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POUVOIR PONTIFICAL DANS L’ORDRE TEMPOREL

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copieuse bibliographie des sources et travaux historiques qui s’y rapportent, dans l’excellente thèse du R. P. Joseph ub la Serviêrb : De Jacobo, Angliae rege, cum cardinali lioberto Bellarmino, S. J., super potestat-, cum regia, tum pontificia, disputante (1608-1609). Paris, Oudin, 1900, in-8°.

Au dix-neuvième et au vingtième siècle, le droit de délier les peuples du serment de fidélité ou le droit de déposer les souverains ont perdu, en tant que prérogatives pontificales, beaucoup de leur actualité, jadis passionnante, et présententun caractère d’extrême archaïsme. Néanmoins, le principe doctrinal qui était en cause trouve des applications nouvelles, adaptées aux conditionssociales et politiques du monde contemporain. Le puissant développement que reçut, durant la même période, l’exercice de la puissance religieuse du Pape sur tous les fidèles, tous les pasteurs, toutes les Eglises facilita plusieurs fois l’intervention des Pontifes romains dans les affaires temporelles et politiques, quand l’intérêt des âmes ou la défense des droits de Dieu paraissait le réclamer. L’intervention se produisait sous forme de conseils et de directions, parfois même sous forme de préceptes catégoriques, adressés, en divers pays, aux citoyens catholiques, et, par le fait même, aux partis politiques composés surtout de catholiques. La théorie, à son tour, devint plus simple, plus claire, plus dégagée d’éléments adventices. Mais elle demeura, en substance, celle-là même qui était comme latente dans les enseignements pontificaux du Moyen Age, et qui avait trouvé sa juste formule au temps de Bellarmin et de Suarez, quand ces deux grands théologiens précisèrent, contre le roi Jacques I er, l’exacte notion du pouvoir indirect.

Dans les colonnes qui vont suivre, nous voudrions exposer et discuter le problème doctrinal considéré en lui-même. Les actes authentiques de l’enseignement de l’Eglise ayant été pris pour base, quelle conception s’impose comme obligatoire à tout catholique au sujet du pouvoir indirect des Papes sur certaines affaires d’ordre temporel et politique ? Quel est le caractère, quelle est l’extension véritable de ce pouvoir ? Quelle est la zone des certitudes et quelle est la zone des opinions libres ?

II. Documents pontificaux. — On doit retenir, d’abord, certains textes capitaux etparticulièrement significatifs des Papes du Moyen Age. Textes dont il importera de déterminer plus loin la portée authentique et réelle.

La lettre Novit ille adressée, en iao4, aux évêques de France, par Innocent III, pour expliquer son intervention dans le conflit entre Philippe-Auguste et Jean sans Terre.

Trois documents de Bonifacb VIII : la bulle Ausculta fili, du 5 décembre 1301, adressée au roi de France, à propos des immunités ecclésiastiques ; l’allocution consistoriale du 2/4 juin 130a, où le Pape expose le droit en vertu duquel il a parlé au roi sur un ton de commandement ; et, enfin, la bulle célèbre Unam sanctam, du I er novembre 1302, qui passe pour la plus intransigeante revendication des prérogatives pontificales, au spirituel et au temporel.

Voici maintenant, à titres d’exemples, diverses déclarations de la Papauté contemporaine. Les systèmes qui excluent tout pouvoir indirect de l’Eglise sur le temporel sont condamnés par Pib IX dans la bulle Ad Apostolicae, du 22 août 1851 et dans la a/J « proposition du Syllabus (8 décembre 1864). Lbon XIII a exposé méthodiquement la doctrine catholique des rapports mutuels des deux pouvoirs, spirituel et temporel, dans l’Encyclique lmmortale Dei, du i « novembre 1885. Le même enseignement

reparait dans beaucoup d’autres actes doctrinaux de son pontificat. Le sens de ses interventions dans certaines affaires temporelles et politiques est exposé, notamment, par la lettre pontificale aux cardinaux français du 3 mai 1892. La plus intéressante mention du pouvoir indirect, chez PibX, figure dans l’Encyclique Pascendi dominici gregis, du 7 septembre 1907 (Enchiridion. D.-B. 2092). On peut dire que les témoignages authentiques de la pensée actuelle de l’Eglise sur ce problème existent avec surabondance.

III. Pas de pouvoir « direct » de l’Eglise sur le temporel. — Dans le pouvoir « direct », on comprend toutes les choses qui font partie de la mission normale de l’Eglise, selon la lin spéciale et distinctive en vue de laquelle le Christ lui-même a constitué visiblement son Eglise sur la terre.

Or, nul doute n’est possible sur le caractère de la mission conférée par le Christ à l’Eglise hiérarchique et enseignante. C’est une mission d’ordre spirituel, religieux, surnaturel, consistant à enseigner aux hommes la doctrine authentique de l’Evangile, et à leur communiquer les moyens de salut et de sanctification que le Christa établis pour larédemption éternelle des âmes. Les affaires de la vie temporelle et séculière, et notamment la conduite de l’Etat, sont, par elles-mêmes, tout à fait en dehors de ce domaine, tout à fait étrangères à cette perspective. Elles demeurent soumises à l’ordre voulu de Dieu et à la souveraineté du Christ ; mais elles ne sont pas comprises dans la mission distinctive et perpétuelle que le Sauveur confie aux pasteurs de son Eglise en la personne de Pierre et des apôtres. La conduite unanime et constante des disciples de Jésus-Christ, dans l’œuvre initiale de la fondation de l’Eglise, met en relief la distinction formelle entre le domaine spirituel et religieux, qui est essentiellement celui de l’Eglise, en tant qu’institution du Christ, et le domaine temporel et politique, qui est essentiellement celui de l’Etat, celui de César : domaine où l’Eglise ne se reconnaît pas le droit de pénétrer, quand une nécessité du service de Dieu et des âmes ne lui en crée pas l’obligation spéciale.

Notre Seigneur, en personne, avait inculqué ce principe, à la fois par l’objet tout surnaturel de la prédication évangélique, et par la netteté avec laquelle il avait plusieurs fois marqué combien les affaires séculières, d’intérêt purement terrestre et humain, devaient rester étrangères à son ministère personnel, comme à la mission de ses disciples. Exemples : Luc, xii, 13, 14 ; xx, 20-25 ; Marc, xii, 1 3- 17 ; Matth., xxii, 15-21.

Il y a donc, normalement, deux domaines, deux sociétés, deux hiérarchies : domaine spirituel et domaine temporel ; société religieuse et société séculière ; hiérarchie de l’Eglise, ayant compétence au spirituel, hiérarchie de l’Etat, ayant compétence au temporel ; et chacune des deux sociétés et des deux hiérarchies étant indépendante et souveraine dans le domaine distinct qui lui est propre. Telle est la doctrine évangélique et traditionnelle, dont Léon XIII a donné la formule la plus nette et la plus explicite dans l’Encyclique lmmortale Dei, sur la constitution chrétienne des Etats. Il faut en citer le passage essentiel, qui, par sa claire signification, répudie toute prétention de l’Eglise à une domination « directe » sur le temporel des Etats, puisque le Pape proclame, au contraire, la légitime indépendance de l’Etat dans le domaine purement temporel et politique :

Dieu a réparti entre le pouvoir ecclésiastique elle pouvoirciril le soin de procurer le bien du genre humain. 11