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SCOLAIRE (QUESTION)

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QUESTION SCOLAIRE. — III. Fondements du droit en matière d’enseignement et d’éducation. — Avant- propos. —). t>u rapport de l’initiative privée aux pouvoirs publics en général. — II. Application de ces principes à la liberté d’enseignement. — III. Ré onse à une objection courante. — IV. Vraies attributions de l’Etat. — V. Point de vue surnaturel. — Le droit des parents chrétiens. — Conclusion.

Il se fait beaucoup de bruit en ce moment autour de certains projets de lcis relatifs à lecole. Qu’ils menacent ou non la liberté d’enseignement — peut-être y aurait-il lieu de distinguer à cet égard entre l’idée générale et ses applications concrètes —, toujours est-il que la question se trouve posée derechef et dans toute son acuité. Faut-il le dire ? le présent travail n’a pas pour objet de la résoudre, il y a longtempsque la saine philosophie l’a résolue, mais bien de mettre dans une plus vive lumière — on ose du moins l’espérer — quelques-uns des principes dont elle s’inspire à cette lin et sur lesquels, pour élémentaires qu’ils soient, il est toujours à propos de rappeler l’attention, surtout dans notre pays.

Au vrai, la plupart des Français ne se font-ils pas aujourd’hui de la liberté d’enseignement, sans doute sous l’influence des théories ou plutôt des réorganisations napoléoniennes, ou plutôtencore de ces réorganisations érigées en théories, une conception fort inexacte ? Est-ce tellement excéder de soutenir qu’un trop grand nombre même de catholiques en France (nous n’avons pas qualité pour parler des autres nations) n’ont pas ou n’ont plus dans ce domaine une conception assez nette et assez vive de leurs droits ? Ainsi que le remarquait naguère l’illustre Lucien Brun, l’omnipotence de l’Etat enseignant est trop facilement acceptée comme un dogme indiscutable par la grosse majorité de nos concitoyens ; et, même parmi nous, il ne manque pas depersonnes, redisonsle, qui, sans trop s’en rendre compte, inclinent à considérer cette liberté d’enseignement comme une sorte de concession consentie aux particuliers par l’Etat, ’comme une faveur que leur fait, que veut bien leur faire l’Etat, seul juge de la mesure dans laquelle il lui convienld’en étendre etsurtoutd’en restreindre l’octroi.

C’est contre cette erreur funeste au possible — car enlin, c’est une erreur, tout ce qu’il y a de plus erreur, on va s’attacher à en administrer la preuve péremptoire, — c’est contre cette erreur « étatiste », comme elle s’appelle, d’un mot aussi disgracieux que la chose est laide, qu’il convient, qu’il importe au premier chef de nous prémunir, et de prémunir les autres. En d’autres termes, ce sont les droits des parents, des parents chrétiens, ce sont les droits de l’Eglise aussi (le lecteur verra plus loin de quelle admirable manière ils se rejoignent et se fortifient les uns les autres), dont nous devons nous employer, par une campagne infatigable, à réveiller chez les parents même la notion, le sens et la iierté, avec, s’il plaît à Dieu, une indomptable volonté de tout mettre en œuvre pour les défendre et, au besoin, les reconquérir.

Tel est le but qu’on se propose dans les pages qui suivent.

C’est au point de vue du pur droit naturel qu’on s’est placé avant toute chose, mais sans s’interdire d’ajouter un mot sur le rôle qui revient dans l’espèce à l’Eglise ; comme ce sont aussi les prérogatives inaliénables de ia famille en pareille matière qu’on entend justifier de ia sorte. Entreprise toujours opportune, mais qui ne l’a peut-être jamais été autant qu’aujourd’hui. Il ne paraît pas moins oppor 0. M. L ^

tun aujourd’hui de faire valoir ce double point de vue. Il y a même des chances pour que ce soit plus opportun que jamais.

I. — Du rapport de l’initiative privée aux pouvoirs publics en général.

I. Ce n’est pas chose bien malaisée, en somme, que de marquer avec précision les limites du droitdel’Etat en matière d’enseignement, au regard surtout du droit de la famille. Il suffît pour cela, comme en toute question de ce genre, de remonter à la notion de l’Etat même, et notamment de sa fin propre, car elle mesure exactement son pouvoir. Tout le monde, ou peu s’en faut, est d’accord à reconnaître que cette fin propre de l’Etat est le bien commun (ou public) : mais que faut-il entendre au juste par le bien commun ?

« Le bien commum » est une formule très

élastique, dont on peut étendre l’application à son gré, comme on peut aussi la restreindre plus que de raison. Il importe donc au premier chef que nous nous essayions à en fixer le sens avec laplus grande rigueur possible.

Or la voie la plus simple pour y réussir sera de nous demander pourquoi les individus, ou plutôt les sociétés primitives et inférieures auxquelles il appartiennent d’abord, évoluent spontanément en sociétés politiques ou proprement dites. C’est toujours le même besoin qui a déjà déterminé la formation de ces communautés inférieures elles-mêmes, c’est toujours le même besoin, mais agissant, si l’on peut dire, sur une plus large échelle, auquel il faut nous reporter. De même donc que les familles, par exemple, se réunissent en tribus ou bourgades ou communes pour s’entr’aider dans la poursuite du bien-être — on donne à ce mot son sens le plus plein et le plus élevé. — de même familles et tribus on communes s’associent à leur tour sous forme de cité en vue de suppléer par leur agrégation même à l’insuffîsance qui résulte ou, pour mieux dire, résulterait, de leur isolement, en vue de fortifier leur faiblesse à chacune par leur puissance à toutes ; afin de s’assurer les unes aux autres et les unes par les autres, en combinant leurs efforts et en faisant échange de bons offices, la somme des biens nécessaires pour mener une vie vraiment humaine et jouir du bonheur qu’on peut raisonnablement souhaiter ici- bas.

A cause de quoi Aristotr considère à juste titre comme le caractère distinctif ou le trait différentiel de la Cité (ou de la société civile ou de la Tronic) ce qu’il appelle l’aÙTa^xEia, littéralement — : la suffisance à soi-même, le fait de se suffire complètement, étant pourvu de tous les moyens, ressources ou capacités requises pour satisfaire à toutes les exigences normales de la vie (Cf. v. g. Polit., III, 9).

Telle est donc la fonction propre de la société civile : garantir à tous ceux qui la composent, individus, familles et tous autres groupements naturels ou volontaires, la possibilité d’un plein et légitime développement. D’un mot, c’est en elle et par elle que la félicité devient sur cette terre pratiquement possible ou accessible à tous.

Ce qui ne veut pas dire, remarquons-le avec soin, qu’il luiappartienne défaire, directement et par elle-même, lehonheur des individus (groupés ou non de la manière qu’on vient de rappeler, c’estentenduune fois pour toutes). Le bonheur pour chacun de nous consiste dans un état subjectif et dépend de notre appréciation personnelle ainsi que de notre libre elïort : chacun estet doit être en ce sens l’artisan de sa proprefélicité ; on ne rend pas un homme heureux malgré lui. — Non, mais la société civile et partant l’Etat a pour rôle primordial de réaliser, autant que faire se peut, tout un ensemble de dispositions et

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