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RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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d’écarter la question ; que la promesse de cent francs peut n’être pas sérieuse.

La restriction qui se laisse ainsi soupçonner s’appelle largement mentale, et s’oppose à celle qui ne s uirait être comprise’, dite purement mentale.

Puisque la restriction mentale au sens large crée une équivoque, on en est venu à qualifier de restriction mentale toute équivoque, et même tout artifice employé pour éviter une réponse franche et sincère. Il se peut ainsi qu’on parle de restriction mentale là où il n’y a plus même de restriction. Quand un accusé répond au juge qu’il n’a pas volé, en ce sens qu’il n’a pas fendu l’air, où est la restriction ? Si quelqu’un affirme avoir diné en sous-entendant

plusieurs fois dans sa vie », il élargit la question, si celle-ci ne portait que sur le repas d’un seul jour.

II. Origines- — Distinguons le mot de la chose. Les termes de restriction, de restriction faite dans

1 esprit et non exprimée, se rencontrent déjà chez Caprbolus (1444)> des Frères Prêcheurs, surnommé

« le prince des Thomistes » (In IV, n. 21, q. 2, versus

fine m). L’adjectif occulte, tacite, associé au mot de restriction, se lit chez Lessius (i.354-iG23), peut-être pour la première fois (1. II, c. xlii, n. 47, et c. xlvii, n. 35) ; enfin les termes de restriction mentale, de restriction purement mentale sont employés par Lugo(i 583-1 G60), De Fide d. iv, n. 62 et65.PoNcius, des Frères Mineurs (1660), Comment, in Scot, in 111, d. 38 q. unica n. 58, parle également de restriction mentale. L’expression de restriction mentale au sens large (late mentalis), nous la croyons postérieure au décret du S. Office du 2 mars 1679.

Mais la théorie est bien antérieure ; et le rigide Concina (1756), O. P., se trompe étrangement quand il la déclare inventée à la fin du xvi 8 et au commencement du xyii° siècle. Caprbolus, à l’endroit cité, en admet le principe, lorsque, voulant montrer comment ces deux propositions : je sais ceci et je ne sais pas ceci, peuvent ne pas être contradictoires, grâce a des additions ou à des restrictions, il ajoute : « A cela ne s’oppose pas que les additions et les restrictions se fassent dans l’esprit et ne soient pas exprimées ; parce que nous usons des mots à volonté ; et que celui qui prononce un mot, peut signifier quelque chose pour lui-même qu’il ne signilie pas et ne veut pas signifier pour autrui : de la sorte, les paroles ne sont pas contradictoires auprès de celui qui parle, bien qu’elles le soient pour celui qui les entend, parce que la signification est autre pour celui qui écoute, autre pour celui qui parle ». Déjà Cajktan (1470-i">3/|), in II, II, q. lxxxix art. 7, ad 4, combat l’opinion de certains auteurs qui admettent que l’on peut, sans mensonge ni parjure, compléter par la pensée le sens des paroles ; par exemple, promettre deux cents livres, eu ajoutant intérieurement « si je les dois ». Voilà bien de la restriction mentale.

La doctrine de la restriction mentale se trouve élaborée et patronnée par le célèbre moraliste des tërmites de S. Augustin, Azpii.cukta, appelé souvent le NAvxnnvis (U r Navarrus). Voyez surtout son commentaire du eh. Humanæ aures (Décret de Gratien, II, c. xxii, q. 5), « j ni porte ce titre significatif :

« De la vérité d’une réponse en partie exprimée

verbalement, en partie simplement conçue » (De veritate responsi parlim verbo expresse, partim mente conceptareddili).

1. Ce terme lui-même est ambigu. Pour que la restriction passe pour être comprise, il ne faut pas que l’auditeur connaisse ma pensée ; il suffit que les circonstances le mettent sur ses gardes, fassent soupçonner le n fus de l’explication souhaitée.

