Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/617

Cette page n’a pas encore été corrigée

1221

SAVONAROLE

1222

passait des nuits entières à les contempler, à se laisser hypnotiser par eux. En chaire, quaiu ! il racontait ces visions, quand elles flottaient devant lui et le jetaient dans une sorte d’extase, il semblait hors de lui-même, il passionnait, il soulevait son auditoire. La popularité de deux de ces visions — celle de l'épée du Seigneur et ctlle des deux croix : la croix de la colère et la croix de la miséricorde, — représentées dans un nombre incalculable de gravures et de médailles et reproduites dans les éditions des œuvres de Savonarole, montre la profondeur de l’enthousiasme qu’il suscitait et qui, à son tour, l’exaltait davantage ; il était successivement » la cause et la victime de cette effervescence », dit 1'. Villar], t. I, p. 19a.

b) /.annonciateur d'événements futurs. — Savonarole ne se contenta point d’enseigner des vérités connues par des visions divines ; il annonça l’avenir. Là-dessus il importe de consulter son Compendium revelationum. Il y expose qua, ayant, en des temps divers et de diverses manières, prédit, par l’inspiration divine, plusieurs choses futures, il l’a fait avec parcimonie et ne s’est jamais expliqué dans le détail parce qu’il n’y avait pas été poussé par le Saint-Esprit et qu’il n’avait pas jugé las esprits disposés à recevoir ces lumièras. Mais maintenant il est incité à écrire quelques-unes des choses futures, qu’il avait prédites publiquement, surtout les plus importantes, car elles ont été mal rapportées ou comprises par les auditeurs. Poux que tout le monde puisse les connaître exactement, il publie son écrit dans les deux langues, italienne et latine.

Parmi les événements prédits par Savonarole, il s’en trouve qui étaient naturellement prévisibles, de l’avis de Schnitzkr. Que Laurent de Médicis et Innocent VIII dussent mourir bientôt, ainsi que Savonarole l’annonça en 1^91, c’est ce qui pouvait se conjecturer arec vraisemblance, vu leur état de santé. Mais, d’après Schnitzer, d’autres événements échappaient à toute prévision humaine. Savonarole ne pouvait prévoir naturellement ni la séparation de la congrégation dominicaine lombarde et delà congrégation toscane ; ni l’expédition de Charles VIII, le » nouveau Cyrus », en Italie, son entrée à Pisepuisà Florence, le renversement des Médicis, le retour de Charles en France après s'être frayé un chemin au milieu de forces supérieures liguées contre lui, et le coup de fouet qu’il recevrait ensuite ; ni l'échec de l’attaque, si bien concertée par Pierre de Médicis et l’empereur contre Florence ; ni sa propre mort, non point dans un lit, mais sur la place de la Seigneurie, dans un bûcher, après quoi on lui passerait une corde au pied et l’on jetterait ses restes dans l' Arno. Convenons que tout cela est impressionnant. Lncore faut-il noter que l’annonce de pareils événements pouvait être faite avec des chances de réalisation douteuses mais réelles. L’arrivée de Charles VIII en Italie, son passage à Pise et, en suite de son entrée à Florence, l’effondrement des Médicis, comme aussi l’inanité de la coalition ligurienne pour barrer à Charles VIII le chemin de la France ou celle des efforts combinés de Pierre de Médicis et de l’empereur contre la république florentine, n’avaient rien d’improbable. Pareillement, sachant l'état des esprits et la nature des hostilités qu’il avait suscitées, Savonarole pouvait s’attendre à mourir par le supplice du feu et à ce que ses restes fussent jetés dans le fleuve : l’histoire de Jeanne d’Arc montre qu’il n’y avait rien là qui ne fût conforme aux mœurs du temps. La séparation des congrégations lombarde et toscane était dans l’ordre des choses possibles. Que, parmi ces possibilités, ce |

soient celles qu’avait prévues Savonarole qui se sont réalisées, c’est, à coup sur, une belle réussite humaine ; ce n’est pas nécessairement le signe que Dieu eût parlé au moine florentin.

Du reste, toutes les prédictions de Savonarole ne se réalisèrent pas, à commencer par les plus importantes : celles de la rénova tio Ecclesiæ toute proche et de la conversion des Turcs. D’après Schnitzer, p. 6^7, « si, maintes fois, Savonarole s’est trompé, il n’y a là aucune preuve contre l’authenticité et la loyauté de sa conviction prophétique ». Contre la loyauté de sa conviction prophétique, soit ; contre l’origine divine de ses prophéties, il y a là quelque chose. Les prophéties fausses rendent au moins suspect le caractère divin des prédictions vraies.

Les circonstances dans lesquelles apparurent ces faussetés ajoutent à l’inquiétude. Quand il prophétisa la conversion des Turcs, Savonarole était l'écho d’une opinion courante. Vers la Gn de sa vie, il avait osé provoquer un miracle. Tenant en main le Saint-Sacrement, le dernier jour du carnaval de 1498, il s'était écrié en présence du peuple : « Mon Dieu, si mes paroles ne viennent pas de vous, réduisez-moi à l’instant en poussière. » A plusieurs reprises, il prélendit que ses dires seraient confirmés par des signes surnaturels. Quand l’ordalie du feu fut proposée et rendue inévitable, Savonarole, qui d’abord avait mal accueilli le projet, crut sans doute que l’heure du miracle était venue. Il annonça que ses frères qui entreraient dans les flammes en sortiraient sains et saufs ; lui-même, si ses adversaires voulaient s’engager publiquement à faire dépendre de l'épreuve du feu le jugement de sa cause et la réforme de l’Eglise, n’hésiterait pas à traverser le feu, sûr qu’il était de n'être pas atteint par les flammes En fait, il n’insista pas pour entrer luimême dans le feu. Mais il accepta que frère Dominique le fît à sa place, persuadé que celui-ci serait préservé des flammes, d’autant plus que Maruffi déclarait avoir su des anges de Savonarole et de frère Dominique de Pescia que celui-ci sortirait indemne du brasier. Si, finalement, l'épreuve n’eut pas lieu, Savonarole en fut la cause, non qu’il ait voulu qu’on renonçât à l’ordalie — il demandait, au contraire, qu’on se hàtàt —, mais parce qu’il exigea que frère Dominique, en traversant les flammes, portât le Saint-Sacrement ; pour justifier cette prétention, il soutenait, à grand renfort de textes des Pères, que c'était permis puisque, en supposant que les espèces eucharistiques fussent brûlées, le sacrement resterait intact. Plus tard, frère Dominique avoua le motif de cette exigence obstinée : les anges avaient ordonné à Maruffi qu’il en fût de la sorte. Dans tout cela, dans l’annonce des signes surnaturels qui ne vinrent jamais, dans toute l’affaire de l’ordalie, il est impossible, avec la meilleure volonté du monde, de découvrir l’action de Dieu. Celui qui prédisait l’avenir, ce n'était pas Dieu par l’organe de Savonarole ; c'était Savonarole seul, sous la poussée desonnaturel, du milieu et des événements. B. Le réformateur db Saint-Marc. — Tout ne fut, certes, pas à blâmer dans la réforme de SaintMarc entreprise par Savonarole et dans sa tentative efficace de séparer la congrégation dominicaine de la Lorabardie et celle de la Toscane. Il voulut ramener la vie religieuse à son austérité primitive, à son ancienne pauvreté : c'était louable. Mais, du point de vue dominicain, il ne semble pas que la réforme, telle que la conçut Savonarole, fût l’idéal ; mieux aurait valu un simple retour aux conceptions du bienheureux Jean Dominici et de saint Antonin, le fondateur de Saint-Marc.