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court, Gattinara, chancelier de Charles-Quint, obtint du pape Clément VII un bref, imposant silence à tous les adversaires d’Erasme « sur tous les écrits où il combat Luther ». Cette restriction permettait la controverse sur tout le reste ; Manrique ne voulut pas le voir et, le bref revu, il promulgua une défense générale d’attaquer Erasme.

L » querelle recommença cependant. Un religieux franciscain, humaniste chrétien, Louis de Carvajal, lança une Apologia monasticæ religionis diluens Erasmi ; il était tellement sur de la protection que l’Inquisition accordait à son adversaire, que, pour ne compromettre personne avec lui, il ne mit sur son livre aucune mention d’imprimeur. Srasme répondit violemment, accablant son accusæur de toutes ces injures que les hommes de la Renaissance employaient volontiers et copieusement, il ne se contenta pas de paroles ; il déféra lui-’Uîmc le livre de son adversaire à l’Inquisition par une lettre où il demandait, à son ami Manrique, le châtiment de l’imprimeur clandestin (3 1 mars 1530)

« Ad vestræ tamen Hispaniæ tranquillilatem pertinerel

si clancularius Me typographus daret poenas, ne subindt peccet graviora, expertus fclicem nudaciam. » Un esprit aussi libre qu’Erasme demandant le secours de l’Inquisition contre un religieux, voilà certes qui prouve que le fanatisme n’animait guère le grand Inquisiteur Manrique.

Tant qu’Erasme vécut, ses œuvres furent ainsi protégées par le Saint-Office espagnol. Ce fut seulement après sa mort(u>36) et celledeManrique(1538), que l’on reconnut le mal qu’avait fait à l’Eglise le scepticisme d’Erasme, et que l’Inquisition condamna ses écrits. Encore usa-t-elle de ménagements, ne proscrivant que le texte espagnol et permettant le texte latin expurgé. (Sur toute cette affaire, voir Mbnemdbz y Pklayo. Historia de los keterodoxos espanoles, tome II, chap i).

Cependant, plus le protestantisme se développait en Allemagne, y déchaînant la guerre civile et l’intervention étrangère, et plus l’Inquisition espagnole essayait, par sa vigilance et ses rigueurs, d’en préserver l’Espagne. Liokentb signale de nombreuses condamnations qui frappèrent des protestants espagnols et étrangers, et plusieurs autodafés où ils furent brûlés. La répression s’accrut considérablement sous le règne de Philippe II, lorsque le roi, encore plus absolu que Charles-Quint, eut décrété la peine de mort contre les vendeurs et acheteurs de livres défendus (7 septembre i.>58).

Il est à remarquer que c’e3t vers le même temps que l’Inquisilion espagnole se rendit encore plus indépendante du Saint-Siège, de la hiérarchie de l’Eglise et même de l’épiscopat espagnol, dont elle ne craignait pas de citer les chefs devant son tribunal.

Le 10 mai, le Conseil du grand Inquisiteur, dont les membres étaient tous nommés par le roi, ordonna de ne tenir aucun compte de la venue de bulles pontificales portant dispenses de pénitences ; il prétendait ainsi interdire au Saint-Siège toute mesure le clémence adoucissantes rigueurs du Saint-Office. Le -.>8 septembre iù38, mourut Manrique, qui. dit Llorkntk, peu suspect d’indulgence à son égard, << mourut avec la réputation d’un ami et d’un bienfaiteur des pauvres » et doit « compter parmi les hommes illustres de son siècle… par cette vertu et d’autres qualités dignes de sa naissance » (op. cit., II, p. 76). Il ne fut remplacé qu’en septembre 153<( par Pardo de Tabera, archevêque de Tolède : et ainsi, remarque Llorente, ce même Conseil, composé uniquement de fonctionnaires royaux, dirigea pendant un an tous les tribunaux de l’Inquisition.

