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SAPIENTIAUX (LIVRES)

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tain, que la même forme poétique se rencontre dans la poésie lyrique et gnomique des Egyptiens et des Babyloniens ; et que ces deux peuples possédaient déjà une riche littérature, avant qu’Israël se fût constitué en nation et eût tixé sa pensée dans un monument littéraire quelconque. Auraii-il donc emprunté cette forme poétique à ces anciennes civilisations, qui l’entouraient ? En soi, rien ne s’y opposerait. La l’orme poétique appartient à l’art, et dans les arts les Israélites ont été bien souvent tributaires de leurs voisins païens : la Bible elle-même ne fait aucune dilliculté de nous le dire (1 Rois, vii, 1 3-45 ; Il Hais, xvi, io suiv.). Mais les atlinités de race et le génie de langues apparentées expliquent très bien les faits, sans recourir ici à un emprunt direct. D’ailleurs il faut remarquer aussi, que la loi du parallélisme poétique est de beaucoup plus constante et plus développée dans la Bible, que dans tout ce qui nous est parvenu des anciennes littératures égyptienne et babylonienne. C’est dire, combien elle était congénitale à l’esprit juif.

Pour le fond même de la pensée,

A) du côté de l’Egypte, on a pu rapprocher de nos Livres sapientiaux : i) les maximes de Ptahholep (environ a.Gooavunt J.C. ?) ; voir E. Rbvillout, Le premier et le dernier des moralistes de l’ancienne Egypte, dans Bessarione, IIe série, vol. IV, p. a3-47, et comparer l’introduction (p. 27) avec la conclusion de VEcclésiaste (xn, 1-7 ; description de la vieillesse) et ch. xvin (p. 30) avec Prov., v. vil (fuite de la mauvaise femme). — 2) Les instructions de Douaouf à son tils Pépi (environ 2.000 av. J.-C.) ; voir G. Maspbro, Du genre épistolaire chez les anciens Egyptiens (p. 48-73), et comparer Ecclésiastique, xxxviii, 24 — xxxix, 1 1 (la profession de scribe est la meilleure de toutes). — 3) Les maximes d’.4ni à son fils Khonshotpou ; voir E. Amblineau, La morale égyptienne, quinze siècles avant notre ère (Paris, 1892), à comparer aux recueils salomoniens, Prov., x-xxn ; xxvxxix. — 4) Le dialogue d’un homme dégoûté de la vie avec son âme (xv° siècle av. J.C. ?), dont le litre déjà fait penser à Job et à VEcclésiaste. — 5) La doctrine d’Amen-em-Opé (xe ou ixe siècle av. J. C.) qui fait pendant à la première collection des sages dans les Proverbes (xxil, 17, xxiv, 22).

Le parallèle entre ces deux dernières pièces, auquel le P. Alkxis Mallon S. J. vient de consacrer un remarquable article dans Biblica VIII, 1 9^7, p. 3-30), etet le plus frappant de tous. Non seulement il y a, de pari et d’autre, des conseils semblables, en des termes très voisins (dans un ordre bien différent, il est vrai), mais aussi chacun des deux auteurs préseule au lecteur son livre comme un recueil de trente morceaux ; ce sont trente chapitres chez Amen-em-Opé, et trente conseils (ou quatrains ; voir plus haut) chez les sages hébreux. La coïncidence ne peut èlre fortuite. Qui est ici l’emprunteur ?

Le livre du sage Amen-em-Opé pourrait bien être nn peu postérieur à Salomon. Mais la partie des Proverbes qui lui ressemble, étant placée en appendice à une collection salomonienne, doit être notablement plus tardive ; et de ce seul fait, la priorité appartiendrait au sage égyptien. Aussi le P. Mallon, avec la presque unanimité des critiques, soutient-il résolument, que les Proverbes dépendent de la s. 1-esse d’Arnen-em-Opé. En principe, rien ne s’y oppose ; et l’on pourrait ici appliquer ce que M.Lefebvre a écrit à propos des inscriptions du tombeau de Petosiris (environ 300 av. J. C.), publiées par lui ( Annales du Service des Antiquités, xxi et xxii, 192122), et qui, d’après lui, dans des formules rajeunies, contiennent des idées très anciennes : « Les Juifs, dit-il, en contact avec les Egyptiens, ont connu leurs

