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RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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aussi de l’exemple du Christ, qui, du moins en deux circonstances, aurait recouru à une restriction mentale. Pressé parles siens de se rendre à Jérusalem, 11 déclara qu’il ne s’y tendrait pas. Et peu après, Il en prenait le chemin. Il sous-entendit donc le mot a maintenant » ou, « avec vous ». Remarquons d’abord que rien n’empêchait le Christ de donner une réponse toute franche. Pourquoi, dès lors, vouloir trouver une restriction dans ce dialogue ? Les parents de Notre-Seigneur lui proposaient de les accompagner. Il refusa. Qu’ensuite, et peut-être pour un motif subséquent que l’Evangile ne devait pas nous relater, Il s’y rendît seul, qu’y a-t-il là de contradictoiie ? L’autre exemple : l’ignorance avouée du jour du jugeaient, viendra plus loin à sa plæe.

Ajoutons encore que l’interprétation trop littérale de certains textes scripturaires latins put confirmer quelques-uns dans leur erreur. S. Augustin (De mendacio, c. xvi, n. 31. P.L. XL, 508) nous apprend que, de son temps, quelques-uns inféraient du texle où le Psalmiste (Ps., xiv, 3) loue « celui qui dit la vérité, dans son cœur », qu’il fallait toujours dire intérieurement la vérité, mais non pas extérieurement, quand on avait à prévenir un plus grand mal. Quelques mots ajoutés mentalement sauvaient cette vérité intérieure.

Enfin le soin avec lequel ces auteurs entendaient écarter des patriarches le soupçon de mensonge, a pu également les disposer à trop compter sur certains artifices de langage.

Chapitre III. — Le problème

DE LA SAUVEGARDE DES SECRETS

Les droils de la vérité sont imprescriptibles ; mais nos secrets sont inviolables.

La confiance en la Sagesse divine nous est garante que les secrets peuvent être maintenus sans mensonge. Bien plus ; puisque le désordre du mensonge n’est pas grave comme tel, il ne semble pas que, sauf dans des cas très rares, puisse se présenter la nécessité de commettre le péché véniel de mensonge, si l’on ne préfère mourir, ou subir de très grands dommages. Les hommes ne sont généralement pas taillés en héros. Et la divine Bonté tient compte de leur faiblesse, non pas pour autoriser jamais le moindre mal moral, mais pour ne pas exposer leur vertu à de trop fortes tentations.

Il y a donc des moyens de concilier la prohibition du mensonge avec la tutelle du secret. Lesquels ? C’est ce qui nous reste à rechercher.

Les restrictions mentales furent un essai malheureux de conciliation. Depuis le temps où, sous l’empire des nécessités pratiques, les théologiens se préoccupèrent de la question, à côté des restrictions mentales, d’autres expédients furent proposés pour les circonstances embarrassantes.

Avant de donner la solution directe du problème, il convient donc d’apprécier les divers conseils pratiques suggérés à ce sujet.

Art. I er. Les expédients proposés

I. La réponse ambiguë ou équivoque

Qu’on puisse se tirer d’embarras par l’ambiguïté ou l’équivoque, déjà, au xiu 1 siècle, S. Ramond(12^o) Summa, 1. I, t. io, De mendacio, le déclare expressément. Depuis lors, cela n’a fait de doute pour personne’.

1. Les modernistes ne se font pas scrupule d’y recourir. Après la condamnation p ; ir le S. Office de certaines de ses propositions, M. Loisy écrivait au Cardinal Richard ces lignes ; « Je déclare à Votre Eminence que, par esprit d’obéissance envers le S. Sièjfe, je condamne les erreurs

Mais pourquoi an lii,.gage ambigu n’est-il pas mensonger ? Celui qui parle propose-t-il formellement les deux sens dont la phrase est susceptible ? En ce cas, puisque l’un des deux est vrai et l’autre faux, il dirait à la fois la vérité et mentirait. C’est l’ingénieuse remarque de Luoo, De Fide, c. iv, n. (J5. — Ne propose-t-il que le sens vrai ? Il ne semble pas. Le sens vrai est d’ordinaire celui qu’il veut cacher. S. Antonin (Summa, p. II, t. io, c. i, § i) va jusqu’à prétendre qu’il entend inculquer l’autre sens (ce que, d’après nous, il ne peut faire). S’il ne voulait pas dérober le sens vrai à la connaissance de l’interlocuteur, il parlerait ouvertement.

En réalité, celui qui enveloppe sa pensée de tournures obscures, amphibologiques, refuse simplement de s’expliquer ou de donner une réponse nette : ce qu’il peut faire sans mentir.

L’équivoque peut être verbale ou résulter de la phrase. Seulement Laymann, 1. IV, tr. iii, c. 13, l’observe avee raison : le contexte détermine généralement le sens d’un mot à plusieurs acceptions. La proposition ne devient donc pas ambiguë par cela seulement que le verbe voler peut signifler l’action du voleur et celle des oiseaux. Non plus que Laymann, nous ne parvenons à comprendre comment la Glose et S. Raymond ont cru que l’emploi isolé du verbe latin esse donnait lieu à une équivoque, parce que ce mot peut signifier en latin exister et manger. Et la femme infidèle qui nie sa faute, n’est pas excusée de mensonge, parce qu’elle n’a pas offert d’encens à une idole et que l’idolâtrie du peuple d’Israël est qualifiée d’adultère dans l’Ancien Testament. (Voy. Noldin, De præccptis, n. 640)

II. La réponse adaptée au but ultérieur de l’interrogateur

Qui pose une question poursuit un but, cbercheun renseignement. Peut-on, sans mentir, donner une réponse littéralement fausse, mais qui satisfait au but et fournit le renseignement désiré ? De graves auteurs semblent l’admettre sans plus. Citons le Card. Tolet, S. I., Iuslructio sacerdotum, 1. IV, c. xxi, n. 6 ; Sanchez, Dec., 1. III, c. vi, n. 29 ss., Laymann, 1. IV, tr. iii, c. 14 » n. 8.

Nous présenterions mal la pensée de ces auteurs, si nous ne distinguions les cas et les devoirs.

Quand le but poursuivi modifie le sens même de la question, il est clair que la réponse donnée dans ce sens est à l’abri de tout reproche. Un emprunteur pose la question : « Avez- vous de l’argent ? » en comprenant : de l’argent disponible. La réponse négative ne porte elle-même que sur de l’argent à prêter.

Mais quand le sens de la question n’est pas affecté par le but, il y a lieu de discerner un double devoir : le devoir positif d’éclairer celui qui nous interroge légitimement, et le devoir négatif qui m’interdit de mentir.

Par la réponse qui satisfait au but, nous accomplissons le devoir positif. C’est bien là ce qu’entendent les auteurs. Les exemples qu’ils apportent le prouvent. Ils parlent d’un inculpé ; ils mettent en scène un juge ou un magistrat qui demande : Avez-vous emprunté de l’argent ? ; venez-vous de tel endroit contaminé ? Et ils permettent de donner sous serment la réponse négative, si la dette est éteinte, si

que le S. Office a condamnées dans mes écrits ». La lettre date du 12 mars 1904. lin 1908, dans sa plaquette, Quelques lettres sur des questions actuelles et sur des événements récents, l’abbé commentait comme suit cette déclaration :

« Je regrettais dpjà la déclaration précédente…

qui pouvait tout aussi bien être tenue pour insignifiante, puisque le S. Office, en réalité, n’avait condamné aucun* erreur ».