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RELIGION ; THÉORIES PSYCHOLOGIQUES

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A l’enconlre de l’école évolulionniste, la morale ne va pas en progressant nécessairement avec le développement de la civilisation chez le Primitif. « Les Négnlles, qui dans l’échelle du progrès se sont arrêtés aux tout premiers échelons, ont une morale spéculative et pratiqué certainement supérieure à nombre de populations africaines relativement civilisées. Cf. Mgr Le Roy, op. cit., p. aô5 ». — Dans ces tribus, la famille est ordinairement monogame, et l’organisation familiale beaucoup plus étroite et plus respectée. Même constatation pour les peuples les plus inférieurs. Cf. infra.

4) Pas de développement religieux de l’humanité unilinéaire, rectiligne, progressif, suivant le schéma évolution/iiste. — On se souvient de l’ambition sans limites des théories évolutionnistes : sous les religions découvrir la religion et la loi unique de son développement dans l’humanité ; progrès continu vers le monothéisme éthique. Or, une morale existe au point de départ ; même démonstration sera faite pour le monothéisme. En sorte que l’évolutionnisme religieux croule sur ses deux postulats fondamentaux. — De plus, aucun accord n’a pu intervenir entre les évolutionnistes sur les étapes nécessaires de ce développement. Pour Tylor, animisme, fétichisme, polythéisme, monothéisme. Pour Lubbock, athéisme, fétichisme, naturisme, idolâtrie. Pour Tiele, animisme, spiritisme, fétichisme. Pour A. Réville, naturisme, animisme, fétichisme, etc. PourSal. Reinach, totémisme, zoolatrie, dendrolatrie… Aucun de ces cadres purement logiques ne s’est trouvé vraiment d’accord avec les faits. — Le développement religieux se fait lui-même souvent par dégradation : substitution de l’animisme au monothéisme, d’une morale plus grossière à une morale plus élevée. En sorte que la succession des phases religieuses dans un peuple, sinon dans l’humanité, ne montre nullement le progrès nécessaire au sens de Tylor, Spencer, Réville, mais souvent les déviations, les déformations, les dégénérescences. (Pas de loi unique d’ailleurs dans cette dégénérescence religieuse ; erreur contraire de certains apologistes sur ce point).

5) Pas de développement synchronique et parallèle de la religion et de la mythologie. — L’étude comparée des religions montre sur le vif la relation inverse de ces deux éléments, si souvent confondus en raison de leur compénétration. C’est la remarque de A. La.no, dans la seconde phase de son système religieux. The making of Religion, Londres 1898. Enchaque peuple, d’après les observations del’ethnographie, il y a coexistence d’un élément supérieur, annulation d’un « père », d’un « maître », d’un

« auteur des choses », et d’un élément inférieur

grossier, parfois, sinon souvent, obscène, l’élément mythologique. Entre ces deux éléments existe un a contraste frappant », l’un prenant sa source dans la raison, l’autre dans les tendances imaginatives et passionnelles. « Ces deux courants existent simultanément et se font concurrence dans l’histoire de l’humanité. Mais ils se développent en senscontraire, les données religieuses primitives et la morale qui en dépend étant progressivement diminuées, sinon presque étouffées, sans jamais disparaître entièrement, sous le développement luxuriant et presque toujours luxurieux de la mythologie ». Cf. Schmidt, L’orig. de l’idée de Dieu, p. 771. Dansle même sens, Lagrange, Etud. sur. relig. sém., p. 28. — La Roy, Christus, cit., p. 88 : les Romains et les Grecs ont une religion v plus chargée, mais moins épurée » que les Assyro-Chaldéens, ceux-ci des croyances moins élevées que les Egyptiens, ceux-ci, àleur tour, des pratiques plus nombreuses et plus compliquées que celles des Négritiens et des Bantous, ceux-ci à

leur tour t des données religieuses plus diffuses et moins simples, et dès lors moins claires que les Pygmées, dont la pauvre imagination n’a rien trouvé pour enrichir le fonds dogmatique et moral qu’ils emportent dans leur vie errante ». Que nous sommes loin du tableau évolutionniste du développement religieux dans l’humanité !

