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PRAGMATISME

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individuelles, la même conclusion. Cette méthode, C’est la méthode scientifique. Qu’il y ait une réalité ou qu’il n’y en ait pas, c’est là une question oiseuse. La méthode scientilique ne saurait prouver l’existence de la réalité, elle la suppose, ou, mieux encore, elle en impose la conviction comme son point de départ ; et, si loin qu’elle ait poussé ses investigations, elle n’a jamais engendré le doute sur ce sujet. Le mécontentement causé par l’incertitudeest un signe que l’on imagine, au moins vaguement, qu’il y a une règle extérieure des opinions. La méthode scientifique assure toujours l’accord des esprits sur les points qu’elle a définitivement acquis. Cela suffit.

Comment la méthode scientilique obtient-elle ce résultat ? En nous donnant le moyen de rendre nos idées claires. Mais il ne s’agit point ici de cette prétendue clarté qui exprime simplement le fait qu’une idée, en réalité obscure, nous est familière, ni même, de la clarté tout abstraite préconisée par Descartés et Leibnitz, qui résulte de l’analyse d’une notion. Pour atteindre à la véritable clarté, il ne faut point perdre de vue la nature de la pensée. A proprement parler, la pensée n’existe qu'à partir du moment où l’expérience a fait surgir un doute qu’il s’agit d’apaiser. Cette finalité de la pensée est donc son caractère essentiel. L’image, l’idée même peuvent demeurer un simple spectacle, elles se prêtent au dilettantisme, mais la pensée marche vers un terme, et ce terme, c’est la croyance.

Le propre de la croyance, c’est de nous fournir une règle d’action. Dès lors, nous avons un moyen bien simple de savoir ce que signifie une croyance et de reconnaître si certaines affirmations se distinguent les unes des autres. « Les différentes espèces de croyances se distinguent par les divers modes d’action qu’elles produisent. Si les croyances ne diffèrent point sous ce rapport, si elles mettent fin au même doute, en créant la même règle d’action, de simples différencesdansla manière de lespercevoir ne suffisent pas pour en faire des croyances différentes, pas plus que jouer un air avec différentes clefs n’est jouer des airs différents. » (/? « >'. Phil., janv. 1879, p. lb) Ainsi, explique Peirce, — qui s’aventure à donner un exemple bien mal choisi, — les catholiques et les protestants ayant à l'égard de l’Eucharistie la même attitude de vénération et de confiance dans ses effets, il revient au même de dire avec les uns qu’il n’y a plus de pain ni de vin après la consécration, mais le corps et le sang du Christ, ou avec les autres que le pain et le vin sont capables de répandre dans l'àme certaines forces spirituelles et d’unir au Christ. c II semble donc, conclut Peirce, que la règle pour atteindre le troisièmedegrédeclarté dans la compréhension peut se formuler de la manière suivante : Considérez quels sont les effets que nous pensons pouvoir être produits par l’objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l’objet. » (Ibid., p. 48)

La formule paraît simple au premier abord ; elle recèle pourtant une ambiguïté fondamentale, que nous retrouverons, avec d’autres encore, dans les déclarations de James. Comment entendre le mot

« effets » ? S’agit-il desimpressions que font sur nos

sens les objets que nous disons réels, par exemple, que le feu est rouge, qu’il brûle le bois, qu’il fond les métaux, etc., ou des attitudes, des actions que ces impressions provoquent chez ceux qui les éprouvent ? Dans le premier cas, l’accord s'établit facilement entre les hommes ; seuls les fous et certains malades n’y participent pas ; mais alors on ne dépasse pas le point de vue de l’empirisme ordinaire. Dans le second, la règle devient originale, mais elle ne semble pas sûre, car un même objet,

dans les mêmes circonstances extérieures, peut ètr «  cause d’attitudes bien différentes chez diverses personnes.

La pensée de Peirce, qui flottait ici entre ces deux explications, paraît avoir penché plus tard vers la première, et il a insisté sur la réalité et l’efficacité de ce qu’il y a de général dans les faits. L’expérience qui donne son sens à un concept n’est pas tel

« événement particulier qui s’est produit pour quelqu’un dans le passé mort, mais ce qui se produira

sûrement pour quiconque, dans le futur vivant, remplira certaines conditions >. (The Monist, avril io, o5, p. 173, Cf. Dict. de Baldwin, vol. II, p. 3aa, au mot Pragmatism) C’est donc vers le futur, et non vers le passé, que se tourne le pragmatiste pour définir le sens d’une idée. Lorsqu’il parle d’expérience, il veut dire que, toutes les fois qu’on agira d’après une certaine idée, on obtiendra tels résultats, et ce sont ces résultats prévus, ces effets pratiques qui constituent le sens de l’idée. Soucieux de dégager ce qu’il appelle maintenant son pragmaticisme de ce qu'était devenu, sous l’influence de James, le pragmatisme, il prend soin de faire observer que, pour lui, le sens de l’idée ne consiste point d ins l’action, qu’il ne fait point de l’action le but suprême de la vie, le souverain bien. L’action n’est qu’un moyen d’atteindre des phénomènes généraux, c’est-à-dire les lois de la nature. Ces lois, bien que non existantes, en d’autres termes, bien que n’ayant pas le même mode de réalité que les faits et les objets individuels, n’en sont pas moins réelles ; ce qui le prouve, c’est qu’elles exercent une influence, elles nous poussent à telle ou telle action.

Ainsi, d’après Peirce, ce qui détermine le sens de nos idées, ce n’est pas notre action en elle-même, mais les résultats généraux auxquels elle aboutit en s’exerçant sur telle ou telle partie de l’univers. Ce sont les réponses des choses, toujours les mêmes lorsque nous les manipulons de la même façon, qui nous fournissent des règles de conduite et en même temps donnent à nos pensées un sens clair et bien défini. Chez Peirce, le pragmatisme est bien déjà la subordination de la pensée à l’action, puisque la première a pour unique fonction d'éliminer le doute et d’arriver à établirune règle pratique, mais ici la connaissance ne paraît pas intrinsèquement modifiée par l’action. L’action provoque la réponse des choses, mais c’est cette réponse qui donne à nos idées une signiûcation. Bien que le problème de la vérité soit envisagé du point de vue de la croyance, l’objectivité de la connaissance n’en semble pas moins nettement affirmée.

II. La Théorie Pragmatiste do la Connaissance et de la Vérité. — Peirce ne s'était occupé que du sens des idées et avait à peine effleuré ce qui concerne leur vériûcation. James, reprenant pour son compte le principe énoncé par ce savant, le développe en différentes directions et, de plus, élabore une théorie de la vérité et de la connaissance. C’est aussi ce qu’entreprennent, chacun à sa manière, Schiller et Dewey.

James adopte le principe énoncé par Peirce en le formulant d’une manière plus large mais encore plus équivoque : « Le sens effectif d’une proposition philosophique quelconque peut toujours êlre amené jusqu'à quelque conséquence particulière dans notre future expérience pratique, soit active, soit passive : le point important résidanten ce fait que l’expérience doit être particulière, plutôt que dans le fait qu’elle doit être active. » (Philosophical Conception and Practical Résulta. Cf. Rev. de Philosophie, mai 1906, p. 467) Le mot conséquence doit être entendu d’une