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RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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l’on est certainement indemne de la contagion. Par là, en effet, le devoir positif de répondre sera le plus souvent satisfait. Encore Layniann (1. c. n. 8, in) reiuarque-t-il à bon droit que le supérieur peut ne pas vouloir s’en remettre à l’inférieur du soin de juger si le but est atteint, par exemple si réellement il a traversé indemne une région où sévit la peste.

Supposons donc ce devoir positif rempli. Peut-on, ensuite, sans mentir, donner des réponses qui sont fausses quand on les prend à la lettre ? L’emprunt d’argent, l’extinction delà dette font l’objet de deux questions différentes. La réponse vraie à la seconde question ne satisfait pas à la première. Que la dette soit éteinte ou non, l’emprunt n’en reste pas moins un fait. Je ne pourrai le nier sans mentir, que si ma négation se justifie d’autre part ; par exemple, si elle emprunte aux circonstances, la signification d’un refus de répondre.

Concluons : l’on ne peut dire, d’une façon universelle, qu’il suffit d’avoir égard au but de l’interrogateur pour éliminer le mensonge.

III. La distinction d’un double genre

de connaissances

S. Thomas lui-même (in IV d. 21, q. 3 art. 1, sol. 1 ad 3) permet au Confesseur de ne tenir aucun compte, dans ses réponses, de ce qu’il a appris au tribunal de la pénitence : on l’interroge sur sa science humaine, non pas sur ce qu’il a appris comme tenant la place de Dieu.

Toutes proportions gardées, il faut en dire autant de ceux qui sont liés par un secret professionnel. Il est entendu que la question se limite à ce qu’ils connaissent par ailleurs.

N’est-ce point même là l’explication toute naturelle de la réticence dont usa Notre-Seigneur, quand II déclara que le Fils de l’homme ignorait la date précise du jugement dernier ? Il parlait comme l’envoyé du Père, venu en ce monde pour enseigner toute vérité contenue dans sa mission. A ce litre, Il ignore ce qu’il n’a pas mission de dire. Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, Notre-Seigneur pouvait, sans inconvénient pour Lui, refuser ouvertement la question. La forme cependant dont II revêtit sa réponse faisait mieux comprendre aux disciples à quel point Dieu voulait que ce secret leur fût impénétrable.

Mais peut-on plus généralement séparer d’une connaissance communicable une science non communicable, celle qu’on a le devoir ou du moins le droit de se réserver ?

Ici encore, il y a lieu de distinguer. Il est permis, sans doute, de refuser poliment la demande, par une formule qui, dans notre milieu, possède la valeur d’un refus : je ne sais pas ; je ne puis pas’.

Il n’en demeure pas moins vrai, qu’une connaissance même secrète affecte et modifie nécessairement les pensées et les convictions de celui qui parle. Par conséquent, quand il ne s’agit pas du secret sacramentel, ou, peut-être, du secret strictement professionnel, affirmer une contre-vérité, connue sous secret, louer la probité d’un homme qu’on sait secrètement être un fripon, ce serait parler contre sa pensée ; ce serait donc mentir.

IV. La mise à la portée de l’auditoire

Celui qui parle ou enseigne, peut se mettre de diverses manières au niveau de ceux qui l’écoutent. 1. — S’il ne s’agit que de ces formules courantes

1. Déjà Caramuf.l, Theol. fundament., n. 1804. le notait : les mots : je ne veux pat sont raves de la conversation des gens bien élevés ; on y » substitué : je ne puis.

qui, prises à la lettre, sont scientifiquement fausses, mais qu’on emploie sans en affirmer pour cela l’exactitude, il n’y a pas ombre de mensonge à s’en servir. Nous continuons ainsi à parler du lever et du coucher du soleil.

2. — On raisonnera encore sans mensonge, en déduisant les corollaires d’une hypothèse fausse où un tiers s’estplacé de lui-même, ou du moins sans notre faute. Les plus graves motifs peuvent déconseiller de le détromper. Voici un exemple. Le mariage entraîne des droits et des devoirs. Rien n’empêche de les signaler à qui se croit, par erreur, engagé dans les liens d’une union légitime.

3. — Mais qu’il y a loin de là à autoriser l’hypocrisie de la prédication l’Des pasteurs protestants de l’école libérale, s’estimant plus avancés que le commun des mortels, et parvenus à ce degré d’intelligence où leur Foi en Dieu (telle qu’ils l’entendent) se passe du symbolisme dogmatique, rejettent dans leur for intérieur, parfois même dans leurs écrits scientifiques, la divinité du Christ, le mystère de sa résurrection, de son ascension, tout en continuant à prêcher ces vérités à la foule moins éclairée. Voyez avec quelle désinvolture le moraliste protestant Paui.skn (System der Ethik, éd. 7 et 8, Berlin, lyoG, II, p. il : >, ss.) autorise l’enseignement d’erreurs utiles à l’auditoire.

Jamais cette forme nouvelle de mensonges officieux ne trouva et ne trouvera grâce devant le théologien catholique le plus subtil et le plus bénin. Ils seront unanimes à les condamner comme gravement injurieux à Dieu et gravement nuisibles au prochain. Il se rappelleront la parole d’AuGUSTiN : il ne peut en aucune façon être question de mensonge quand la doctrine religieuse est en jeu. ( De mendacio, c. x. P. L. XL, 500.)

V. La situation anormale de l’interlocuteur

La situation anormale de l’interlocuteur légitimet-elle, avec les malades, les enfants, les faibles d’esprit, les insensés, un langage qui ne pourrait être tenu à d’autres sans mensonge ?

Nous ne saurions accepter la thèse’qui circonscrit la loi de la véracité aux conversations engagées dans des circonstances normales. Le malade, l’enfant, le faible d’esprit, sont des personnes humaines. Ne pas tout leur dire, c’est notre droit, quelquefois, notre devoir. Mais dès que nous nous entretenons avec eux d’une façon sérieuse, en rapport avec leur capacité, nous sommes tenus par la loi de la vérité. Seulement il arrivera qu’avec des personnes en délire, la conversation ne puisse être sérieuse.

VI. Les protestations usuelles de respect, de dévouement, etc.

Que dire des formules d’estime, de considération, de dévouement, mises au bas des lettres ? Que dire des félicitations usitées ? Des philosophes du xviii’et du xixe siècle se le demandèrent. Un petit nombre, tel Schopenhauer, les condamnèrent ; mais la plupart leur donnèrent droit de cité. Kunt leur est favorable, parce qu’elles ne trompent personne et disposent à des sentiments s’accordant avec les paroles. Nous en disons autant des compliments d’usage, pourvu qu’on n’y mette aucune affectation de sincérité.

VIL La prononciation matérielle des paroles

Le mensonge formel est-il possible, lorsqu’on ne

1. D. Jakobovits, dans son ouvrage Die Luge p. 116. 117. allègue DoitNRK, Dai menichliclte llandeln, comme soutenant cette thèse.