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POUVOIR POLITIQUE (ORIGINE DU)

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au gouvernement politique et à l’investiture divine de l’autorité. Les dynasties et aristocraties héréditaires peuvent cadrer, non inoins facilement, avec le système du pouvoir conféré primordialement au corps social tout entier : car l’existence pacifique et stable du régime monarchique ou aristocratique comporte nécessairement l’acceptation équivalente, le consentement tacite de tout le corps social ; c’est le suffrage de la tradition historique et nationale, qui, dans la théorie dont nous parlons, constitue un droit légitime à la possession du pouvoir et une investiture parfaitement authentique.

De même, ce n’est pas l’adoption d’un système ou d’un autre qui résoudra plus clairement les cas litigieu. r relatifs au changement de régime politique ou à la légitimité d’un régime contesté. Le droit de recourir à la force pour changer le régime politique est subordonné à des conditions rigoureusement limitatives, répondant aux strictes exigences de la justice, de la morale et du bien commun, conditions que les docteurs catholiques ont judicieusement déterminées. La vérilication concrète de pareilles conditions pourra donner lieu à de graves et irritants désaccords entre honnêtes gens. Mais ni l’un ni l’autre des deux systèmes catholiques de l’origine du pouvoir politique ne rendra certain ce qui sera douteux ou obscur. Dans le système du pouvoir conféré primordialement au corps social tout entier, le changement de régime est légitimé par des abus ou des crimes assez considérables pour rendre caduc le pacte fondamental et pour autoriser la nation à en conclure équitablement un autre. Dans le système du pouvoir conféré immédiatement aux gouvernants de l’Etat, l’investiture divine cesse d’appartenir à ces derniers lorsque des abus ou des crimes considérables annulent le titre humain, dérivé de l’intérêt social, qui conditionnait et motivait cette investiture. Donc, dans les deux systèmes, la solution sera identique, et la difficulté pratique sera pareillement identique : les abus ou les crimes sont-ils assez graves, et assez irrémédiables par les moyens légaux, pour que l’on doive regarder le pacte fondamental comme caduc (premier système), ou pour que l’on doive regarder le titre humain de l’investiture divine comme annulé (deuxième système) ?

On doit en dire autant de la contestation relative à la légitimité d’un régime politique. Il y aura des pays où, par suite descomplications historiques ou des révolutions accumulées, un désaccord sérieux pourra longtemps exister, dansla partie saine et honnête delapopulalion, sur la légitimité plus ou moins contestable du pouvoir qui est en possession légale et paisible de l’autorité politique. Encore une fois, ce n’est pas l’adoption de l’une ou l’autre théorie catholique de l’origine du pouvoir qui dirimera le litige. La solution favorable et la solution défavorable à la légitimité du régime pourront être soutenues, indistinctement, par les défenseurs de l’un ou de l’autre système, qui prendront seulement des formules différentes pour exprimer les mêmes choses. Admettra-t-on la légitimité du pouvoir établi ? Dans le premier système, on dira que la transmission de l’autorité par le corps social tout entier est certaine et valide. Dans le second système, on dira que le titre humain, fondé sur l’intérêt social, qui doit motiver et conditionner l’investiture divine échappe à toute discussion raisonnable. — Sera-t-on, au contraire, opposé à la légitimité du régime existant ? Dans le premier système, on dira que le consentement national ne présente pas les caractères de liberté, de sincérité, de stabilité, d’unanimité morale, qui invaliderait le droit du régime antérieur. Dans le second système, on dira que les considérations d’intérêt moral et so cial militent toujours en faveur du régime antérieur et mettent le gouvernement de fait en désaccord avec les exigences du bien commun temporel qui seHles, pourraient rendre authentique et certaine l’investiture divine.

Nous tenions à montrer que la différence est, en réalité, fort légère entre les systèmes catholiques, et que la controverse est loin d’avoir l’importance pratique que, dans certains milieux, on lui attribue quelquefois. C’est à dessein que, jusqu’ici, nous n’avons pas même prononcé le nom de la théorie du droit divin des rois, telle que la proposa le roi Jacques I" d’Angleterre, dont les opinions furent combattues par 15ki.lah.min et Suauez. La raison en est que la contestation fameuse, au sujet des prétentions du roi Jacques, projette fort peu de clarté sur la controverse quenous nous efforçons d’élucider ici.

La question de l’origine du pouvoir politique ne fut pas examinée pour elle-même, soit chez le roi Jacques, soit chez Suarez et Bellarmin. Il s’agissait, en réalité, du pouvoir indirect de la Papauté sur le temporel des couronnes, et, plus particulièrement, du droit des Papes à relever les sujets du serment de fidélité envers les souverains hérétiques. C’est sur ce problème que le roi Jacques était le plus intransigeant et le plus susceptible, tandis que Bellarmin et Suarez tenaient à défendre les prérogatives pontificalesau sujet du pouvoir indirect et du serment d’allégeance. Le concept philosophique de l’origine divine du pouvoir politique se trouva introduit parvoie oblique, comme argumentpouroucontre la thèse pontificale, pour ou contre l’immunité des couronnes. Bellarmin etSuarezrattachèrent leurlégitime argumentation sur la déchéance possible d’un souverain à la théorie, communément admise chez les scolastiques, du pouvoir conféré primordialement au corps social tout entier, et non pas aux gouvernants de l’Etat. Jacques P’rattæhases prétentions exorbitantes à la théorie du pouvoir conféré immédiatement aux gouvernants de l’Etat, et à nul autre : le droit divin des rois. Ce qui était faux dans l’opinion de Jacques 1", comme de tous les régaliens et gallicans qui défendirent le même système, consistait, non pasdans une théorie de l’origine même du pouvoir (théorie que personne n’a démontrée fausse et qui devait, plus tard, devenir prépondérante chez les catholiques), mais dans une exagération absurde et idolâtrique des prérogatives de la souveraineté politique, considérée comme illimitée, inamissible, exempte de toute possibilitéde déchéance. Lorsque l’on en vient à cette conception païenne et dictatoriale des droits de l’Etat, on contredit gravement, par le fait même, la conception rationnelle et chrétienne du pouvoir politique. On commet, avec Jacques I er, au nom du droit divin, une usurpation toute pareille à cellcque commettent, au nom du droit populaire, les défenseurs de la conception révolutionnaire et jacobine, les apologistes du droit illimité de la majorité souveraine. Mais nous voilà conduits sur un tout autre terrain de controverse, et les erreurs odieuses de Jacques I",. comme de Jean-Jacques Bousseau, sur l’étendue des prérogatives delà puissance publique, sont parfaitement distinctes et séparahles du problème philosophique et théologique de l’origine du pouvoir. Problème dont il est opportun de rappeler la position trèsnetteet très simple : le pouvoir politique est-il conféré immédiatement de Dieu aux gouvernants de l’Etat, ou bien au corps social tout entier, celui-ci devant transmettre ensuite aux gouvernants l’autorité reçue de Dieu ? (Sut la controverse de Jacques I « et de Bellarmin, cf. J. dr La Sbrvikrb : De Jacobo I Angliæ rege, cum cardinali lïobeito Bellarmino, S.J., super potestate, cum regia, turn pon-