Ainsi l’ethnographie saisit sur le fait et la simultanéité des deux éléments, religion et mythologie, et leur distinction essentielle et leur développement inverse. L’ethnographie joue ici le rôled’une expérimentation qui dissocie deux éléments jusque-là confondus. Et elle arrive, par cette dissociation, à mieux dégager la vraie nature de la vie religieuse.’6) Pas de religion sans relations avec des Êtres supérieurs. — L’école sociologique, on s’en souvient voulait éliminer de la délinition de la religion la croyance à des êtres spirituels, croyance reconnue cependant comme indispensable à la religion même par Tylor, Prim. Cuil., 1, 491, mêmepar A. Réville, Prolégomèn., p. 34, même par Frazer, Gold. liough, I, 30, 3a, etc., parce que cette idée de « dieux » serait absente de certaines religions, ou en d’autres religions plus développées ne jouerait qu’un rôle effacé. « Voilà donc une portion considérable de l’évolution religieuse quia consisté en somme dans un recul progressif de l’idée d’être spirituel ». Durkiibim, Les form. élém., p. 4 », 2^3, 485. Et c’est pourquoi la religion répondrait dès ses débuts à la perception confuse de la vie sociale, se transfigurant sous la forme du sacré. — Sorte de préanimisme sociologique. L’individualisation des êtres supérieurs représenterait une étape tardive.

D’autres, avec Frazer, mettent au point de départ de l’évolution un préanimisme magique ; avant l’apparition des dieux et avant la religion, existerait un ensemble de procédés de contrainte infaillible et anormale, par une vertu transcendante, s’exerçant sur les choses, avant d’atteindre les êtres. Le fait initial ne serait donc plus l’animisme, mais le magisme : d’où le nom de préanimisme magique, pour caractériser cette période. Cf. Fkazkr, Golden Bough, Londres, trad. franc, sur a* édit. Strébel et Toutain, 1 900 ; dans le même sens, Hubert et Mauss,

« Esquisse d’une théorie générale de la magie », 
« Ann. Sociolog. », Paris 1904 et « Mélangés d’histoire

des religions », Paris, 1909, ramenant cette force impersonnelle à la vie sociale. Cf. F. Bouvier, Dict. Apol., art. Maoïsme.

D’autres, moins nets, font de cet élément d’abord perçu, une force semi-personnelle, assez vague, à l’égard de laquelle magie et religion seraient confondues, sorte de « théuplasme ou d’étoffe de dieux » d’après Hartland, et reconnue comme juste par R. Marett. Cf., sur ces nuances de prémagisme, W, Schmidt, l’orig. de l’idée de Dieu, p. a44->58 ; F. Bouvier, Rech. se. relig., 191 1 ; 77-74 » 1912, 167-200 ; Sem. eth. rel., 191 3 ; p. 13g-150 ; A. Lang, Magic and Religion, 1901, « Preanimistic religion » in Contemporary Review, 1909. J. King, The supernatural, its Origin, Nature and Evolution, a vol., London, 189U, serait, suivant Schmidt, « l’auteur classique de la magie préanimiste » ; avec des nuances très variées (linement ai alyséas par Schmidt et Bouvier), King, Marett, Preux, Leckman, etc., substituent à l’idée d’esprit ou de dieux un quelque chose plus objectif, mais vague, capable d’être interprété soit dans le sens panthéiste en des civilisations plus élémentaires, soit en individualités supérieures, chez des peuples plus cultivés Le point d’accord dans ces explications divergentes est la substitution de la magie à l’animisme, an début de la religion, et d’une réalité anonyme.nix êtres spirituels et individuels.