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SALUT DES INFIDELES

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Position de la question.

Le présent article ne veut être qu’un appendice des articles Prkdbstination, Providknck, qui ont posé en termes généraux et largement discuté le problème du salut éternel des hommes. Il se renfermera dans une considération particulièrement délicate, celle du sort réservé au grand nombre d’hommes adultes qui, depuis la prédication de l’Evangile, demeurent en dehors des voies normales du salut ; soit qu’ils ignorent totalement la révélation chrétienne (pays non encore évangélisés), soit qu’ils la méconnaissent invinciblement (pays atteints par l’Evangile). Le problème du salut des infidèles, presque contemporain de l’humanité pécheresse, est discuté de nos jours avec une possession de la tradition ecclésiastique et des connaissances ethnographiques, dont ie moyen âge était dépourvu. Il s’agit ici, non des inlidèles positifs qui, atteints parla prédication évangélique, l’ont repoussée, pour leur dam ; mais des seuls infidèles négatifs, pour qui cette prédication est simplement comme n’existant pas ; ils vivent et meurent étrangers à toute confession chrétienne.

Ces inlidèles n’en sont pas moins, selon l’intention divine (I Tim., ii, 4-6), appelés à la vision éternelle de Dieu ; et au jour du jugement, ils devront se trouver soit à droite, avec ceux qui prendront possession du royaume, soit à gauche, avec ceux qui s’en verront exclus à jamais. Comment donc se vérilie, de leur point de vue particulier, la volonté salvifique de Dieu ? Les Pères ont pu, de bonne foi, peu après les temps apostoliques, écarter comme irréelle l’hypothèse d’un infidèle placé hors de toute portée de la prédication chrétienne ; cf. ci-dessus, t. III, col. 266 ; les scolastii|ues ont pu l’écarter ; nousne le pouvons plus. La découverte de l’Amérique, où des populations nombreuses ont vécu, pendant des siècles, en dehors de toute lumière évangélique, imposa déjà cette hypothèse aux théologiens du xvie siècle ; à ceux du xxe, elle se représente avec un surcroît de précision, soit qu’ils jettent les yeux sur un planisphère des religions, soit qu’ils s’enfoncent dans les arcanes de la préhistoire. Mais l’objection est vieille comme le christianisme.

k chacune de ses conquêtes, le Christianisme rencontre devantlui, différemment exprimée, la même objection. « Jésus-Christ est tout près de nous, disaient Celse et Porphyre : Comment Dieu s’est-il si longtemps soucié si peu du salut du genre humain ? » Le roi des Frisons. Radbod, uniquement parce que saint Wuliran ne peut lui assurer le salut de ses aïeux, refuse de devenir chrétien. Les Japonais, prêts à recevoir le baptême, demandaient à saint François Xavier pourquoi ils avaient reçu l’F.vangile les derniers de toutes les nations ; ils se lamentaient sur ce qu’il était advenu de leurs enfants, de leurs parents, de leurs anct’tres. De même, actuellement, l’une des objections les plus graves que rencontrent les missionnaires, c’esi l’interrogation anxieuse de celui qu’ils évangélisent, quand il songe a la destinée de son père. — Dans la Profession de foi du vicaire savoyard. Jean Jacques Rousseau insiste à plaisir sur un tel argument En somme, il envenime par ses déclamations passionnées etaussi complique par ses sophismes la question préalable, a laquelle doit s’attendre une religion comme le Christianisme, qui revendique exclusivement pour elle seule les promesses de la vie éternelle (L. Capéran, Le problème du salul det infidèles ; Estai t/iëotogique, p. iv, Paris, 1912).

Les réponses apportées à cette objection, ou à cette question, peuvent se ramener à trois, dont l’examen fera l’objet du présent article.

I" Réponse : Uévangélisation d’outre-tombe. Il* Réponse : Renvoi aux limbes.

III’Réponse : Tradition dogmatique de l’Eglise catholique.

