore Melankracna, tête noire, de la couleur de son voile. L’auteur de la Cohortatio ad Græcos a donné une description détaillée de l’antre de la prophétesse, qu’il avait visité au cours du m* ou du ive siècle de notre ère ; il le compare à une sorte de basilique taillée dans le roc et comprenant trois bassins, où la Sibylle avait coutume de se baigner avant de rendre ses oracles ; c’est dans l’endroit le plus retiré de la grotte, du haut d’un siège placé sur un tertre, qu’elle vaticinait ; Virgile a dépeint en traits saisissants la violence du délire où la précipitait l’inspiration soudaine d’Apollon. La Sibylle de Cumes avait atteint l’âge de sept cents ans lorsqu’elle accompagna Enée pendant s » descente aux Enfers, et elle devait vivre encore six cents autres années. C’est elle qui, dans une entrevue fameuse, offrit au roi des Romains, Tarquin, le recueil de se ? prédictions ; il est vrai que, d’après Varron, ce prince aurait vécu à une époque trop récente pour avoir été le contemporain de la prophétesse, quelle qu’ait été la longévité de celle-ci. D’après une autre tradition, l’anecdote 6e place sousTarquin l’Ancien, et les oracles auraient été présentés au roi, non par la Sibylle elle-même, mais par une femme ordinaire, du nom d’Amalthée ; il n’est pas douteux que la grande réputation de la devineresse de Cumes se fondait en partie sur la vénération dont étaient entourés les livres sibyllins conservés à Home. La ville de Cumes, étant une colonie de Chalcis, en Eubée, notre propliétesse reçoit parfois l’épithète d’/ùiboïquc.

La Sibylle de Cumes contribua à la formation d’un nouveau groupe de prophétesses de cet ordre, qu’on trouve disséminées sur différents points en Occident. On mentionne une Sibylle Cimmérienne, appelée Carnienta ; Enée l’aurait ensevelie dans l’île de Prochyta.

Durant un voyage en Sicile, la Sibylle de Cumes choisit pour demeure une grotte aux environs de Lilybée et y mourut. Il n’en fallut pas davantage pour la création d’une Sibylle Sicilienne, qui fut mise à son tour en relation avec le roi Tarquin et lui rendit ses oracles. Il est certain qu’après l’incendie du Capitole, en 83 avant J.-C, quand le Sénat romain s’occupa de la reconstitution des livres sibyllins, devenus la proie des flammes, la Sicile fut un des pays visités par les délégués sénatoriaux, à l’effet de recueillir les textes fatidiques.

Au dernier rang de la liste de Varron, est nommée la Sibylle de Tibur, près de l’Anio, on elle était honorée à l’égal d’une déesse ; son nom d’Albunéa rappelait les eaux blanchâtres ou sulfureuses de la région ; on l’identifie parfois avec Carmenta, la mère d’Evandre ; le même nom d’Albnnéa est également donné à la forêt où Latinus vint consulter l’oracle de Faunus et à une source des environs

de Tibur. Dans le lit de l’Anio, on trouva un jour la statue de la Sibylle, tenant à la main un volume d’oracles miraculeusement préservé du contact des eaux ; le sénat de Rome s’empressa de réclamer le précieux rouleau, qui fut annexé au recueil conservé dans le temple de Jupiter Capitolin ; il est vraisemblable qu’il y avait dans ces parages une grotte consacrée à une nymphe ; par suite d’un accident, la statue avait roulé au fond de la rivière qui coule au bas d’une gorge abrupte et sauvage ; on montre encore à Tivoli, l’antique Tibur, surplombant le ravin, un gracieux petit temple prostyle pseudo-périptère d’ordre ionique, qui date des dernier » temps de la République et qu’on a attribué par erreur à la Sibylle Albunéa. Le Sénat, dans un moment de détresse, ayant eu besoin de l’appui d’oracles nouveaux, se sera adressé aux habitants de Tibur, qu’il savait en possession d’un vieux recueil de prophéties. Il faut toujours admettre, d’après ce récit de la translation des oracles d’Albunéa à Rome, que cette Sibylle était vénérée à Tibur avant d’être connue des Romains. Du reste, la Sibylle de Tibur jouira d’une réputation universelle au moyen âge.

Les savants de l’antiquité ont prétendu fixer la chronologie des diverses Sibylles qu’on vient d’énumérer, mais ils ne nous indiquent pas sur quelles bases s’appuient leurs supputations fantaisistes. En général, les Sibylles sont considérées comme d’origine postérieure aux Pythies les plus anciennes ; Eusèbe parle de l’Erythréenne à propos de la 3e année de la q° olympiade ; Suidas la fait vivre ^87 ans après la prise de Troie ; selon Héraclide de Pont, les Sibylles Phrygienne et Troyenne appartiendraient à l’époque de Cyrus et de Solon ; d’après Plutarqtre, la voix de la Sibylle n’avait pas traversé moins de mille ans, quand elle parvint aux oreilles d Heraclite d’Ephèse. Bornons-nous à faire remarquer que les Sibylles du groupe hellénique sont en général de création antérieure à celles du groupe occidental, imaginées presque toutes dans les établissements coloniaux des Grecs.

Physionomie. — La physionomie de la Sibylle, telle qu’elle ressort des légendes, n’offre que des traits vagues et des contours fuyants ; son caractère surnaturel a pour fondement son origine, qui se rattache en général à quelque divinité ; son être physique n’a guère que les apparences d’un corps humain, étant tellement exténué par l’âge qu’elle n’est plus qu’une voix, la voix révélatrice des décrets divins, condition qui achève de lui enlever toute caractéristique vivante et vraiment personnelle ; son existence est celle d’une voyante exaltée, solitaire, mélancolique, tantôt retirée au fond d’une grotte mystérieuse, qu’environne une religieuse terreur, tantôt errant à travers le mondé pour faire entendre partout ses sinistres menaces, toujours accablée sous le fardeau d’une destinée, qui ne connaît que l’horreur des châtiments célestes, que provoque sans répit l’incurable perversité des humains.

Nature de l’inspiration sibylline. — La vision de la Sibylle embrasse à la fois l’avenir et le passé ; son regard contemple aussi bien les événements qui ne sont pas encore que ceux qui se sont évanouis dans les âges les plus lointains ; néanmoins, c’est avant tout l’avenir qu’elle prétend dévoiler et prédire en traits saisissants, et c’est la révélation surnaturelle qui met son esprit en contact immédiat avec des faits, dont elle est séparée parfois par de longs siècles d’intervalles.

Les anciens Grecs connaissaient deux espèces de divination : l’une inductive et médiate, l’autre intuitive et immédiate ; la première est proprement un