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SIBYLLES

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de la tombe, jaillissait une source, dominée par un groupe d’Hermès et de Nymphes ; la pierre tombale portait l’inscription suivante : « Je suis cette Si-" bylle, interprète véridique de Phoibos, ensevelie sous cette pierre, jadis vierge éloquente, maintenant muette à jamais ; la Parque inflexible m’enchaîne ici ; mais par la faveur de Phoibos, dieu que j’ai jadis servi, je repose dans le voisinage des Nymphes et de cet Hernies ».

Les Erythrécns soutenaient leurs prétentions avec' non moins d'énergie. Rejetant l’authenticité des vers où étaient nommés Marpessos et le fleuve Aïdonée, ils montraient sur le mont Korykos l’antre même où la Sibylle avait vu le jour ; ils la disaient tille de la nymphe Idaïa et du berger Théodoros, et selon eux, le mot Ida signilie primitivement pays boisé et n’appartient pas en propre à la montagne de Troade. Apollodore d’Erythrée revendique hautement pour sa patrie la gloire d'être le berceau de la prophétesse ; Lactance, à la suite de Varron, admet aussi cette origine.

Un écho de cette dispute se retrouve dans une curieuse inscription découverte en 1891 à Erythrée (aujourd’hui, Lythri) au fond d’une grotte située au pied de la colline qui porte l’acropole de la ville ; la grotteétait le sanctuaire propre de la Sibylle. L’inscription, composée de huit distiques dactyliques, se place entre les années 162 et 165 de notre ère, probablement après le séjour de l’empereur Verus en Asie Mineure ; elle est gravée sur une base qui supportait jadis quelque ex-voto, et est conçue en ces termes : « De Phoibos je suis la servante, la Sibylle qui prononce des oracles, — fille âgée de la nymphe Naïas — ma patrie n’est pas un autre pays, mais la seule Erythrée — et Théodoros fut mon père mortel ; — le Kissotos a assisté à ma naissance, dans son lit — je suis sortie du sein maternel pour dire aussitôt des oracles aux humains ; — assise sur ce rocher j’ai chanté aux mortels — les prédictions des maux qui par la suite fondront sur eux. — Dans ma vie, qui a duré trois fois cent ans, — j’ai, vierge intacte, parcouru la terre entière ; — de nouveau me voici assise sur cette pierre aimée — jouissant aujourd’hui de ces eaux charmantes, — je me réjouis de voir arrivé enfin le temps véritable — où j’ai prédit qu’Erythrée redeviendrait florissante, — possédant une législation toute sage et la richesse et la vertu, — après que le nouvel Erythros serait venu dans ma chère patrie ».

L’opinion publique en Grèce se prononça en faveur d’Erythrée ; pendant toute la période classique, la Sibylle Erythréenne est la seule que reconnaissent les auteurs ; plus tard, ceux qui n’admettent qu’une seule Sibylle, la font naître invariablemement à Erythrée ; dans notre recueil, la prophétesse laisse entendre que certaines personnes la confondront sans doute avec l’Erythréenne, quoiqu’elle vienne en réalité de Babylone ; sous le règne d’Alexandre, c’est encore à Erythrée qu’on voit surgir une nouvelle Sibylle, Athénaïs, qui confirme la descendance divine du conquérant, et Callisthène n’hésite pas à l’identifier avec l’antique devineresse. A Erythrée, le souvenir d’Hérophile reste entouré d’honneurs jusqu'à la fin du paganisme ; sur les monnaies de la ville, elle est représentée tantôt en sphinx, tantôt sous les traits d’une femme debout sur un char attelé de griffons ; une fontaine lui est consacrée par l’agoranome Eutychianos, avec une inscription commémorative que nous possédons ; un fragment d’une autre inscription nous apprend que la grotte de la Sibylle a été consacrée par un citoyen d’Erythrée à Démêler et aux empereurs Marc-Aurèle et L. Vérus. Légende de la Sibylle. — En recueillant les

indications éparses dans les divers textes littéraires et épigraphiques, on peut reconstituer en partie la légende de la Sibylle, que le lieu supposé de son origine soit Erythrée ou toute autre cité gréco-orientale.