En k>45, par une bulle datée du 1 er avril, Paul III, voulant enrayer, dans la chrétienté tout entière, les progrès menaçants de l’hérésie, institua la Congrégation générale du Saint-Office (voir plus loin), chargée de veiller, dans le inonde entier, aux intérêts de l’orthodoxie. Parmi les cardinaux qui la composaient, il eut soin de nommer deux Espagnols de l’Ordre des Prêcheurs, Jean Alvarez de Tolède, évêque de Burgos, fils du duc d’Albe, et Thomas Badia, maître du Sacré-Palais. Malgré cette précaution, le Saint-Office espagnol prit ombrage de cette création, qui menaçait l’autonomie de plus en plus grande qu’il s’était donnée, et fit faire au pape des représentations par l’empereur. Paul III dut déclarer formellement qu’il n’avait pas eu l’intention de rien changer à ce qui avait été établi, et que l’institution de l’Inquisition romaine était sans préjudice des droits dont jouissaient les autres inquisiteurs, existant déjà ou pouvant être ultérieurement établis en dehors des Etats de l’Eglise (Llorrntb, II, p. 78).

Llorente reconnaît plus loin que le Saint-Office espagnol se considérait comme à peu près indépendant du Saint-Siège. « Les inquisiteurs d’Espagne, écrit-il, sont opposés de fait à l’infaillibilité du Souverain pontife (qu’ils prônent théoriquement), et refusent de se soumettre aux décrets du pape, lorsqu’ils sont contraires à ce qu’ils ont résolu ou à l’intérêt de leur système particulier… Le parti quel’lnquisition a osé prendre, tantôt injustement tantôt avec raison, de soutenir son autorité contre tout autre pouvoir…, a été la principale cause des démêlés continuels qui ont divisé les deux puissances (spirituelle et temporelle). » II, p 81-82). Llorente oublie d’ajouter que ce qui donnait à l’Inquisition l’audace de tenir tête au pape, c’était la direction que lui imprimait le chef nommé par le roi, mais surtout ce Conseil suprême sans lequel le grand Inquisiteur lui-même ne pouvait rien, et dont les membres ne tenaient leur nomination et leur pouvoir que du roi et du pouvoir civil.

Cette audace, le Saint-Office espagnol la montra lorsqu’il n’hésita pas à poursuivre jusqu’aux chefs de l’Eglise d’Espagne, même protégés contre lui par le Saint-Siège.

Procès de Carranza. L’Index espagnol. — Il osa s’attaquer au primat d’Espagne, Barthélémy Carranza, archevêque de Tolède, qui, par sa haute valeur intellectuelle, ses vertus et les missions de première importance qu’il avait remplies, jouissait d’une influence considérable dans toute l’Espagne, à la cour, et à la curie romaine. Religieux dominicain, il avait longtemps enseigné la scolastiqueet.en 1550, il avait été élu provincial de son Ordre. Il avait défendu l’orthodoxie catholique en Flandre el contribué à la rétablir en Angleterre, sous le règne de Marie Tudor, épouse de Philippe d’Espagne. Envoyé comme consulteur au concile de Trente, par Charles-Quint, il y avait parlé avec autorité et éloquence. Enfin, après avoir successivement refusé trois évèchés, il avait été nommé par Philippe II, en l557, au premier siège d’Espagne, le siège primatial de Tolède. Sa haute valeur et sa rapide carrière lui avaient fait des envieux et des ennemis, et dès iô30 (il n’avait que 27 ans) il avait été dénoncé à l’Inquisition par des Franciscains comme un admirateur d’Erasme ; heureusement pour lui, l’Inquisiteur d’alors était Alphonse Manrique, l’ami d’Erasme ; l’alfaire n’eut pas de suite.

Vingt ans plus tard, il écrit le traité De résidentiel, prêchant aux évêques le devoir de la résidence, que le Concile de Trente leur rappelait. Il se