théories philosophiques… aux traités didactiques qui s’y élaboraient, ils ont pu emprunter des formules et l’expression de quelques idées : mais ils ne l’ont fait que dans la mesure où ces idées s’accordaient déjà à leurs propres conceptions morales et métaphysiques » (Lefebvre, Egyptiens et Hébreux, dans la Revue Biblique, 1922, p. 488). Pourtant, dans notre cas, il vaudrait mieux parler d’imitation que d’emprunt, l’ordre des matières étant si différent dans les deux livrets, et la connaissance que l’écrivain hébreu a eue des maximes du sage égyptien ayant pu n’être qu’indirecte ou puisée à une source commune. Cette hypothèse d’une source commune est d’autant plus probable, que le nombre de trente est beaucoup plus naturel et exact dans les Proverbes, dont les maximes en effet ne défiassent pas trente, que chez Amen-em-Opé, dont les chapitres, bien inégaux entre eux, contiennent chacun plusieurs conseils.

Les autres parallèles cités ci-dessus ne sont que des lieux communs, où la dépendance ne s’impose pas. Les mêmes pensées ont pu venir à l’esprit à divers auteurs indépendamment ; et ce que nous lisons dans les Livres sapientiaux n’a rien que de cohérent avec la mentalité des anciens Hébreux. Dans l’Ecclésiastique, par exemple, l’éloge de la profession de scribe (c.-à-d. étudiant delà Loi) est parfaitement dans le courant des idées juives au temps de l’auteur.

B) Babylone ne nous a transmis, de comparable en quelque sorte à nos Livres sapientiaux, que :

1) quelque mince recueil de proverbes, ou maximes, dans des tablettes à l’usage des classes : on a pu en lire un spécimen dans ce Dictionnaire, tome I, col. 380 ;

2) le poème dit du Juste souffrant (texte et traduction complète par F. Martin, dans Journal asiatique, Xe série, tome XVI, 1910, 2, p. 75-1 43), qu’on a rapproché du livre de Job ; — 3) la plainte acrostiche, à laquelle son éditeur, E. Ebbling, a donné le titre : Un Qohéleth babylonien (Berlin, 1924) ; mais le P. Dhorme y a reconnu un dialogue entre deux amis, et donc à comparer plutôt avec Job encore une fois (voir Dhorme, Ecclésiaste ou Job ?, dans la Revue biblique, 1923, p. 0-27). — Mais les ressemblances de tous ces ouvrages avec nos Livres sacrés, sont par trop vagues pour qu’on puisse établir une relation quelconque de dépendance ; et la supériorité de la Bible est ici éclatante. C’est ce qui a obligé H. Zimmbrn (pouriantsi porté à exagérer l’influence de la littérature babylonienne sur la biblique) à ne consacrer qu’une maigre page à la « Morale », dans l’ouvrage bien connu : Les cunéiformes et l’Ancien Testament (3e édition, Berlin, 1902), et à conclure ;

« Malgré tout ce que la Morale des Babyloniens

exige ici [dans les tablettes d’incantations, dont on a donné un spécimen ici même, tome I, col. 380], on ne saurait afïirmer, par exemple, qu’elle se rapproche des exigences morales, que l’Ancien Testament, surtout à l’époque des prophètes, impose à l’homme » (p. 61 3).

Et pourtant le même auteur voudrait soutenir que le prototype de la Sagesse personnifiée dans nos Livres sapientiaux (voir plus haut, III, 3) n’est autre, au fond, qu’une déesse babylonienne, notamment Istar-Siduri, la déesse de la science ! (p. 3^9 ; sur cette divinité, voir Drimkl, Panthéon babylonuiim, Home, 1914, nn. 2890. 2781 ; P. Dhohmb, Choix de ti’.ites religieux assyro-babyloniens, p. ^78 suiv.). Mais s’il y a une figure dans les Proverbes, à laquelle conviennent les traits d’Islar-Siduri, comme l’a très bien remarqué un autre critique protestant, G. Dikttricii (dans 1 heologische Studien u. Kritiken, LXXXI, 1908, p. 000 suiv.), ce serait plutôt « la femme étran-