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SALUT DES INFIDÈLES

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1) La manière la plus radicale est l’hérésie de Pelage, qui nie l’élévation de la nature humaine à 1 ordre surnaturel, la chute et le péché d’origine. Pelage conservait le nom de grâce, niais au sens le plus général, sans établir une distinction bien tranchée entre les dons divins, désignant par ce nom, soit le don de la nature même, soit les secours extérieurs renfermés dans la doctrine et les exemples du Christ. Il attribuait à la nature même le principe du mérite et du salut. Voir, sur les vertus des païens, et les vertus en général, sa lettre à la vierge Démétriade, inter Epp. August., Append., Ep., xvii, 3.8. il, P. /.., XXXIII, î ioo-i ; i io/|-5 ; 1 107. Par ailleurs, il conservait le baptême, non comme moyen nécessaire au salut, mais comme condition posée par Dieu pour l’entrée au royaume des cieux, distinguée par lui de la vie éternelle ; voir saint Augustin, Serm., ccxcrv, a-3, P. T., XXXVIII, I336- ;. Conséquemment, il représentait la condition des intidèles, qui ont pratiqué la vertu, comme un juste milieu entre la vie des chrétiens vertueux et celle des païens pécheurs, aboutissant aussi à un sort intermédiaire. Cette conception s’autorisa parfois du texte de Noire-Seigneur en saint Jean, xiv, 2 : In domo Patn mei mansiones multæ surit ; comme si la demeure du Père céleste s’étendait plus loin que le royaume des cieux. Saint Augustin, qui, à ses débuts, n’était pas en garde contre toute conception de ce genre (De lib. arb., III, xxiii, 66, P.L., XXXII, 1303-4 ; vers l’année 388), en vint, par réaction contre l’hérésie de Pelage, à nier toute espèce de milieu entre le salut et la pleine damnation (De pecc. mer. al rem., I, xxviii, 55, P.L., XLIV, 140, année 4 1 2 ; De Civ. Dei, XXI, xxv, 1, P. /,., XLI, 7^1 ; voir en outre ses énergiques remontrances à Vincentius Victor, De anima et eius origine, II, x, i/J, P. t., XLIV, 503 ; III, xi, 15, 5 18). L’hérésie de’Pelage tombe sous les anathèmes de l’Eglise, Conc. de Milève (4 16) sous Innocent I er ; de Carthage (418) sous Zosime ; II U Concile d’Orange (029) sous Boniface IL Elle a été renouvelée par Zwingle, prenant sur ce point, comme sur tant d’autres, le contrepied de Luther et de Calvin. Les objections qti elle soulève paraîtront insolubles, si l’on ne commence par admettre, avec saint Augustin, que l’humanité déchue est, de plein droit, une massa damnata, et que toutes les grâces du salut sont pur don de la libéralité divine. Il faut remonter à saint Paul, Rom., v, 12-21 ; I Cor., Ti, 21-22. — Voir art. Prédestination, col. 206 sqq.

2) Une conception spécieuse et diversement nuancée admet en principe toute la doctrine ecclésiastique sur la grâce, mais poursuit une conciliation difficile entre cette doctrine et l’instinct d’équité qui appelle une récompense pour les actes bons selon la nature, encore que dénués de mérite surnaturel. Saint Augustin, en lutte contre l’hérésie pélagienne, écartait simplementces revendications, en niant que les actes de la nature pussent être dits simplement bons. Il ne niait pas pour autant les vertus des infidèles, mais y dénonçait une double tare : d’abord les intentions obliques, par où souvent ces actes sont positivement détournés de Dieu : De Civ Dei, XIX, xxv, PL., XLI, 656 ; XXI, xvi, 73, » ; In As-., kxxi, Enarr., 11, ft.P.L, XXXVI, …~. « j ; C. Iulian., IV, iii, 17, P.f.., XLIV, 7’, 6 ; puis, en tous cas, le défaut de rectitude surnaturelle, car il n’appartient qu’à la charité d’orienter vers Dieu la conduite de l’homme : De nupt. et concup., I, iii-iv, 4-5, P./., XLIV, 415-6 ; C. Iulian., IV, iii, 17-25, P. /.., XLIV, 745-761. L’attitude polémique de saint Augustin ne lui a pas permis de donner ici pleine satisfaction à la raison ; d’ailleurs lui-même, dans un autre courant

de pensées, a parfois tenu un autre langage. Ainsi £/>., cLxiv, 4, Ad Evodium, P./., XXXIII, 710. On comprend aisément que nombre de penseurs aient cherché à supplémenter sur ce point son enseignement. D’où leurs efforts pour élargir le limbe des enfants, en vue d’y accueillir les intidèles vertueux.

