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RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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veut rien signifier, mais simplement prononcer des paroles ? D’excellents auteurs : Vai.entia, in II, II, VI, q.7, punct. 4 fine ; Sanchbz, Dec. 1. III, c. vi, 11. 10 ; Viva, in prop. damnatam ah. Innov. XI, n. 10 ; Lcgo, De Fide, D. iv, n. 60, opinent négativement. Qui ne veut pas parler ne saurait parler contre sa pensée, ni par conséquent violer le précepte négatif qui défend de mentir. De même, un consentement purement extérieur ne saurait donner lieu à une obligation contractuelle. On ne sera tenu que par la défense de nuire au prochain.

Seulement, il y a cette dilférence entre ce dernier cas et celui du mensonge, que l’obligation contractuelle naît du consentement des parties ; tandis que nos gestes et paroles doivent, indépendamment de notre consentement, s’accorder avec nos pensées. Et les circonstances les rendent significatifs malgré nous. Si donc les circonstances ou notre langage même ne laissent au moins soupçonner notre dessein de ne pas parler formellement, nous ne pouvons éviter l’imputation de mensonge, en parlant pour ne rien dire.

Nous exceptons toutefois le cas où une injuste agression donne aux paroles une autre valeur et destination qu’une valeur et destination manifestalives de notre pensée. Quand elles deviennent protectrices nécessaires d’un secret mis en péril, leur rôle défensif, étranger à la conversation, échappe aux lois de cell «-ci et, par conséquent, ne doit pas être perceptible.

Art. II- La solution du problème

Une remarque préalable éclaire, nous parait-il, tout le sujet. Parler, ce n’est pas seulement prononcer des paroles, niais c’est les prononcer dans l’intention avouée de communiquer sa pensée ; aveu qui d’ailleurs peut être contenu dans la manière de s’adresser à quelqu’un ou dans les circonstances du discours. « Quand Pierre me dit : Jean est mort », il ne signifie pas seulement que Jean est mort, mais encore qu’il veut me donner ce renseignement et qu’il me le donne en réalité. » (Coninck, Dis p. ix, De Obiectv Fidei, dub. 5, n. 5}).

L’acteur au théâtre et celui qui plaisante énoncent bien des propositions en désaccord avec leur pensée. Ni l’un ni l’autre ne mentent. Pourquoi ? Parce que personne n’est trompé ; qu’on n’a abusé de la confiance de personne ? Cette raison n’est ni immédiate ni complète, ni formelle. Elle n’est pas immédiate, car une cause plus prochaine a empêché l’erreur et l’abus de confiance. Elle n’est pas complète, car il se peut que quelques-uns soient trompés accidentellement, sans que de ce chef il y ait mensonge. Elle n’est pas formelle, car, pour n’être pas cru, le menteur ne cesse pas d’être tel. Maisla raison immédiate, complète et formelle, c’est que ni l’acteur ni le plaisant ne sont censés communiquer leur pensée.

Donc, chaque fois que les circonstances démontrent que les paroles viennent de quelqu’un qui n’entend pas communiquer sa pensée, il n’y a ni vraie conversation, ni mensonge possible ; chaque fois que cela est douteux, il y a une ambiguité qui permet d’échapper au mensonge.

Toutefois, en l’absence d’indices contraires, qui s’adresse à autrui est censé communiquer sa pensée.

« En parlant, on dit suffisamment qu’on parle » 

(Slahez, De Fide, D. iii, s. 12, n. 12).

Cela posé :

Le sileuceetltoulindiqué connue première manière de garder pour soi ce qu’on ne veut pas dire. Un langage entièrement spontané doit être exempt d’artilices, empreint de sincérité.

Mais les circonstances ou les questions posées ne permettent pas toujours de se taire.

Ces circonstances constituent un contexte qui peut modifier le sens naturel des expressions. La maladie donne aux paroles rassurantes du médecin la valeur d’un encouragement (fondé ou non fondé : cela est douteux) ; les félicitations accoutumées ont reçu la valeur d’une politesse, d’une marque de sympathie Tant qu’on n’excède pas (car de trop vives insistances peuvent neutraliser les circonstances et devenir de vrais mensonges), on n’a pas, dans telles occurences, à se reprocher d’avoir menti.

Quant aux questions posées, elles se font en vue de réponses sincères ; et, sauf raison opposée, elles en recevront de pareilles de la part d’un honnête homme. Si elles nous pressent de révéler ce que nous préférons tenir caché, nous avons d’abord la ressource de les écarter poliment. Si le refus de répondre ne peut être donné ouvertement ou trahirait peut-être notre secret, cet embarras prête aux paroles qui nous viennent à la bouche un sens évasif, qui est vrai et qui empêche le mensonge. Cela est certain au moins toutes les fois que l’interlocuteur peut soupçonner son indiscrétion ou notre désir de ne pas le satisfaire.

Alors, plus on nous presse, plus s’accentue le caractère évasif de nos phrases, et moins nos réponses méritent d’être prises au sérieux, selon leur sens naturel. Il va de soi que ce n’en sera que mieux si, même lorsqu’elle est prise littéralement, notre phrase n’offre aucun sens défini.

Voilà du coup tranchés simplement, la plupart des cas réputés embarrassants. L’épouse infidèle n’a pas à chercher dans l’Ancien Testament un sens exotique au mot adultère ; l’accusé peut nier son fait, sans ajouter secrètement la mention d’un lieu ou d’un jour où il fut innocent ; et, pour déclarer sans mensonge que l’homme poursuivi par des sbires n’avait pas passé par là, l’aimable S. François n’avait pas à désigner sa manche.

Un cas ou un genre de cas paraît plus gênant à première vue. C’est celui où l’indiscrétion de la demande échappe complètement ou même nécessairement à l’interrogateur ; où par conséquent, même en lui supposant une prudence exquise, il ne peut se douter du caractère évasif de notre réponse. Observez, en effet, la condition que les bons auteurs paraissent mettre à l’emploi de ce qu’ils appellent la restriction non purement mentale : ils veulent qu’une circonstanceextérieure la rende connaissante à l’interlocuteur (Voy. par exemple, Viva, in prop. 27 d’Innocent XI, n » x ; S. Alphonse. 1. III, c. 11, n. 162 fine).

Que faire donc, si notre interlocuteur ne peut soupçonner notre juste volonté de ne pas contenter sa curiosité ?

Deux explications, d’ailleurs assez peu divergentes, nous permettent d’autoriser, même en cette hypothèse, ce que nous venons de légitimer dans les cas précédents.

L’on peut raisonner comme suit. La circonstance extérieure qui crée l’amphibologie existe objectivement. Qu’importe, au point de vue mensonge, que l’interlocuteur s’en aperçoive ou ne s’en doute pas ? Indépendamment de sa persuasion, la circonstance donne aux paroles un autre sens probable. Cela suffit. Nous pouvons toujours dire sans mensonge ce qui ne serait pas mensonge pour un auditeur au courant. Averti ensuite de cette circonstance (s’il arrive à la connaître par nous ou d’autre façon), il ne serait ni scandalisé ni même fort surpris de notre procédé ; il garderait la même opinion de notre véracité : preuve indirecte qu’aucun mensonge ne