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SCOLAIRE (QUESTION)

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d’institutions qui, règle générale et réserve faite des fatalités ou des accidents inéluctables, permette à chacun de parvenir, s’il le veut, s’il veut s’en donner la peine, à la forme de félicité qui répond pro tempore à sa condition. Et l’Etat ou la société a rempli toute sa tâche, quand on peut dire qu’il n’a pas dépendu d’elle, et pour autant qu’il était en elle, que chacun n’y parvint effectivement ; en termes plus préeis sans doute : quand aucun n’est exclu, par la faute de la société même, du bonheur temporel ou naturel auquel il a le droit d’aspirer.

Bref, a lin propre ou immédiate de l’Etat ne réside pas dans le bien individuel ou privé, mais dans le bien commun — nous y voilà revenus, mais avec l’avantage, cette fois, de pouvoir donner à ce mot sa signification rigoureuse ; car nous appelons ici bien commun précisément cet ensemble de conditions requises pour que tous les membres de l’Etat aient la faculté d’atteindre, librement, par leur activité propre et dans la mesure du possible, à leur vrai bonheur temporel. Cf. V. CATimBiN, Moralphilosophie, t. 11, p. 436.

On dit : leur vrai bonheur temporel, car celui-ci, c’est trop clair, doit être de telle nature que, non seulement il ne fasse pas obstacle à la lin éternelle, mais même que, pour sa part et toutes proportions gardées, il en facilite l’obtention : d’où il suit immédiatement que les exigences delà religion aussi bien que de la morale y doivent être satisfaites, el qu’en réalisant les conditions propres à le rendre universellement accessible, la société ou l’Etat doit lui-même tenir compte de l’une et de l’autre, de la morale et de la religion.

a. Ces conditions, maintenant, et à peine y devons-nous insister, sont de deux sortes ; ou, si l’on préfère, le bien commun, ainsi précisé et délini, enveloppe deux éléments constitutifs par excellence. Il y a, premièrement, la sauvegarde des droits et libertés légitimes de chacun ; car c’est là, premièrement aussi, l’une des garanties essentielles que les hommes cherchent dans cette forme d’association qui s’appelle la Cité ; puis, en second lieu, un concours effectif, une aide positive, ou un complément réel apporté à l’initiative privée ; car c’est cela encore que les hommes attendent de la communauté politique, c’est le second motif qui les détermine également à y entrer. Il ne s’agit pas seulement pour eux de se prémunir contre les empêchements ou obstacles qui s’opposeraient d’un côté ou d’un autre à la mise en valeur de leurs ressources personnelles : il s’agit encore de compenser le défaut qui, à un moment donné, finit par s’accuser en celles-ci.

En d’autres termes, la théorie de l’Etat juridique, de l’Etat simplement juridique (Rechtstaat de Kant), de l’Etat-gendarme, comme on l’appelle quelquefois, a bien de la peine à n’être pas erronée ; on dirait sans doute avec plus d’exactitude qu’elle est plutôt incomplète qu’erronée, ou, mieux encore, qu’elle ne devient positivement erronée que lorsqu’elle prétend se donner pour complète.’'). On nous saura peut-être gré, avant d’aller plus loin, de citer ici un beau’exte de Suarbz, dont l’exposé qui précède n’est pour une bonne part que le commentaire.

t La puissance civile législative, écrit l’auteur du De legibus, même considérée dans l’ordre de la pure nature, n’a pas pour lin intrinsèque el immédiate le bonheur naturel de la vie future ; bien plus, pas même le bonheur naturel proprement dit de la vie présente en tant qu’il est le fait des hommes pris individuellement et pour ainsi dire un à un, à titre de personnes particulières enfin ; mais je dis que la fin de la puissance civile législative est le bonheur

Tome IV.

naturel de la communauté humaine parfaite, dont elle ; i charge, et îles individus en tant que membres d’un telle commun/iut.

