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SCHISME D’OCCIDENT

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qu’on semblait n’avoir plus de chef précisément parce qu’on en avait trop.

C’est qu’en effet cette première note de la véritable Eglise consiste surtout dans l’unité du chef, qui doit être le gardien divin de l’unité de foi et de l’unité de culte. Or, en pratique, il n’y avait pas alors erreur volontaire sur la nécessité de ce caractère de la vraie Eglise ; encore moins y avait-il révolte coupable contre le chef connu. Il y avait simplement ignorance, et ignorance invincible chez la plupart, sur la personne du pape véritable, sur celui qui était à cette époque le dépositaire attitré et visible des promesses du chef invisible Habemus tmionem finis scilicet quærendi pacem, Ucet sit varietas in mediis, scilicet in vus ad unitatem, dit P. d’AiL-LY en 13y6. Cf. Ehrlb, Martin de Alpartils, Clirontca aclitatorum temporibusD- BenedîctiXHl, 1906, pp. 4 76 et (86.

Comment, en effet, dissiper cette ignorance ? Les seuls témoins des faits, les auteurs de la double élection, sont identiquement les mêmes personnages. Les cardinaux de 1 3~8 ont eu des opinions successives ; ils ont tour à tour témoigné pour Urbain, premier pape élu, puis pour Clément d’Avignon. A qui croire ? Aux membres du Sacré-Collège, choisissant et écrivant en avril, ou aux mêmes cardinaux parlant et agissant contradictoirement en septembre ? A Fondi est le point initial de la division ; c’est là aussi qu’il faut chercher les lourdes fautes et les écrasantes responsabilités.

Les évoques, les princes, les théologiens et les canonistes sont demeurés dans une perplexité dont ils n’ont pu sortir, par suite des témoignages peu concordants, peu désintéressés et parfois peu sincères des cardinaux. Dès lors, comment le peuple fidèle aurait-il pu sortir d’incertitude et se former une opinion moralement sûre ? Il s’en est rapporté à ses chefs naturels qui, ne sachant exactement à quoi s’en tenir, suivaient leurs intérêts ou leurs passions et s’attachaient à des vraisemblances. Terrible et angoissant problème, qui s’est posé pendant près de quarante ans et qui a tourmenté deux générations de chrétiens ! Schismeau cours duquel nul n’a d’intention schismatique ! J’en excepte peut-être quelques personnages très haut placés qui auraient dû faire passer les intérêts de l’Eglise avant leurs convenances particulières. Je fais aussi abstraction de quelques docteurs de l’époque, dont les opinions extraordinaires montrent bien quel était, au moment de la scission, le désarroi général des esprits. Certaines thèses extravagantes, qui semblaient jusque-là n’être que des exercices abstraits de l’école, se concrétisent, s’actualisent dans des propositions outrées, et se soutiennent avec ardeur, rue du Fouarre ou place Maubert.

Do jeunes théologiens, sophistes plutôt que sa▼ants, se demandent si le pape est bien nécessaire à la société chrétienne, si c’est sur Pierre ou sur le Christ lui-même que le Rédempteur a bâti l’Eglise, si c’est le pontife souverain, ou l’Eglise particulière de Rome, ou encore le concile général, ou enfin l’Eglise universelle seule qui est infaillible. D’autres, avec Gerson, ne vont pas seulement jusqu’à soutenir le régime aristocratique dans l’Eglise, mais ils descendent jusqu’aux pires théories de la démocratie multitudinisle. Enlin, quelques-uns, plus radicaux encore, osent déclarer que chaque pays devrait avoir son pape à lui ; ils réclament des églises nationales ou ils osent prétendre qu’il serait mieux de n’avoir plus de pape(VALois, I, p 35 1 ; IV, p. 501). Leschisme produit ses fruits de mort, c’est l’anarchie des doctrines ; schisma est unitas illis (Tbrtullirn). Ce sont là des cas exceptionnels, anormaux et, pour tout