I r « Riîfonsb

L’EVANGÉLISATION b’oUTRB-TOMBB

Cette réponse consiste à déplacer la décision du sort éternel de l’homme et à la rejeter hors des limites de la vie présente. La conjecture s’appuie sur quelques textes de l’Ecriture, interprétés en dépit de la tradition ecclésiastique. Elle a tenté un petit nombre de Pères, tels Hermas, Clément d’Alexandrie, Origène. Plus près de nous, elle a été largement reprise dans des cercles protestants. En voici les considérants :

a) Arguments scripturaires. — On s’autorise de Mt., xii, 3a « (Le blasphème du Saint Esprit) ne sera remis ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir. » — D’où l’on croit pouvoir conclure, par opposition, que certains péchés seront effectivement remis dans le siècle à venir.

On s’autorise encore de 1 Pet., iii, 18-20 : « Le Christ est mort une fois pour [nos] péchés, juste pour des injustes, alin de nous amener à Dieu, mis à mort selon la chair, mais rendu à la vie selon l’esprit. Dans le même esprit encore, il est allé prêcher aux esprits captifs, qui avaient été incrédules quand la longanimité de Dieu temporisait, aux jours de Noé durant la construction de l’arche, où un petit nombre, huit personnes (seulement), furent sauvées à travers l’eau. » Et, encore, iv, 6 : « Si l’Evangile a été prêché aux morts, c’a été pour que, jugés selon les hommes dans la chair, ils vécussent selon Dieu dans l’esprit. » — D’où l’on croit pouvoir conclure que l’âme du Christ descendit aux enfers pour évangéliser les infidèles et les amener à la foi. Et pourquoi cette évangélisation et cette conversion posthume seraient-elles restreintes aux générations disparues avant la venue du Christ ?

b) Les Pères. — Quelques-uns ont développé la théorie d’une conversion et d’un baptême outretombe. Hbr.mas fait dire au Pasteur, Sim., ix, 16 :

Ces hommes (figurés par des pierres tirées de l’abîme et introduites dans les murs de la tour fondée sur les eaux, qu’est l’Eglisoi devaient monter à travers l’eau pour recevoir la vie : autrement ils ne pouvaient entrer dans le royaume de Dieu, sans être dépouillés de la mort inhérente à leur première existence. Donc eux aussi, bien que morts, reçurent le sceau du Fils de Dieu et entrèrent dans le royaume de Dieu. Car, avant de porter le nom du Fils de Dieu, 1 homme est mort ; en recevant le sceau, il dépose la mort et revêt la vie. Or le sceau, e est l’eau [du baptême]. On descend mort dans l’eau et l’on remonte vivant. Ces hommes, eux aussi, entendirent la prédication du sceau et en profitèrent pour entrer dans le royaume de Dieu… Les apôtres et les docteurs, après avoir prêché le nom du Fils de Dieu, après s’être endormis dans la puissance et la foi du Fils de Dieu, prêchèrent à ceux qui s’étaient endormis avant eux et leur donnèrent le sceau, objet de leur prédication. Ils descendirent donc dans l’eau avec eux et en remontèrent, mais eux descendirent vivants et remontèrent vivants ; au contraire, ceux qui s’était endormis avant eux, étaient descendus morts et remontèrent vivants. Donc, par le ministère des [apôtres et des docteurs], ils reçurent la vie et connurent le nom du Fils de Dieu ; aussi remontèrent-ils avec eux et furent adaptés à l’édifice de la tour ; ils y furent enchâssés sans avoir besoin de taille, car ils s’étaient endormis dans la justice et dans une grande pureté ; il ne leur manquait que le sceau…

Clkmbnt d’ALEXANDBiB reprend cette idée, Strom., VI, vi, P. G., IX, 269, éd. Stæhlin, t, II, p. 4 5 / (, après avoir cité Job, xxvni, 22 :

« L’Hadès dit à la mort : Nous n’avons pas vu ses traits, 

mais nous avons entendu sa voix ». Ce n’est point le lieu qui prend ainsi la parole, mais ceux qui étaient dans l’Hadès. qui s’étaient livres » la mort, comme qui se jetterait d’un vaisseau dans la mer. Ceux-là donc entendent la puissance et la voix de Dieu. En effet, quel homme de sens