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SCOLAIRE (QUESTION,

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Le moyen âge met sous nos yeux un admirable type du pédagogue catholique qui se courbe vers les petits enfants, qui les examine, qui les analyse ; c’est Gerson, l’auteur de l’exquis traité sur la façon d’amener les enfants à Dieu. Il est chancelier de l’université de Paris, orateur dans les grands conciles : mais puisque la religion lui ouvre ces petits cœurs, pour reprendre l’expression de M. Buisson, pourquoi Gerson, grand liseur, se détournerait-il de ces beaux livres que sont des cœurs d’enfants ? Il réunissait donc les enfants dans la nef d’église, pour leur faire le catéchisme. On lui disait : Quelle distance il y a entre vos habitudes et les manières de ces gamins 1 Ou bien : la belle occupation pour un chancelier 1 Ou encore : Ce n’est ni le temps ni le lieu pour un tel enseignement. Ou enfin : Vos rivaux vont calomnier votre apostolat. (Grrson, Traité du devoir de conduire les enfants à Jésus-Christ, trad. Saubin, p. Ii et suiv. Paris, Bloud, 1901).). Gerson laissait dire, et continuait de catéchiser. Il confessait, pour « aider les enfants, disait-il, à nettoyer leur esprit avec le balai de leur propre aveu » (op. cit., p. 55) ; mais il énumérait d’autres moyens de les amener à Dieu : la prédication publique, l’avertissement particulier, et puis l’enseignement officiel. Et certes Gerson n’eût pas admis que l’enseignement officiel lui fut fermé, car il remarque, en un endroit, que « le Christ supporte avec douceur même les crimes des publicains et des pécheurs, même les colères de la fausse justice des pharisiens, mais qu’il conçut de l’indignation, nous ilit l’Evangile de saint Marc », quand les apôtres voulaient empêcher les petits enfants de venir à lui et voulaient écarter ceux qui les présentaient (op. cit., p. 17-18).

Ainsi parlait Gerson au début du quinzième siècle ; et dans ces lignes se condensait tout le respect et tout l’amour avec lequel la vieille pédagogie chrétienne se penchait vers l’àine des enfant ». Quelques années s’écoulaient, et la résurrection de l’humanisme païen créait à cette pédagogie des devoirs nouveaux.

La culture littéraire, en effet, prenait dans l’éducation une place de plus en plus prépondérante. Que serait-elle, cette culture ? demeurerait-elle un hommage à Dieu ou deviendrait-elle une concupiscence de la pensée ? Question émouvante, question tragique ; elle occupe l’intelligence, la conscience, des pédagogues catholiques du temps de la Renaissance, un cardinal Dominici, un Vives, un Silvio Antoniano, Comment la question se posait, nul, je crois, ne l’a mieux expliqué que le cardinal Newman, dans un discours prononcé à l’université de Dublin. Avec son habituelle subtilité de nuances, Newman observait que les œuvres littéraires nous olTrent généralement l’image de l’homme naturel, de l’  « homme doué de sensibilité, d’intelligence, d’énergie, en dehors de toute grâce extraordinaire, en dehors de toute foi religieuse définie, et que parfois elles nous offrent l’image de l’homme rebelle et pécheur ». Faudra-t-il donc bannir de nos écoles la littérature, demandait le cardinal, « puisque cela sent si fort le vieil Adam ? » Mais non, répondait-il ;

« nous ne pourrons empêcher le jeune homme

de se trouver plongé, le moment venu, dans les habitudes et maximes du monde », et Newman insinuait que l’on pouvait au contraire se servir de la littérature pour l’habituer à ne pas confondre la beauté et le péché, la vérité et le sophisme, l’in offensif et le poison. Mais il faut, continuait-il, que l’Eglise entre à côté de la littérature, l’Eglise qui n’a peur d’aucune connaissance et qui les purifie toutes, qui ne mutile pas notre nature, mais en cultive

toutes les facultés (N’rwman, The idea of a Univer sity. Disc, ix, cité dans Bremond, L’enfant et la vie, p. 146-149. Paris, Relaux 190a.)

M. l’abbé Bremond, qui cite cette page de Newman dans son livre très suggestif : l’Enfant ti la vie, nous expose une seconde raison de souhaiter qu’à côté de la littérature l’Eglise fasse son entrée pour lutter contre ce dilettantisme auquel la familiarité des études littéraires convie parfois l’âme du jeune homme, il paraît à M. l’abbé Bremond presque indispensable que le même homme qui initie l’imagination des enfants au charme des beautés artistiques, sache en même temps leur apprendre, et d’exemple, et de parole, à subordonner et faire concourir les jouissances littéraires à une fin plus élevée. Et le prêtre, ajoute-t-il, semble plus que personne à la hauteur de c tte délicate mission. Tout récemment le P. Lhande, dans le livre qu’il consacrait à un maître humaniste, le P. Longhaye, nous montrait, par les souvenirs de ce maître, par l’examen de sa Théorie des belles lettres, comment l’éducateur, qui professe que la saine littérature ne va pas sans psychologie exacte, et sans une morale complète, peut transformer son enseignement en apostolat. Et si d’aucuns redoutaient qu’un pareil souci put nuire à la valeur littéraire de l’enseignement qui s’en inspire, je me hâterais de leur opposer le jugement que portait récemment, sur la Théone de l’éloquence du P. Longhaye, un ministre d’hier. Elle est, écrivait M. Léon Bérard, a l’une des plus justes, des plus fécondes, des plus humaines qui aient été proposées » (Lhanor, Un maître humaniste, le P. Longhaye, p. x-xi. Paris. Gigord, 1923).

Voici se dessiner encore, dans un autre sermon de Newman sur le danger de la culture libérale, un troisième motif qui rend désirable l’intervention du prêtre dans la formation littéraire. Newman fait observer que Dieu nous a donné notre sensibilité pour nous amener à l’action, et que cependant les beaux sentiments développés en nous par la lecture d’une belle fiction littéraire ne sont pas suivis d’action ; nous n’avons rien à faire après avoir fini le livre ; nous lisons, nous sommes pris, doucement ou violemment remués, et puis c’est tout. Nous rentrons dans le calme, et il ne reste rien de tout cela. Et Newman redoute que nous en venions peu à peu à éprouver des émotions, sans que la pensée ou le désir d’un acte correspondant à ces émotions soit remué en notre àme. Ce serait grand dommage que l’habitude d’émotions toutes littéraires détruisit toute influence du sentiment sur la volonté, car alors, questionne Newman, « si les fils de communication entre les sentiments et l’action pendent snns force et ne servent plus à rien, comment nous déciderons-nous à agir quand sonnera l’heure du devoir ? » (Nhwman, Parochial and Plain Sermons, II, sermon 30, cité dans Bremond, op. cit., p. i.’igi 51). Raison suprême pour faire collaborera la formation littéraire de l’enfant quelque àme sacerdotale, où l’émotion religieuse, sans cesse renouvelée, j’allais dire sans cesse rajeunie, par l’ascension quotidienne vers cette montagne sainte qu’est l’autel, soutient et suscite, quotidiennement, une vie de sacrifices, une vie conçue et pratiquée à la façon d’une offrande.

Les inconvénients possibles d’une culture littéraire trop éprise de ses propres attraits, trop tournée vers le dilettantisme, sont ainsi pr : venus ou corrigés. L’Eglise, qui jadis sauva les lettres, ne permet pas qu’elles dégénèrent en un instrument de jouissance, ou bien une délectation d’amateurs ; elle ne permet pas que la culture littéraire oublie