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RENAISSANCE

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comme l’écrit Froide, l’historien d’Erasme, « on ne

« comprend rien au xvi* siècle, tant qu’on n’a pas

x réalise l’immense différence qu’on faisait alors < entre un changement de doctrine et une réforme

« disciplinaire et morale de l’Eglise » (cilé par Bkb-KOND, 

/. e., p. 34). Cette réforme si nécessaire sera l’objet d’un concile ; mais elle laissera le dogme intact.

On s’émerveille de l’audace d’un Erasme, dénonçant les vices du clergé, stigmatisant la corruption des moines ; mais ne trouverait-on pas un tableau aussi noir, un siècle et demi plus tôt, dans le Dialogue de sainte Catherine de Sienne, et Dante ne demeure-t-il pas grand théologien au milieu même de ses attaques passionnées contre certains papes ? Il est vrai, Catherine est une sainte, et Dante est un poète ; Erasme n’est qu’un homme d’esprit. Son ami Thomas More demeure Adèle à l’humour anglais jusque sous la hache du bourreau ; Erasme aiguise des traits qui font penser à l’ironie de Voltaire. Mais il va plus loin que More. Dans l’Eloge de lu Folie, « on aperçoit sans peine que la théologie, ou mieux la critique de la théologie, occupe la première place. < E : i contiant à la Folie un rôle qui lui semblait si

« étranger, Erasme estimait par une feinte habile

» qu’un bouffon peut tout dire, et qu’on serait mal

« venu de lui reprocher des excès de langage r (J.

B. Pihbad, Erasme, sa pensée religieuse, p. 171-2). Ce fut, quand on l’attaqua, le meilleur argument de sa défense. Plus tard, en 1518, dans les Colloques familiers, il cache sous un badinage plus subtil ses idées sur la réforme religieuse, et il les présente de telle sorte, en des dialogues où hérétiques et orthodoxes ont les uns et les autres des rôles presque égaux, et la part aussi belle, qu’on ne sort point de la lecture de cette comédie ingénieuse sans quelque incertitude sur les convictions intimes de son auteur. Ce n’est pourtant pas à Rome, mais en Sorbonne que les théologiens sentirent leur enseignement menacé par cette incessante raillerie ; « le 15 mai 1026, f la Faculté procéda à la censure détaillée des Colloques ; à l’unanimité et après mûre délibération,

« elle décida que la lecture en serait interdite à tous
« et surtout aux jeunes gens » (Pi.rau, l. c.. p. 209).

Il n’est pas sans intérêt de constater que l’humanisme érasmien n’était pas moins redouté dans le camp protestant. Luther écrit dans ses Propos de taille :

« Par mon testament, j’interdirai à mes tils la
« lecture des Colloques : sous le couvert de personnages

fictifs, Erasme insinue des impiétés, il propose des principes qui ruinent ou du moins compromettent le christianisme et l’Eglise… ; c’est un 1 Démocrite et c’est un Epicure ; c’est un subtil rail* leur de la religion. Je préfère Lucien à Erasme,

« qui, sous un masque de piété, bafoue la religion » 

(cité par Pwbau.Lc, p. 269). Et, dans le camp catholique, le théologien Clichtove, ne voulant pas attaquer directement Erasme, fait allusion, par une phrase discrète de son Antiluther, à un écrivain

« doué du charme du langage, qu’il faut regarder
« comme un sectateur d’Epicure » (id., p. 270).

Erasme est le représentant le plus notable de l’humanisme allemand, dans la période où, consciemment ou non, il commence à pactiser avec les réformateurs ; les thèses de Luther sont de 1017. Mais il y a eu une première phase de la Renaissance, où, selon les paroles de l’humaniste Wimpheling, " l’instituteur de l’Allemagne >, la bonne nouvelle se répandit de canton en canton, < exaltant en tous lieux

« l’excellence et la noblesse des arts et des sciences, 

< et vantant tous les bienfaits que l’on peut recevoir par leur commerce. L’Allemagne ne fut jamais plus féconde en hommes remarquables ;

« ceux-là du moins, formésà la vieille école, étaient
« encore pour la plupart des chrétiens convaincus.
« Grâce à l’imprimerie, leurs idées se répandent
« partout. La diffusion « les livres religieux précède
« celle des classiques ; la Bible est lééditée plus de
« cent fois, de i’i"’- à 1500… Des humanistes de
« marque, dont l’action sera très grande, … cher< client dans l’étude des classiques un complément
« à leur formation chrétienne, qu’ils ne renient nullement.