111. Histoire. — Après le Navarrais, qui peut passer pour le Docteur, sinon pour l’inventeur, du système des restrictions mentales, celles-ci comptèrent, dans diverses écoles des partisans et des adver* saires. La théorie est admise par le Card. Tolkt, S. I. (153a-150, G), Instructio sacerdotum ouSumma, l.lV, c. xxi, n. G ; par le grand moraliste que fut l’évcque Bonacina (iG31), De morali théologie, t. H, d. 4.q- 1, puncl. xn ; soutenue par l’érudit Théophile Raynaud, S. I. (1583-iG60), dans sa célèbre dispute écrite pour venger Lessius des calomnies de Jean Barnes (Splendor veritatis moralis, collatus cum tenebris mendacii et nitbilo aequivocationis ac mentalis restrictionis. Ad librum Leonardi Lessii De iuslttia etiure, appendix quo licitus usas aequivocationum et mentalium restrictionum, traditus l. il, c. xi, dub. 10 et 0. xlix, d. 9, adversus falsas loannis liarnesii, Angli, Monachi Benedictini, criminationes propugnatur ». — Thomas Sanchbz (1550-1610) Dec. 1. III, c. VI, n. 15, enseigne le principe, mais comme moins certain, bien qu’ensuite il entre dans nombre d’explications. La probabilité du système est reconnue par Suaubz, S. I. (1548-1617) De lieligione, tr. V, 1. 3, c. ix et x, où il distingue l’amphibologie sensible de l’amphibologie mentale. Lessius, S. I.(1554-16a5) lui accorde une plus grande probabilité. (Cf. 1. I, c. xlii, n. 47 et et c. xlvii, n. 35).

Par contre, la théorie est absolument rejetée par Aug. Coninck, s. i.(1571-1633), De virtutibus, Disp. x, dut). 3, n. 3’| et 4g ; par Laymann, s. 1. ( 1."> 7 5 - iG35) Theol. mor. 1. IV, tr. iii, c. 13, De mendacio, qui déclare ne pas comprendre comment on puisse trouver une équivoque, là où l’expression n’offre qu’un seul sens ; puis par le Card. de Lugo, s. 1. (De Fide, c. iv, n. G2-66), qui, sans les traiter de mensonges formels, rejette les restrictions mentales comme contraires à la véracité et rendant inutile la prohibition du mensonge. Il ne sert à rien, ajoute-t-il, de dire qu’on ne les permet que pour de bons motifs ; d’autres diraient de même qu’on ne peut mentir sans raison.

— Poncius, des Frères Mineurs, in Comment. Scoli in III d. 38, q. unica n. 50,. 73, sans oser condamner, par égard pour leurs patrons, l’usage des restrictions mentales, les tient lui-même pour des mensonges. Au n. 1 13, il conclut en interdisant les restrictions mentales quand l’interrogateur les exclut expressément. Hors ce cas, on ne peut, d’après lui, tracer de règle générale.

Enlin, celui que l’on appelle, tout ensemble, le prince des casuistes et le prince des laxistes, Caramukl (1606-1682), Theol. Fundament., Fundaïuentum Ga (n. 1804), admet des restrictions de paroles qui ne peuvent résulter d’un simple concept. Il rejette les restrictions mentales : elles ne sont ni nécessaires ni utiles. Il croit finalement que, malgré leurs discussions, les théologiens sont, au fond, d’accord.

Ces discussions, d’ailleurs, se déroulaient pacifiquement, lorsque, vers le milieu du xvn* siècle, la querelle janséniste et l’intervention des laïques vinrent les envenimer. Les restrictions mentales furent, pour Pascal (1623-1662), un argument favori dans ses Lettres Provinciales, où l’on regrette de ne pas trouver autant d’impartialité qu’on y reconnaît de talent.

Le 2 mars 1679, Innocent XI, par un décret du S. Office, réprouvait, à tout le moins comme scandaleuses et pratiquement malfaisantes, une série de propositions laxistes. Parmi celles-ci, se lisent, sous les un. a6 et 37, les deux suivantes :

« Si quelqu’un, soit seul, soit devant témoins, sur

demande ou spontanément, pour se délasser ou pour