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RESTKICTION MENTALE ET MENSONGE

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dans la sagesse de la Providence divine, pour conclure sans hésitation avec le vénérable évêque de Bruges, Mgr Wai-kblabrt (Dissertation sur la malice du menson g », p 16 note), que ce bien, souvent plus apparent ([lie réel, ne peut être qu’accidentel et hors de proportion avec le mal que produirait la permission de mentir, fùt-elle même exceptionnelle. Ajoutez ensuite la déception, le désenchantement qu'éprouve celui qui a été trompé par un mensonge ; l’effet, de soi dommageable, produit par l’erreur ; la confusion que ressent l’homme convaincu d’avoir menti ; la conscience déprimante d’une lâcheté commise ' : tout vient renforcer noire conclusion.

II. Le mensonge n’est pas, de soi, péché g : *ave. — Tout mensonge est un désordre, une atteinte à l’ordre que nous appelons essentiel, parce qu’il est établi sur l’essence des choses. Mais toute violation de cet ordre n’est pas substantielle, ou, si l’on aime mieux, destructive de l’ordre. Certaines atteintes n’en entament que la perfection, et peuvent s’appeler accidentelles. Recherchons donc de quelle nature est l’opposition du mensonge à l’ordre essentiel.

A cet effet, souvenons-nous que, si tous les commandements se ramènent au commandement d’aimer, de même tous les ordres essentiels intègrent un seul ordre suprême, celui de la charité.

Voyons maintenant le contenu commun de tout mensonge. Il implique un désaccord entre ma pensée et ma parole : l’envoi à autrui d’une contrevérité. Le désaccord entre ma pensée et ma parole contrarie la subordination des facultés en moi. Mais la contrarie-t-il jusqu'à la ruiner ? il n’apparaît pas. Faite pour exprimer ma pensée, la parole exista pour mon bien, pour le bien du prochain, pour le bien commun. En mentant, je sers un intérêt propre, un bien particulier. Le désordre est dans la manière dont je le sers, par un instrument qui cependant m’est donné pour le servir directement, immédiatement. Nous ne découvrons là aucun désordre substantiel, comme celui qui dépare la recherche d’une satisfaction destinée au bien de l’espèce, quand l’homme la poursuit contre cette destination, pour une jouissance individuelle.

La contre-vérité que je tends à implanter en autrui donne le change sur ma pensée. Pensée d’un être contingent, la communication n’en est nullement nécessaire comme telle, ni aux particuliers ni à la société. L’erreur produite n’est pas grave en elle-même.

Observons du reste comment le mensonge affecte les relations mutuelles. Ni lesmensonges joyeux, ni les mensonges officieux ne causent des ruptures d’amitié. L’ordre de la charité demeure donc substantiellement intact.

Par conséquent, le mensonge ne sera que véniel de sa nature. Mais la gravité de l’erreur produite, par exemple en matière de foi ou de mœurs, le tort causé à autrui, une intention gravement malicieuse : telles sont, d’après S. Thomas II, II, q. no art. ', ), les causes qui peuvent le rendre mortel.

1. L’homme ment pour échapper a des inconvénients qu’il eut été noble d’accepter pur amour de la Térité. Les barbares d’Afrique estiment eux-mêmes que le mensonge est l’arme îles faibles. Le mensonge prouve de la faiblesse morale : il implique une défaite, une honteuse reddition à len-ieroi. £ iciite insiste beaucoup sur la vileté du mensonge. Voy. Dottrina morale secundo i principii délia dottrina délia teienza. Trad. ital., de L. Ambrosi 1918, p. 198-199 ; 279-28Î.

Art. III. — Dieu ne peut ni mentir ni permettre de mentir

I. — Bien que le mensonge ne soit que véniel de sa nature, S. Augustin est l’organe de la tradition catholique dans cette déclaratiou : u Dieu est toutpuissant ; et bien qu’il soit tout-puissant, il ne peut ni mourir, ni être trompé, ni mentir. Il est toutpuissant, précisément, parce que rien de tout cela II ne le peut ». (De sirnbolo, c. i, n. 2. P. L, XL, 628).

« Il est absurde, enseigne de son côté S. Athanasf.

que Dieu mente en parlant : Il ne serait pas Dieu. » (Oratiodelncarnmtione, i, P.G., XXV, G). Entendons encore S. Anselme : « Si Dieu voulait mentir, il ne s’ensuivrait pas que le mensonge serait honnête, mais plutôt qu’il ne serait point Dieu. » (Car De us homo, 1. I, xii, P. £., CLVI1I, 378). —Les fidèles d’ailleurs, dans chaque acte de foi, n’adorent-ils pas Dieu comme la suprême et infaillible vérité, qui ne peut ni se tromper ni tromper ?

La raison péremptoire de cette assertion est aisée à découvrir. Dieu se doit de ramener tout à Lui ; Il est l’alpha et l’oméga de toutes choses. En mentant, Il éloignerait de Lui la créature raisonnable par une juste défiance. Croire Dieu capable de mensonge, c’est affaiblir l’autorité de sa parole.

II. — De même, la permission que Dieu donnerait de mentir Le montrerait moins éloigné du mensonge, et motiverait une moindre confiance en Lui. Comme l’observe Poncius dans ses notes sur Scot (In III, d. 38, q. unica, n. 24), Dieu pourrait alors mentir par mandataire, et cesserait d'être l’infaillible témoin de la vérité.

Loin de nous de jeter pareil soupçon sur la Majesté et la Sainteté divines !

Chapitrb II. — La restriction misnxalh

§ I.

Notion, origine, histoire des restrictions mentales

I. Notion- — Suivant son étymologie et dans la matière qui nous occupe, la restriction mentale est un acte de l’esprit ' qui restreint la portée naturelle que l’expression, possède, eu égard aux circonstances.

En effet, les circonstances circonscrivent parfois le sens des questions ou des réponses. Posée à une marchande de fruits, la question « avez-vous des pommes ? » ne regarde que les fruits mis en vente par elle. Il est clair encore que le contexte précise la signification des termes qui ont plusieurs acceptions : voler ne s’entend pas à la fois du vol des oiseaux et de l’acte du fripon. De telles limitations sont commandées par l'écart entre l’esprit et la matière, entre notre pensée et sa traduction en mots qui frappent l’oreille : ceux-ci ne rendent pas notre pensée, mais la font deviner. Nul ne s’y trompe ; il n’y a pas là de restriction mentale.

Mais il s’agit de sens détournés, et à dessein non exprimés. On répond : « Je ne sais pas », en sousentendant : « pour vous le dire » ; — on promet cent francs, mais on ajoute intérieurement : « en monnaie de singe ».

Il arrivera que les circonstance » indiquent que le <c je ne sais pas » peut n'être qu’une forme polie

i. Le Card. Gousset, Tliéol. morale, l. n. 1047, est victime d’une véritale distraction quand il commence sa description, d’ailleurs excellente, par ces mots : (La restriction mentale est une parole fausse ». La restriction mentale ne saurait être une parole ; elle consiste dans l’acte de retenir intérieurement ce qui compléterait, en le rendant vrai, le sens d’une proposition fausse sans cette addition.