Ce n’est pas l’étude de l’antiquité classique en elle-même, écrivait Wimpheling dans

« son grand ouvrage pédagogique, qui est dangereuse

pour l’éducation chrétienne, c’est lamanière

« fausse de l’envisager, c’est le mauvais usage qu ?
« l’on en peut faire. Sans aucun doute, elle serait
« funeste si, comme il arrive fréquemment en Italie, 
« on propageait par les classiques une manière
« païenne de juger et de penser, et si l’on mettait
« entre les mains de nos étudiants des œuvres litté<i raires qui pourraient mettre en péril, dans leurs
« jeunes esprits, le patriotisme ou les mœurs chrétiennes.

Mais au contraire l’antiquité bien comprise peut rendre à la morale et à la science théologique les services les plus précieux » (Alfrbd

« Baudrillart, L’Eglise catholique, la Renaissance, 

<c le Protestantisme, p. 42-3).

« Le rôle des universités fut plus grand que celui
« des maîtres isolé », bien plus actif qu’en Italie ; 
« n’en a-t-il pas été ainsi plus d’une fois dans le
« cours de l’histoire de l’Allemagne ? Elles étaient
« jeunes encore, mais auprès de chacune se groupaient

des hommes éminents. A Cologne, Barthélemy de Cologne et Ortwin Gratius ; àHeidelberg,

« Rodolphe Agricola, le chancelier Jean de Dalberg, 
« Reuchlin, l’illustre abbé de Spanheim, Jean Trithème, 

le plus grand historien allemand du siècle ;

« àErfurth, le fameux cercle d’humanistes fondé
« par Maternus Pistorius avec Crotus Rubeanus, 
« Ëoban Hesse, Hermann Buse ii, Mutian, les poète*
« qui bientôt s’opposeront aux scolastiques ; à
« Bàle, Heylin von Stein, qui tient encore à l’école
« scolastique et la représente avec honneur ; à
« Strasbourg enfin, Wimpheling, à qui un ardent
« patriotisme, joint à un savoir étendu, dicta la
« première histoire d’Allemagne qu’ail écrite un humaniste

» (Baudrillart, l. c., p. 45-6).

D’autre part, comme en Italie, ces humanistes sont aidés par de riches protecteurs, Conrad Peutinger, à Augsbourg, Wilibald Pirckheimer, à Nuremberg. De grands artistes, comme Albert Durer et Hans Holbein, l’ami d’Erasme, illustrent avec un respect profond l’Ancien et le Nouveau Testament. Cependant, sous l’influence d’Erasme, ce qu’on a appelé « le prologue de la grande tragédie tliéologique du xvie siècle » se précipite. « Les huit manistes d’Erfurth, Mutian, chanoine de Gotha,

« Crotus Rubeanus, Eoban Hesse, le suivent dans
« la lutte contre les scolastiques, et déjà se prépare
« la division intellectuelle de l’Allemagne, qui se
« consomme à propos de la querelle de Reuchlin.
« Reuchlin, l’un des plus grands parmi les humau

nistes, l’un des fondateurs de la science hébraïque,

« se voit attaquer par les théologiens de Cologne à
« propos de ses livres De verbo mirifico et De arte
« cabbalistica ; tous les esprits s’enflamment ; les
« humanistes se prononcent avec fureur contre les
« scolastiques, que par les Epistulævirorum obscu~
« rorum ils couvrent de ridicule. Voilà des alliés
« tout prêts pour Luther… » (Baudrillart, /. c, 
« P. 4q).

VII. La R9na133ance en France. — La France était préparée de longue date à la Renaissance.