« Et voici à quoi revient ce bonheur naturel de la

communauté humaine parfaite el de ses membres : c’est à savoir, qu’ils vivent dans la paix et dans la justice ; qu’ils jouissent en quantité suffisante des biens qui se rapportent à l’entretien et à la commo dite de la vie corporelle ; et que fleurissent dans l’Etat les bonnes mœurs, indispensables à sa paix el à sa prospérité ainsi qu’à la conservation de la nature humaine’.

« Telle est la doctrine de saint Thomas, I a II æ, 

q. xc. etc., où il enseigne que le but des lois humaines réside dans le bien commun de la Cité et qu’elles ne peuvent rien prohiber ou prescrire qu’en vue de ce but même 2 ».

4. Nous avons sans doute donné beaucoup de développement à ces préliminaires ; qu’on nous permette pourtant d’y appuyer un instant encore, tant il nous paraît que nous touchons au point vif de la question, qu’il aura sufli de mettre une bonne fois en lumière pour que le reste aille comme de soi. Voici ce que nous voulons dire exactement.

On vient de voir que le but immédiat et la mission essentielle de l’Etai est de procurer le bonheur temporel ou naturel des citoyens ou des sujets, ce que l’Ecole appelait « la pleine satisfaction des divers besoins de ia vie », vitue su//icientia perfecta, — en vue de laquelle précisément les hommes se réunissent sous forme de sociétés politiques ou civiles 3. Cette mission, l’Eiat la remplit tout d’abord négativement, si l’on peut dire, par la protection de l’ordre juridique et social ; puis, d’une manière plus positive, en édictant toute espèce de dispositions propres à promouvoir directement la prospérité commune, c’est-à-dire à favoriser le développement des initiatives privées et à suppléer, le cas échéant, à leur insuffisance.

Mais prenons-y bien garde, ce bonheur temporel et naturel que l’Etat a pour rôle propre de garantir à ses membres, ce n’est pas des lors leur bonheur comme individus, mais précisément comme associés,

1. Ou, si l’on eut, « avec le degré de moralité qu’exigent la piix et la prospérité de l’Etat, non moins que la conservation de la nature humaine ».

2 Op cit., III, xi, 7 : AHdo 3° potestatem civilem legiâlativam, etiam in pura mitura spectatam, non habere pro fine intrinseco et per se insliluto feli< itutem naturalem futuræ vitæ ; imo, nec proprjam félicita tem naturalem vitæ præsentis, quatemis ad sin^ulos homines, ut particulares personæ sunt, perlineie p>test ; sed ejus finem esse félicitaient naturalem communitatis humanæ perfectar, enjus curam gerit, et sintrulorum hominum ut sunt mentbra totius communitatis, ut in ea scil. pace et justilia vivant et cum sufficientia bonorum, quæ ad vitæ corporalis conservationem et commoclitatem spectant, et cum ea probitate morum, quæ ad liane externam pace m et felicitatem reipublicæ et convenientem humanæ naturae conservationem necessaiia est. Il iec est mens D. Thomae, I" II"*, q. xc, a. 2 cum q. xc.v, a. 1 et 4, q. xevi, a 2 et 3, et q. xcix, a. 3, in quibna docet et déclarât finem humanaium legum esse commune bonum civitatis, et i I lu tantum prohibere ac præciperc quæ huic fini consentanea sunt.

3, Cf. v. g., De re.’.'i’mine principum, I, 1 : « Cum autem horaini competat in multitu Une virere, quia sibi non sufficit ad necessaria vitæ « ï solitarius maneat, oportet quod tanto sit perfectior miilliludinis societas, quanto magis per se sufficiens erit ad nrcessaria vitae. Hahetur siquidem aliqua vitæ sufficientia in familia domus unius, quantum scil. ad natura es aotus nutritionis et prolis generandae et aliii hujusmodi ; in 11110 autem vico, quantum ad ea quæ ad unum artificiuin pertinent ; in civitale vero, quæ est perfecta contmunitas, quantum ad omnia neeettaria vitae. »

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