Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/594

Cette page n’a pas encore été corrigée

1175

SALUT DES INFIDELES

1176

enfin par une vue purement théorique des attributs divins, puisée dans la contemplation des choses créées.

Le désir delà foi n’estqu’une impuissante velléité, insuffisante pour étreindre Dieu. Qu’on n’invoque pas ici la parité avec le désir du sacrement, car cette parité n’existe pas. Quand l’accomplissement du rite extérieur est matériellement impossible, Dieu veut bien accorder au sacrement in voto la valeur du sacrement in re, sous bénéfice de l’acte de charité qui réalise le plein contact de l’âme avec Dieu. Mais l’acte intérieur, provoqué par la grâce, ne trouve son achèvement qu’en atteignant Dieu ; or il ne l’atteint que par une foi réelle ; Dieu ne se contente pas de l’acte de foi in voto.

L’adhésion sentimentale, vide de toute croyance positive, est une invention moderne, sans attache dans la tradition chrétienne. Il faut laisser au protestantisme libéral la chimère d’une foi sans dogme, condamnée par le protestantisme orthodoxe comme par le catholicisme. Cf. A. Sabatikr, Esquisse d’une philosophie de la Religion, d’après la psychologie et l’histoire, Paris, 1897 ; Les Religions d’autorité et lu Religion de l’esprit, Paris, 1904 ; P. Mbnégoz, Publications diverses sur le Fidéisme. — A rencontre, les documents de Pik X, Décret Lamentabili, Encyclique Pascendi (1907).

La contemplation des choses créées peut mettre sur le chemin de la foi, non conduire jusqu’à la foi proprement dite, qui incline la raison de l’homme devant l’enseignement de Dieu. Saint Jean, VI, 45 : Omnis qui audivit a Pâtre et didicit, venit ud me. Saint Thomas, II » II a e, q. 2 a. 3 : Ad hoc quod homo pervenial ad perfeclam visionent beatitu dinis, præexigitur quod credat Deo tanquam discipulus magistro docenti. — Proposition condamnée par Innocent XI, Décret du Saint-Office, 2 mars 1679, n. a3, D. B., 1173(1040) : Fides late dicta ex testimonio creatururum similive motivo ad iustificationem suf[Icit. — Le croyant est essentiellement un être enseigné.

Et voilà précisément qui pose en termes aigus le cas de l’infidèle : Fides ex auditu. Il ne peut croire que sur la parole de Dieu. Comment donc croira-t-il, si la parole de Dieu n’arrive pas jusqu’à lui ?

b) Notons d’abord que la difficulté n’est point spéciale à la révélation chrétienne et à l’ère chrétienne. Même avant la venue du Christ, la foi au Dieu rémunérateur fut nécessaire pour le salut, et ellen’était pas proposée aux seuls enfants d’Israël. Saint Augustin le dit expressément, en notant que 1^8 Juifs n’ont jamais poussé l’exclusivisme jusqu’à croire réprouvés de Dieu tous les hommes qui n’étaient pas nés de leur race et n’avaient pas reçu Il révélation de Moïse ; il apporte comme exemple .iob l’Iduméen, loué par l’Ecriture comme n’ayant pas son égal en justice parmi les hommes de son temps. Civ. Dei, XVIII, xlvii, P. L., XLI, G09 :

Nec ipsos ludæos existimo audere contenderc neminem perlinuisse ad Deum præter /srælitas, ex quo propago Israël esse coepit, reprobulo eiits fratre maiore. Populus enim rêvera, qui proprie Dei populus diceretur, ntillus alius fuit ; homines aillent quosdam non terrena sed cælesti societate ad veros [srælitas supernæ cives palriæ pertinentes etiam in aliis gentibus fuisse, negare non possunt : quia, si negant, facillime convincuntur de sancto- et mirabili viro lob, qui nec indigena nec prosehtus, i. e. advena populi Israël fuit, sed ex gente Idumæa genus duc.ens, ibi orlus, ibidem mortuui est ; qui divino sic laudatur eloquio ut, quod ad ii/slitiam pietalemque attincl, nullus ei homo suorum temporum coæquetur (cf. lob, 1, 8 ; Ez., xiv, 20).

