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RESPONSABILITÉ

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ùbligé ; or il ne peut l’être en raison de la volonté connue du Maître suprême ; donc on peut être obligé antécédemment à cette connaissance.

— La difficulté repose sur une équivoque. Le mot d’obligation, nous l’avons noté au début de la thèse, recouvre bien des sens. Il sulfit, pour s’en convaincre, d’analyser les divers effets — ontologiques — de la loi naturelle. Nous découvrons. comme deux séries parallèles de nécessités, qui semblent peser sur la conscience.

i)Ce sont d’abord des nécessités de droit, provenant de la connaissance de lins respectables : 1a dignité humaine, la société par exemple’.

a) Il leur correspond des inclinations naturelles, de quasi-nécessités de fait. Je ne puis pas m’empêclier de m’estimer moi-même et d’estimer la société ; dès lors, je suis incliné naturellement à mon vrai bien et au bien de la société, c’est-à-dire à l’observation d’un certain ordre moral, et tout caprice contraire engendrera un conllil entre mes tendances profondes et mon vouloir actuel.

Dans aucune de ces deux séries n’apparait la

1. 1° Exiger de soi l’estime et le respect, avoir le droit d’être reconnu comme une certaine râleur, traité avec certains égards, semble inclus dans le concept de l’excellence d’un être conscient et libre (le droit s’impose d’abord à autrui, excluant l’offensive possible : cf. ci-dessous les textes cités).

2° De plus, ce droit peut être présumé avec une certaine probabilité, en vertu d’une induction fondée sur l’oidre de fait, expérimenté dans le monde et dans l’homme. Cet arrangement des choses et des personnes, si admirable dans l’ensemble, paraîtrait s’arrêter court, sans ce complément de droits et de devoirs au moins imparfaits, sans lesquels la vie sociale n’estpus garantie. Un tel postulat, une telle probnbilité d’inférence ne dépasse pas, semblel-il, la portée d’un esprit positiviste.

3* Mais il y a entre l’obligation parfaite et l’obligation imparfaite, même fondée sur la connaissance d’une valeur objective suivant le processus analytique que nous indiquent en premier (l r). des différences considérables, et la distun :e de l’infini au’fini :

o) L’obligation parfaite est : k) absolue simpliciter, étant fondée sur une existence absolue simpliciter (qui ne pourra être que Dieu, dont l’offense sera infinie ; fi) inconditionnée,

« catégorique » au sens de Knnt : « Plutôt

tous les maux que la violer en quelque hypothèse, que ce soit » ; ceci n’a de sens que si l’on précise l’objet de cet inconditionné : l’ordre moral, le « decetnaiuram adæqualam n. dont on ne peut s’écaiter ; y), totale, s’étenliant à tout l’ordre moral.

b) L’obligation (de droit) imparfait » est : a) absolue sedum quid, étant fondée sur une exigence absolue tec<-ndum quid, sur une « fin en soi" qui n’est ni pur moyen, ni fin dernière, mais une dignité nécessairement estimable par la raison pour set propres titres, et dès lors t’impotant comme un droit à notre activité, réclamant une subordination de celle-ci (dans un ceitain domaine), un respect de la part de la volonté ; (i) conditionnée, pouvant se trouver en conflit avec un droit supérieur (tant que la « fin en soi » n’est pas l’absolu simpliciter) ; y) partielle, s’étendant à l’ordre qui concerne cette « fin ou soi », dam son rapport avec le subordonné : telle serait, par exemple, l’obligation d’un bolcheviste athée à l’égard de ses parents : il ne pourrait les tuer ii sa guise, sans aller contre un certain devoir ; mais la faute ne saurait avoir une grièveté infinie.

4° Nous trouvons ici le Cardinal Billot contre nous. D’après sa théorie, ce bolcheviste ne saurait avoir aucune notion de moralité (Eludes, 20 août 1920, fin de l’article). A ce compte, des philosophes comme Aristote n’auraient pas écrit le moindre mot sur la morale.

