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SAINT-OFFICE

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rama devait abjurer 16 propositions relevées dans son Commentaire, abandonner cinq ans l’administration de son diocèse, et pendant ce temps, vivre dans un couvent dominicain, et faire comme pénitence quelques exercices de piété, par exemple le pèlerinage aux sept basiliques romaines. Il venait d’achever ce pèlerinage par une mesie célébrée à Saint-Jean de Latran lorsqu’il mourut, le 2 mai 157O. Le pape Grégoire XIII, qui n’avait cessé de l’honorer, et qui même, apprenant sa maladie, l’avait relevé de toutes ses pénitences, lui lit faire de splendides funérailles et lui érigea, dans l’église dominicaine de la Minerve, un magnifique tombeau, aveccetteinscriptionélogieuse : a Ba.rtholom.aeo de Carranza. Naarro t archiepiscopo Toletano, Hispaniarum primati, viro génère, vita, doctrina, concione atque eleemosynis claro, magnis muneribus, a Garolo V et a Philippo II, Rege Catbolico, sibi commissis, egregie functo, animo in prosperis modesto et in adversis aequo. Obiit anno 1576. die 2 m.iii. Athanasio et Antoniuo sacro, aetatissuae 7 3>.

Nous avons tenu à raconter tout au long les incidents de ce long procès, non pas pour innocenter Carranza qui, condamné parle pape, a accepté en termes fort nobles, avant de mourir, la légitimité de sa condamnaiion. Qu’il nous suffise de dire que ses erreurs étaient de bonne foi et lui avaient été suggérées par sa longue fréquentation des hérétiques, avec lesquels il avait poursuivi de magniûques controverses théologiques en Espagne, en Angleterre et en Flandre. Sans la haine du grand Inquisiteur Valdès et du roi d’Espagne, l’affaire aurait été vile terminée par l’esprit de soumission et l’amour de l’orthodoxie de ce saint religieux.

Ce procès est intéressant au plus haut degré, parce qu’il fait éclater le caractère qu’avait, dès son institution avec Torquemada, l’Inquisition espagnole. Celte institution mixte, puisque si son chef et ses commissaires étaient prêtres et religieux, son conseil suprême était nommé par le pouvoir civil, a toujours prétendu à une large autonomie à l’égard du Saint-Siège ; et’dans l’affaire de Carranza, nous l’avons vue s’affirmant d’une manière inlassable pendant 18 ans contre les délégués du pape, contre le Concile œcuménique de Trente, contre les juges pontilicaux dirigés par un légat a latere, enfin contre le pape lui-même.

Par contre, dans cette longue querelle, nous l’avons toujours vue étroitement unie au roi, qui est son porte-parole, qui la défend contre la plus haute autorité de l’Eglise universelle etluiréserve lemonopole de la défense de la foi dans sa patrie.

Le grand Inquisiteur Valdès et le roi ne faisaient vraiment qu’un. Ainsi, s’affirmait le caractère éminemment national de cette institution, au sein de l’Eglise catholique.

Nous avons constaté enQn la pression formidable qu’unis d’une manière inséparable, la monarchie espagnole et le Saint-Office exerçaient sur le Souverain Pontife. Successivement Paul IV et Pie IV durent céder devant leurs m-naces et chercher des moyens termes et des conciliations pour pré vonir avec la monarchie espagnole une rupture qui eut été funeste à l’Eglise alors que, dans le monde européen, Philippe II se faisait contre le protestantisme le champion de la catholicité. Si Pie V l’emporta, ce fut parce que son caractère intransigeant ne recula pat devant cette terrible éventualité ; et oe fut toujours pour l’éviter que, tout en témoignant de son admiration pour Carranza, Grégoire XIII le condamna, non pas comme il l’aurait voulu, à une simple rétractation, mais à une suspension destinée à calmer et à rallier le roi d’Espagne.