Donc Job, et ceux qui lui ressemblèrent, conçurent, par des voies connues de Dieu, la foi nécessaire au salut, y compris la foi au Dieu rémunérateur.

Or, pour l’homme déchu, la foi au Dieu rémunérateur implique la foi au Médiateur et Rédempteur. Nul ne le sait mieux que saint Augustin, très convaincu de cette vérité que la foi, diversement accommodée aux besoins des générations humaines, resta une dans son fond. Tempora variala surit, non fides, selon une formule chère au saint docteur, In lo., Tr., xlv, y. P. /., XXXV, 1722 ; In Ps., L, Enair., 17, P. /.., XXXVI, 596 ; Ep., eu, a, ia, P. A., XXX1II.374 ; clxxxvii. 10, 34, 845 ; exc, 2, 6, 858 ; Serin., xix. 3, P. L., XXXVIII, 133-4 ; Conf., X, xliii, 68, P. /.., XXXII, 868 ; C. Faust., XIX, xiv-xv, P. L., XLI1, 355-356 ; In lo., Tr., cix, a, / L., XXXV, 1918 ; De pecc. or., xxiv, 28, P. L., XLIV, 3g8. (Capéran, E. IL, p. 120).

c) A son tour, saint Thomas explique ces exigences de l’unique foi, diverses selon les temps, et y ajoute des précisions qui ne laissent pas de soulever, à première vue, des questions embarrassantes. Il se demande, II » II", q 2 a. 7, Utrum explicite credere inY.iteii.uin lucarnationis Christi sit de necessitate s’alu tis apud omîtes. Nous suivrons pas à pas sa réponse.

Appartient proprement et essentiellement à l’objet de la foi, dit saint Thomas, ce qui est nécessaire à l’homme pour atteindre la béatitude. Or la voie qui mène les hommes à la béatitude, est le mystère de l’Incarnation et de la Passion du Christ, selon Act., iv, 12 : Non est aliitd nomen subcælo datuin hominibus, in quo oporteal nos salvos fieri. C’est pourquoi le mystère de l’Incarnation du Christ a dû, de tous temps, être cru par tous ; mais diversement selon les temps et les personnes. Avant la chute, l’homme eut la foi explicite à l’Incarnation du Christ, selon qu’elle était ordonnée à la consommation de la gloire, mais non selon qu’elle était ordonnée à la rédemption du péché par la passion et la résurrection du Christ, car l’homme ignorait le péché à venir. La prévision de l’Incarnation du Christ paraît impliquée dans ces paroles d’Adam, Gen., ii, 24 : Pi opter hoc relinquet homo patrem et malrem et adhærebit uxori suae. Sur quoi l’Apôtre note, Eph., v, 3a : Sacramentitm magnum est in Christo et Ecclesia. Ce sacrement (mystère ) n’a pas dû être ignoré du premier homme. — Après le péché, le mystère de l’Incarnation fut objet de foi explicite, non seulement quant au fait de l’Incarnation, mais quant à la passion et à la résurrection, par où le genre humain est racheté du péché et de la mort : autrement, les Israélites n’auraient pas offert, avant la Loi et sous la Loi, des sacrifices figuratifs de la passion du Christ ; sacrifices dont le sens était connu explicitement des personnages les plus éclairés (maiores) ; la foule (minores) croyait, sous le voile de ces sacrifices, à leur signification touchant le Christ à venir, qu’elle connaissait sous le voile. Leur connaissance était d’autant plus distincte qu’ils touchaient de plus près au Christ. — Après la révélation de la grâce, tous — maiores et minores — doivent avoir une foi expuciic aux mystères du Christ, surtout de ceux qui sont dans l’Eglise objet de solennité commune et d’enseignement public, tels que les articles de l’Incarnation. Quant aux autres considérations subtiles touchant les articles de l’Incarnation, les fidèles sont tenus de les croire plus ou moins explicitement, selon qu’il convient à leur condition ou à leur office respectif.

Ainsi parle saint Thomas.

Donc, sous la loi de grâce, il exige de tous la croyance explicite à l’Incarnation, à la mort san-