Cf. S. w., Serm. ccxxixn. 2, P. L., t. XXXIX, col. 1530 ; et d’autres textes cités par leR. P. Poktalié, Dict. de théol. cathol. art. 5. Augustin, col. 2436 (voir col. 2434 mr l’obligation parfaite) ; — S. Thomas, Il a II » e, q. 20, a. 2, ad l" m ; q.l22, a. 1 ; I » IIæ > q. 100, a. 5, ad 1""’ ;

— Sehtillanc.es, Revue de Philosophie, 1903, p. 161 sq. ;

— Piat, Insuffisance des Philosophics de l’intuition, p. 16.’).

nécessité catégorique qui constitue l’obligation parfaite, tant qu’on ne s’élève pas jusqu’à la lin absolument respectable par elle-même, qui est Dieu. En toute autre hypothèse, le droit est imparfait ; quant à l’inclination de fait, si elle est nécessaire, elle ne nécessite pas, car il n’y a pas non plus de raison absolue de la suivre, puisqu’elle n’est pas par elle-même le Bien absolu 1. Il n’y a donc qu’une nécessité d’inclination, non une nécessité objective de détermination volontaire.

Si l’athée demeurait en cet état de complète ignorance, nous ne voyons pas comment il se rendrait coupable dé faute mortelle et mériterait l’éternelle damnation, car la grièveté inlinie du péché suppose connue la Majesté inlinie. A part la peine temporelle due aux actes dont la malice est de moindre gravité 2, il serait assimilable aux enfants morts sans baptême (cf. Lacroix, Theol. mor., t. II, n. ^9). Hàtons-nous de répéter que cet état ne saurait durer, au moins toute la vie. Beaucoup même nient qu’un homme puisse se déterminer, avec une réflexion et une liberté pleines, en matière importante, sans se demander et déjà reconnaître plus profondément la portée de son acte et même de toute sa vie, c’est-à-dire sans comprendre, au moins alors, sa dépendance, à l’égard d’un Auteur qui mérite tout respect et veut être obéi 3 (cf. LeTbllier, ouvrage anonyme : L’erreur du péché philosophique combattue par les Jésuites ; voir spécialement le texte d’AMicus, p. a8, 53 ; — surtout cf. S. Thomas, I’ll « q. 89, a. 6).

1. Il peut d’ailleurs s’y mêler concrètement d autres motifs indifférents à la morale ou même condamnés par elle, comme la poussée de l’opinion, le respect humain, une certaine fanfaronnade chez un brave. Kant le notait déjà au sujet de ce fait de raison » qu est l’impératif catégorique (Fond, de la mit. des mœurs, trad. Ûelbos,

P- 134) 2. L’athée, avons-nous dit, a l’obligation imparfaite

de les éviter, en raison du droit imparfait de la nature humaine, de la société, dont l’excellence exige, selon soo degré, un certain respect. Donc, s’il commet de teb actes, il mérite une peine limitée. Lui-même, semble-t-il, doit se rendre compte que la société politique agit bien, lorsqu’elle se protège, ainsi que ses membres, en infligeant aux coupables des peines proportionnées. L assume donc d’être passible d’une peine temporelle, que pourront lui infliger ceux qui ont la charge de la Cité. Mais alors, qui donc le punirait plus justement que Dieu lui-même, Maître Suprême et Vengeur de toute société humaine et de ses membres, Juge Souverain des crimes réellement commis contre les êtres qu’il a créés ? Tout au moins, puisque l’homme, en agissant mal, mérite la <c réaction de l’ordre », violé par lui, suivant la théorie thomiste delà sanction (I a II a’, q. 87, a. 1), il ne répugne pas, il convient même que Dieu permette et approuve cette réaction venant de la créature offensée, fût ce dan* l’autre vie.

Mais comme, selon nous, l’athéisme ne saurait durer toute la vie chez ceux dont la raison est pleinement développée, tout ceci ne peut être soutenu sans correctif que dans une hypothèse par nous rejetée.

Outre Lachoix (/oc. cit), voir SuvhEZ, De pecc, disp. 11. sect. 2, n. 7 (éd. Vives, t. IV, p. 523), — disp. 111, sect. 8, n. 10 (p. 541), — disp. vu. sect. 4, n. 8 (p. 592) ;

— Dtpænil., disp. xi, sect.2, n. 14 sq. (U XXII. p. 806-208) :

— DE Luco, De I’ncarnalione, disp. v, sect. 5, n. 70, 77 in /î «e ; sect. 6, n. 112, cf. n. 108 ; — B* Bu 1 armin, lib. de Romano Pontifiee, c. 20, ad confirmalionem (cité par Lugo, ibid., sect. 5, n. 74) ; etc.

3. Ce n’est pas revenir au processus que nous prétendons réfuter dans cet article. D’après notre explication, l’homme ne se prouve pas l’existence de Dieu en suppo lant admis le fait do l’obligation ; mais, à l’occasion <x> l’acte qu’il pose, il élève sa pensée, de l’existence de monde visible et de In sienne propre, à celle de la Cause première.