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RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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fut commis. Son erreur fera qu’il est trompé. Mais cet elfet n’a pas été intentionnellement recherché ; il fut permis pour un motif que nous supposons proportionné.

Ou bien, nous considérons la question indiscrète ou illégitime comme un assaut injuste, bien qu’inconscient, livré à notre secret. En ce cas, faute d’autre ressource, nous pouvons défendre ce secret en prononçant des paroles qui, si elles étaient données comme significatives de notre pensée, constitueraient un mensonge, mais par lesquelles nous ne signifions autre chose que la volonté de ne rien révéler, de nous taire. En effet, en ce cas, d’où naîtrait l’obligation de signifier quoi que ce soit ? Une question injuste, remarque Valkntia (in II, II, u. v. q. 13. punct. 2) n’obïige à rien. Celui à qui on la pose, peut donc employer les paroles dans le sens qui lui plaît, comme s’il était seul. Lkssius, II. c. xlii, répète le raisonnement de Valentia, qu’approuvent également Sanchez et Viva, en autorisant de prononcer matériellement les paroles sans intention de signifier. Dans notre cas, vaut également la raison de Luuo (De Fide, c. iv, n. 65. 66) : sans la volonté de signifier, il ne saurait y avoir de mensonge formel. Je semblerai parler, il est vrai ; cette apparence trompera mon interlocuteur. Mais la légitime défense m’excuse de permettre cet effet, tout comme, en cas de nécessité, elle excuse l’homicide matériel de 1 agresseur.

Au surplus, — le lecteur s’en rendra aisément compte, — même quand les circonstances qui donnent un sens évasif aux paroles sont à la rigueur connaissables, il nous faut recourir au caractère défensif de notre réponse pour justifier l’effet d’erreur qui en est souvent la conséquence.

Le recours à ce caractère défensif possède en outre cet avantage, qu’il prévient les abus. Si l’amphibologie résultant de circonstances inconnues à l’auditeur suffisait à elle seule, pour quantité de raisons plus ou moins plausibles, la sincérité disparaîtrait du langage spontané lui-même.

Ne pourrait-on pas utilement recourir ici à l’adaptation au but ou à l’intention do celui qui interroge ? Celui-ci demande-t-il plus que ce que l’autre ne peut raisonnablement lui refuser ? — Ne pourrait-on pas faire valoir cette autre considération : puisqu’un secret à garder est toujours possible, les mots n’ont jamais qu’un sens conditionnel, et celui qui interroge ne doit accepter que sous une condition générale (sauf secret à garder) le sens apparent des mots ?

Mais, nous l’avons fait observer plus haut, l’intention de celui qui nous adresse une question limite notre devoir positif de lui répondre ou de l’instruire, mais n’affecte aucunement notre devoir négatif de ne pas mentir.

D’autre part, la simple possibilité d’un secret à garder ne met raisonnablement personne en spéciale défiance, ne modifie pas l’accueil fait à la communication.

En outre, l’attitude de l’interlocuteur, ses dispositions subjectives peuvent atténuer la gravité de son erreur éventuelle, mais elles demeurent sans influence sur le caractère mensonger ou véridique des réponses données. En effet ni le fait de n’être pas trompé, ni de consentir au langage voilé (non soupçonné positivement) de celui qui répond, ne causent et ne suppriment le mensonge. Rappelons-nous ce point fondamental : C’est du côté de celui qui parle, qu’il faut apprécier l’accord de sa parole et de sa pensée.

! Ii.sum7- : et Conclusion

I. Résumé

I. Jamais on ne peut mentir. Mentir, c’est parler contre sa pensée. Dieu même, Suprême Vérité, ne peut permettre à quelqu’un de mentir.

II. Le mensonge est, de soi, péché véniel. Il ne devient mortel que lorsqu’il est pernicieux en matière grave.

III. Outre le précepte négatif de ne pas mentir, il y a souvent un précepte positif qui impose le devoir d’enseigner ou de répondre la vérité. Le mensonge peut également violer ce devoir. Mais on peut aussi mentir sans l’enfreindre ; et on peut lenfreindre sans mentir. L’on ne saurait donc définir le mensonge : la négation d’une vérité due à autrui.

IV. Plutôt mourir que de commettre même un péché véniel ! Mais les conditions de notre humanité ne nous permettent pas de concevoir l’ordre moral comme réduisant fréquemment les hommes, et cela sans leur faute, dans l’alternative de commettre un péché véniel ou de sacrifier de graves intérêts. Pareille tentation dépasserait les forces de la plupart. La Providence n’a pas jugé nécessaire de nous faciliter à ce point l’héroïsme.

Encore moins est-il possible d’admettre que des conflits insolubles naissent entre deux devoirs. Or, garder ses secrets c’est toujours un droit, un droit lié à des intérêts plus ou moins considérables ; et c’est souvent un devoir rigoureux, dont la violation peut avoir les plus fâcheuses conséquences, non seulement pour celui qui parle, mais aussi pour des tiers et le bien commun lui-même. N’avons-nous pas là de sûrs indices qu’il existe une voie honnête, accessible à tous de garder ses secrets sans mensonge et, généralement, sans grands dommages ?

V. Cette voie est celle du silence, du refus poli de répondre, du recours à des expressions à sens évasif. Et lorsqu’on est pressé de questions importunes, cette circonstance elle-même communique un sens évasif aux réponses nécessaires pour ne pas dévoiler ses secrets. De telles réponses pourront vulgairement recevoir le nom de mensonges ; mais en réalité, il n’y a là que des ambiguïtés.

VI. En l’absence dépareille circonstance, les motsdoivent être employés dans le sens naturel que leur donne le contexte. Si ce sens est unique, on ne saurait se rejeter sur d’autres sens possibles du mol ou sur une addition mentale, pour croire à une équivoque qui écarte le mensonge.

Cette critique s’attache à l’explication elle-même, non pas aux excellents auteurs qui, en la donnant, peuvent s’être trompés, mais n’ont permis effectivement qu’une conduite et qu’une manière de répondre auxquelles tout le monde aujourd’hui s’est rallié.

VII. Celui qui parle spontanément n’a pas affaire à un indiscret : ses secrets ne sont pas attaqués. Suarez dit donc fort justement que celui qui s’offre à parler doit s’exprimer avec simplicité, de la manière dont il sait que son interlocuteur entendra ses paroles(tfef. tr. V, l. 3, c.x, n. 10). Cependant, aucours de l’entretien, peuvent naître des questions indiscrètes. D’autre part, les assurances des médecins, les félicitations habituelles, et même les recommandations que les commerçants font de leurs marchandises, empruntent aux circonstances un caractère d’ambiguité.

VIII. /.71/j/oiVe elle-même de cette question morale peut se résumercomme suit. Dans une première époque, la notion du mensonge n’est point analysée, creusée, approfondie. Les mensonges que certains auteurs ecclésiastiques, d’ailleurs respectables, permettaient avec précaution, ne sont probablement