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POUVOIR POLITIQUE (ORIGINE DU)

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Mais, pour expliquer, en faveur du gouvernement ainsi constitué, la transmission de l’autorité venue de Dieu, pourquoi serait-il nécessaire d’alïlrmer une aliénation tacite opérée par le corps social tout entier, un pacte d’acquiescement raisonnable et silencieux, conclu par le peuple avec les chefs qui vont exercer le pouvoir ? S’il existait une certitude doctrinale en faveur de la conception d’après laquelle le pouvoir réside primitivement dans le corps social tout entier, l’aliénation tacite, le pacte d’acquiescement, deviendrait une explication très satisfaisante, dictée par la nature des choses et accordant deux principes également solides et certains. Mais ce droit originel du corps social tout entier ne nous est imposé par aucune certitude rationnelle ou révélée, il ne constitue, précisément, qu’une respectable hypothèse philosophique. Nous ne sommes donc nullement tenus d’y recourir, si les donnéescertaines que nous avons le devoir d’admettre et de concilier peuvent s’expliquer raisonnablement d’unemanièreplus simple encore et plus directe. L’hypothèse du consentement tacite paraîtra, en effet, un peu gratuite et artificielle dans bien des cas. Ellesemblera même assez bizarre, quand elle devra être appliquée aux populations qui subiront un changement de souveraineté politique par le moyen d’uney « s/e conquête.

De nombreux docteurs catholiques, surtout depuis un siècle, croient plus rationnel de concevoir l’autorité venue de Dieu comme conférée immédiatement aux gouvernants eux-mêmes de l’Etat, dès lors que ceux-ci vont être investis de la puissance publique en vertu de l’un des titres humains qui seront conformes aux exigences de la justice et de l’intérêt social. C’est la nécessité naturelle et raisonnable du bien commun temporel, dans la société politique, qui rend certaine l’investiture divine dont les chefs de la cité sont les dépositaires pour l’exercice du pouvoir. D’autre part, le titre patriarcal, le titre domanial, lexigence du salut public, la juste conquête et autres titres humains comptent, de même que la désignation faite par le corps social tout entier, au nombre des conditions historiques qui traduisent la nécessité naturelle et raisonnable du bien commun temporel. Donc, pourquoi ne pas admettre que l’investiture divine est immédiatement conférée à ceux qui réalisent concrètement, dans chaque cas particulier, ces conditions équitables, historiques et humaines ?

Pareille conception semble tenir compte de tous les éléments certains du problème et permet d’éviter le recours à une hypothèse un peu artificielle et gratuite : celle qui, sans nécessité manifeste, introduit une volonté tacite du corps social comme devant conférer au pouvoir des gouvernants de l’Etat un caractère de légitimité, avec droit d’obliger en conscience, au nom de Dieu.

Dans le système où l’autorité politique est conférée immédiatement de Dieu aux gouvernants de l’Etat, comment expliquer le mode d’investiture qui tend à prévaloir dans les régimes démocratiques du monde contemporain : la volonté nationale réglant explicitement l’organisation du pouvoir ? — Parfaitement légitime, dès lors qu’il ne viole aucune des exigences certaines de la justice et du bien commun, ce mode d’investiture fonctionnera de la même manière, quel que soit le système adopté sur l’interprétation de la doctrine catholique de l’origine divine du pouvoir. Mais, dans le système qui nous occupe présentement, le vote national aura pour effet de désigner légitimement, comme le ferait tout autre titre régulier, les gouvernants qui recevront immédiatement de Dieu lui-même le pouvoir de régir la société politique, alors que, dans le système

que nous avons exposé en premier lieu, le corps social était considéré comme ayant déjà reçu de Dieu le dépôt de l’autorité publique, et, par l’élection régulière, confiait, transmettait aux gouvernants le pouvoir de régir la société politique. Dans le premier système, le vote national était une aliénation d’autorité, validement opérée, en faveur des gouvernants, par le corps social, déjà dépositaire de l’autorité ; alors que, dans le deuxième système, le vote national devient une désignation juridique, préalable et préparatoire à l’investiture même du droit de commander, que les gouvernants élus recevront immédiatement de Dieu, créateur et conservateur de la société politique.

Cette désignation préalable et préparatoire serait exactement du même ordre, par exemple, que celle qui, dans l’élection de chaque nouveau Pape, est opérée par le Collège des cardinaux : l’élection elle-même ne confère pas le pouvoir pontifical, mais elle désigne le personnage qui recevra de Dieu l’héritage de la primauté perpétuelle de saint Pierre. La diflérence est ici que, pour le pouvoir pontifical, l’investiture est de droit divin surnaturel ou positif, alors que, pour le pouvoir politique, l’investiture est de droit divin nalnrel, comme nous l’avons expliqué plus haut. Nul doute que ce concept de désignation préalable et préparatoire des gouvernants de l’Etat par la volonté du corps social soit un concept philosophique différent du concept de transmission de pouvoir, qui était celui des défenseurs de l’opinion plus commune chez les théologiens antérieurs au dix-neuxième siècle. On voit parla ce qui est caractéristique du système en vertu duquel c’est immédiatement aux gouvernants de l’Etat, quel que soit leur mode d’accession, que Dieu confère les prérogatives authentiques du pouvoir politique.

(L’exposé le plus autorisé de ce système existe chez Taparelli d’Azbglio, Essai théorique du Droit naturel, paru en 1857, livre 11, chap. v à x. — Du même auteur : l’Examen critique des gouvernements représentatifs dans la Société moderne, ouvrage contenant un chapitre étendu sur l’Origine du Pouvoir. Une traduction française de Taparelli : le volume sur Origine du Pouvoir et les deux volumes de l’Essai théorique de Droit naturelle trouve chez Lethielleux. Au point de vue scolaire, voir Cathrein, Philosophia moralis, livre II, chap. iii, thèses 79 à 81.)

c) Questions que la controverse ne prétend pas résoudre. — Les deux systèmes que nous venons d’exposer constituent des explications vraiment plausibles et sérieuses. Tous deux se fondent sur des considérations vraisemblables, quoique non pas absolument concluantes. Aucune objection décisive ne peutêtre formulée ni contre l’un ni contre l’autre. On peut dire sans crainte d’erreur que c’est une controverse qui restera perpétuellement ouverte.

Il faut se garder d’y introduire des plaidoyers pour ou contre un régime politique déterminé, comme si, par exemple, le système qui considère le pouvoir comme primordialement conféré de Dieu au corps social tout entier devait favoriser la démocratie politique, tandis que le systèmequiconsidère le pouvoir comme conféré immédiatement de Dieu aux gouvernants de l’Etat devait favoriser les dynasties ou aristocraties héréditaires. Rien de moins exact, nonobstant l’association d’idées qui vient facilement à l’esprit entre le régime démocratique et la théorie de Suarez, ou entre les régimes héréditaires et la théorie de Taparelli. La démocratie politique peut cadrer, sans aucun effort, avec le système du pouvoir conféré immédiatement aux gouvernants de l’Etat : le vote populaire sera, dans ce régime, la condition régulière et fondamentale de l’accès légitime