Les premières années du xvi’siècle ont vu plusieurs de ces tentatives. L’abbé Trithèmb (f 1516) dédiait à l’empereur Maximilien son ouvrage : Curiosilas regia. Octo quuestiones a Maximiliano J. Cæsare Joanni Trithemio proposilae, et ab eo de m pie et solide solutae, q. 2, p. 8, éd. Duaci, 1621. Le Français Claude Sbyssel (-j- 15ao), archevêque de Turin, publiait De Divine Providentiel Tractatus, Paris, 1Ô20 ; voir Tr. 2, art. a et 3. Ces auteurs savent que les infidèles sont irréinissiblement exclus de la vision béatilique ; mais ils s’ingénient à leur trouver des compensations, qui apparaissent fort grandes pour la nature. Voir Capkkan, E.1L, p. 220-225.

Sans admettre formellement l’hypothèse d’une ignorance invincible touchant l’existence de Dieu, le Cardinal Sfondrati la discute, et y voit un bienfait de la Providence pour lésâmes qu’elle préserverait du péché. Nodus Prædestinationis dissolutus, Pars I, § 11, 11, p. 15a, Romae, 169O.

L’ironie de Voltairb (Epitre à Uranie) et les sopliismes déclamatoires de Uoussbau (Emile, profession de foi du vicaire savoyard) renouvelèrent l’objection tirée du sort des infidèles ; nombre d’apologistes, au xvnie et au xix siècles, recoururent à l’affirmation des limbes pour adultes. Ainsi N. Bbrgibr (1718-1790), Le déisme réfuté par lui-même, ou Examen en forme de lettres des principes d’incrédulité répandus dans les divers ouvrages de Rousseau -Paris, 1766 ; F. X. db Fbllkr, ancien jésuite (17351802), Entretien de M. de Voltaire et de M.P***, do ti’ttr en Sorbonne, Strasbourg, 1772 ; G. dbMalbvillk, Examen approfondi des difficultés de M. Rousseau de Genève contre le christianisme catholique, Paris, 1769 ; F. de Partz du Prkssy (1712-1789), évêque de Boulogne, Instruction pastorale sur l’Incarnation. 3* fnsir., éd. Migne, 1. 1 ; Cardinal G. un LaLuzbrnk, (1738-1821), évêque de Langres, Instr. past. sur la Révélation, 21. 2* éd., Paris, 180a ; J. A. Duvoisin (f}f’-181’S), évêque de Nantes, Essai sur la Tolérance’, Paris, 1805 ; J. A. E.mkry (1732-1811), supérieur général de Saint-Sulpice, Observations sur la Lettre d’un théologien adressée à M. Duvoisin, évêque de Nantes, dans les Annales littéraires et morales, t. IV, Paris, 1806 ; A. Muzzarelli (1749-1813), ancien jésuite, Opuscules théologiques, t. I, Avignon, 1842 ; Frayssinous, év. d’Hermopolis (1765-1841), Défense du Christianisme, ou Conférences sur la Religion’2, t. III, Paris, 18a5 ; F. Lhnoir, collaborateur de Bergier dans le Dictionnaire de Théologie, éd. Migne, Encycl. Théol., t. LVII ; M. Actorib, De l’origine et de la répara/ion du mal, Paris, 1852 ; J. Balmès (1810-1848), Mélanges religieux, philosophiques, politiques et littéraires, trad. J. Bareille, Paris, 1854 ; St. George Mivart, The happinessin flell, dans The Nineteenth Century, déc. 1892 ; abbé P. de Broc.ub, Conférences sur la vie surnaturelle, Paris, 1878, et Cours d’IIisto : re des Religions, ve et VT* leçons, cf. Ann. de Phil, chrétienne, 1881 ; docteur P. Bkesau, Anji. de phil. chr., 1 883 ; Gottfried dkGraun, Institutiones Theologiæ dogmaticæ specialis R. P. Albert i a Bulsano recognitae, t. III, p, 996, Innsbruck, 18q3-6 ; Bonomki.li, év. de Crémone, Foglie autan nali, Milan. 1906.

La grande difficulté qu’éprouvent tous ces auteurs est d’accorder la conception des limbes pour adultes avec la faiblesse congénitale de la nature entraînée au péché, selon la doctrine de l’Eglise. Voir les ca-