La Sibylle a pour père tantôt Apollon, tantôt un simple mortel, pâtre ou pêcheur ayant nom Théodoros, Aristocrates, Krinagoras etc. ; selon d’autres, elle est la sœur ou l'épouse d’Apollon ; sa mère est une déesse d’un caractère tout aussi imprécis, la nymphe Idaïa, Naïas, Hydolc ; on remarque seulement que l'élément humide prédomine dans la physionomie de cette dernière ; d’après l’inscription d’Erythrée, la Sibylle serait venue au monde dans le torrent Kissotos. Tenant ainsi à ia fois de la nature divine et de la nature humaine, elle est toute désignée pour le rôle d’intermédiaire entre la divinité et la race des mortels. Sa vie entière, toute remplie de prodiges, est une violation perpétuelle des lois de la nature ; à peine a-t-elle quitté le sein de sa mère, qu’elle découvre déjà sa mission prophétique par sa science merveilleuse, connaissant le nom de toutes choses, dissertant sur des questions de haute philosophie, proférant des oracles ; parvenue en un clin d'œil à l'âge adulte, elle manifeste son précoce génie par toutes sortes de créations artistiques ; à Delphes, elle apporte le vers hexamètre daclylique ; elle invente la sambyké, harpe orientale de forme triangulaire. Dès son enfance, elle est consacrée au service d’Apollon, dont elle est l’instrument passif et dont elle reçoit i’inspiration, qu’elle soit devenue son épouse ou qu’elle garde la virginité" ; elle a pour demeure une grotte près de laquelle jaillit une source fraîche et limpide ; assise sur un rocher, elle annonce aux mortels les malheurs qui les attendent ; c’est elle qui a prédit à Hécube, d’après un songe, sa destinée lamentable. Ennemie du repos et de la vie sédentaire, elle parcourt sans répit la terre entière, visitant tour à tour Sainos, Claros, Delphes et une foule d’autres lieux célèbres. A quelle époque fautil placer sa vie aventureuse ? D’après les uns, elle était contemporaine de Tros, père d’Ilos ; d’autres la font vivre au temps d’Orphée et des Argonautes, ou seulement de la guerre de Troie ou plus tard encore, à l'époque d’Homère ou même de Thaïes. Sa carrière, démesurément longue, a duré plus de neuf cents ans, et on comprend sa lassitude de vivre et les regrets que lui inspire l’imprudente prière, qu’elle adressa un jour à ApoIlon.de prolonger indéfiniment ses jours ; le dieu lui accorda autant d’années dévie, qu’elle tenait de grains de sable dans le creux de sa main, à la condition qu’elle s'éloignerait d’Erythrée pour toujours. La vieillesse de la Sibylle était devenue proverbiale ; à la fin, elle était tellement épuisée par l'âge que son corps n’avait plus aucune consistance et qu’elle n'était plus qu’une voix ; à Rome, on racontait plaisamment que sa taille s'était rapetissée et ratatinée ou point qu’on la conservait suspendue dans un bocal à Cumes ; et lorsque les enfants lui demandaient ce qu’elle voulait, elle répondait invariablement : « Je veux mourir. » C’est à Cumes en effet qu’elle expira sous le coup de la vive émotion qu’elle ressentit à la lecture d’une missive qu’elle venait de recevoir de ses concitoyens d’Erythrée. Le lieu de son tombeau est incertain, comme tout le reste ; si Cumes se glorifiait de posséder les restes delà prophétesse, d’autres les croyaient ensevelis sur le rivage d’Erythrée sa patrie, ou encore dans le Téménos d’Apollon Smintheus, en Troade, dont elle avait été la prêtresse. Aussi bien, le rôle de la prophétesse n'était nullement terminé avec sa vie mortelle ; selon ses propres déclarations, son àme, répandue dans les airs, devait se transformer