Les péripéties du procès de Carranza nous ont aussi montré le fonctionnement régulier d’un nouveau rouage de l’Inquisition espagnole : son làdex des livres défendus. L’ancienne Inquisition, celle qui avait été établie et organisée au xiii° siècle, poursuivait les écrits comme les personnes, et les premiers inquisiteurs du xvi* siècle avaient prohibé et condamné au feu certains livres. Nous avons vu plus haut la controverse qui s’engagea autour de ceux d’Erasme ; le 7 avril 1821, le cardinal Adrien, grand inquisiteur, ordonnait de poursuivre tous les livres luthériens. En 1546, Charles-Quint demanda à l’université de Louvain de dresser la liste (Index) de tous les livres hérétiques qui s’imprimeraient dans les pays germaniques.

Le Saint-Office d’Espagne adopta cet index, et le fit imprimer pour son usage personnel à Valladolid et à Tolède, en 1551. Le grand inquisiteur Valdès le fit compléter par le catalogue des livres hérétiques publiésenEspagne ; etee travail, faitpar les inquisiteurs Alonro Perez et Valdotano, le secrétaire Alonzo de Léon et le fiscal Alonzo Ortiz, fut augmenté de la liste des éditions de la Bible publiées par les hérétiques. Enfin, en 155<), fut édité par les soins de Valdès un index général qui servit désormais de fond à tous les index que l’Inquisition espagnole publia au cours du xvi" et du xvne siècle, jusqu’à eelui de 1790, dont l’édition de 1805 fut le dernier acte du Saint-Office contre les livres hérétiques (Menbndbz y PsLAYO, op. cit., tome II, pp. 697-702).

Dans son œuvre, devenue classique, sur les hétérodoxes espagnols, M. Menendez y Pelayo, professeur à l’Université de Madrid, s’est demandé si le Saint-Office s’était montré fort rigoureux contre les livres et si son Index avait gêné sérieusement le développement de la pensée espagnole, des lettres et des sciences, dan„ les trois siècles où il fonctionna ; et il constate que, si un certain nombre d’écrits littéraires s’y trouvent, c’est souvent parce qu’ils étaient grossièrement immoraux. Plusieurs n’y figuraient que jusqu’à correction de certains passages ou expressions contraires à la vérité et même à l’élégance du style.

Si des humanistes du xvie et du xvii* siècle, dont les œuvres étaient fortement entachéesde protestantisme, Erasme, Scaliger, Henri Estienne, Vostiius s’y rencontrent, ce n’est pas le plus souvent, pour l’ensemblede leurs œuvres, mais pour tellesd’entre elles, dont on souhaite la correction.

Enfin M. Menendez y Pelayo fait remarquer que l’Index espagnol ne porte pas mention d’un certain nombre de philosophes et savants qui furent cependant suspectés d’opinions téméraires ou erronées, en d’autres pays : Giordano Bruno, Descartes, Leibnitz, Hobbes, Spinoza, Copernic, Galilée et Newton.

L’Inquisition se montra plus sévère pour les écrits qui traitaient plus particulièrement de sujets religieux, théologiques et mystiques ; et voilà pourquoi dans son Index nous trouvons, à côté de toutes les traductions delà Bible en langue vulgaire, les noms de grands théologiens, comme ceux de Carranza, du jésuite Mariana, de mystiques tels que Tauler, et même de saints telsque saint François Borgia, pour son Œuvre du chrétien, suspectée d’illuminiame !

Pour expliquer cette contradiction entre la tolérance accordée aux uns et la sévérité exercée envers les autres, il ne faut jamais perdre de vue le caractère particulier de l’Inquisition espagnole. Avant tout politique et pratique, elle accorde une faible attention aux débats purement intellectuels comme ceux que provoquèrent les systèmes de Descartes. Hobbes, Leibnitz et Spinoza, et aux systèmes purement scientifiques, tels que ceux de Newton et de