dire, monstrueux. C’est le fait de « ces cervelles chaudes, aiguës et conlentieuses », dont parlera plus tard saint François de Sales. Fénelon aurait pu dire de ces précurseurs du gallicanisme : « Rien de sage ne leur plaît : toute mesure leur est à mépris ; rien d’énorme et d’extravagant qui ne les charme. » Encore ces bacheliers élevés dans les cris de l’école, ces docteurs d’erreur prennent-ils soin de nous prévenir qu’ils n’affirment rien, qu’ils se contentent d’exposer, expositive, recitative, dispntative, non affirmative (Cf. Pikruk d’Aii.ly, évêque de Cambrai, In opp. Gersonii, l. I, ool. 929). Pour eux.ee sont des exercices d’étudiants, des jeux d’esprit ou des sujets de libre discussion qu’ils proposent, 6k yvfudÇm », comme on disait du temps d’Origène.

On nous objectera peut-être que les papes rivaux et leurs partisans se renvoient mutuellement les épithètes de schismatique, voire même d’hérétique. Qu’on se souvienne qu’à cetle date la signification de ces deux termes n’était pas encore fixée avec la précision théologique qu’ils ont aujourd’hui ; et qu’on les a pris autrefois dans un sens beaucoup plus large.

Donc, à part ces exceptions 1, personne à cette époque n’était formellement schismatique ; nous nous trouvons en face d’ignorants ou d’égarés, et non pas vis-à-vis de coupables. Nous plaidons en faveur de l’immense majorité du clergé et du peuple chrétien la bonne foi qui exclut toute faute, et nous soutenons l’impossibilité où se trouvaient les fidèles d’arriver à la vérité sur ces faits historiques si complexes, où se mêlaient tant de passions si acharnées et tant d’intérêts si divers.

C’est bien ce qui résulte d’ailleurs de l’étude des faits et des documents contemporains. Le prince qui a été le plus mêlé aux commencements du schisme est le roi Charles V. Or, voici les graves paroles qu’il prononce sur son lit de mort, le iG septembre 1380 : a Si l’on me dit que je me suis trompé, ce que je ne crois pas, mon intention, sachez-le bien, est d’adopter et de suivre l’opinion de notre sainte Mère, l’Eglise universelle. Je veux obéir sur ce point au concile général ou à tout autre concile compétent qui pourrait statuer sur la question. Dieu veuille ne pas me reprocher ce que j’ai pu faire, à mon insu, contre cette décision fulure de l’Église I » (Cf. B. Haurrau. Notices et extraits de quelques manuscrits latins de la Bibl. nation., t. 1, p. 340. — Noël Valois, La France et le grand Schisme, t. I, p. 327. — L. Salrmbier, Le grand Schis : ne d’Occident, p. io4). Voilà des paroles vraiment royales et admirablement chrétiennes. Louis d’Orléans et Louis de Bourbon tiennent le même langage dans leurs testaments. (Cf. Noix Valois, t. IV, p. ^94) Ainsi parlaient vers cette même date Louis de Macle, comte de Flandre. (Cf. Baluzb, Vitæ Paparum Avenion., t. L col. 492 et 551. — L. Salrmbier, loc. cit., p. 73), et Jean de Montfort, duc de Bretagne.

Quoi de plus touchant que leurs déclarations si simples et si parfaitement orthodoxes I Dans la suite, ces sentiments de vrais chrétiens ne changeront pas. Ecoutons le langage de l’Université de Paris en 1 38 1 (Ibid., IV, p. 496). Lisons les ins 1. Voir sur tous ces points le traité de Hesumpta d «  P. d’An. i.v, composé deux ans après l’é-dosion du schisme (1380). In opp. Gersonii, édit. Ellies-l’u, >in, t. I, coll. 609, 689. En 1394. l’Université de Paris se plaint de ces propos scandaleux, dans sa l « : ttre à Clément VI. — Cf. Demi if. Charltilarium. t. III, p. 633. — Pastoh, Histoire des Pupei, t I p. 192. — Mrtene et Durand, Thésaurus anccdolorum t. ii, pp. ilin ! , 146/|, 149"-