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RELIGION : THÉORIE SOCIOLOGIQUE

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III. Critique des preuves.

I. Sur lacréation du divin par la société.

1) La pensée de la bienfaisance sociale n’engendre pas une attitude religieuse. — Sans doule la société fait d’abord l'éducation de l’individu, et, par l'éducation, elle lui transmet l’héritage intellectuel, moral et religieux, du passé ; et l’on ne saurait surestimer les bienfaits de la collectivité à notre égard. Mais le déterministe jugera, comme on le lui a enseigné, que les faits sociaux s’engendrent nécessairement les uns les autres, que la société, à chaque moment, est ce qu’elle doit être ou ce qu’elle a pu réaliser, qu’il n’y a par suite aucun mérite de sa part. — Le solidariste reconnaîtra, lui, toute l'étendue de cette bienfaisance sociale et il en dégagera l’obligation de payer aux générations futures la dette contractée envers le passé. Mais il s’agira ici de dette, non de culte, de comptabilité, non d’amour, de moralisme, non de réflexion. — Le réformiste ou l’anarchiste jugeront que la civilisation actuelle est tout entière gâtée par les injustices sociales, l’inégalité des conditions, la situation si dure faite à une catégorie de citoyens et l’exploitation d’un grand nombre au proût de quelques-uns ; et ils maudiront la société. — Nulle part on ne verra naître ce mysticisme qui spontanément transfigurerait la société en Dieu, objet d’adoration et d’amour.

2) La loide l’idéalisât on sociale est inexistante. — Pour expliquer ce mystère, on ajoute que la société a le pouvoir spontané d’idéaliser, que c’est là sa fonction propre et perpétuelle. Elle transfigure les réalités aux yeux de ses croyants ; elle les dépouille de leurs imperfections, de leurs taches, pour les faire resplendir d’une beauté surhumaine. Délire sociologique, mais qui a pour effet de sublimer le réel…

Prêtera-t-on au primitif cette prétendue tendance à l’idéalisation ? Mais à cet être qu’on nous dépeignait si inférieur, n’ayant pas même l’idée d’une nature, prenant à peine conscience de son individunlité, on prête maintenant je ne sais quel pouvoir magique, quelle facultedemetaphysicien.il n’aurai ! pas su former de lui-même des idées générales, et il est capable de créer un idéal ? — Et lorsque la réflexion critique est née, en présence des erreurs, des retards, ou des crimes d’une époque, l’historien, le moraliste, oublieront-ils eux aussi le réel, emportés malgré eux par cette idée d’idéalisation ? Qui n’aperçoit que cette propriété, prêtée à la vie sociale, n’est qu’un deus ex machina pour expliquer l’apparition du divin.

3) Collectif est essentiellement différent du sacré et du divin. — Il est d’abord illogique de définir le acre en éliminant de sa notion l’idée du divin. Ici encore et toujours, il s’agit d'écarter Dieu en maintenant la religion. Mais il n’y a de sacré que par rapport à un Etre, source de cette consécration. Le sacré est une participation de cette relation par les objets, les actions ou les personnes De plus, pourquoi tous les faits sociaux, dès lors qu’ils sont collectifs ne se rapportent-ils pas au sacré et ne deviennent-ils pas religieux ? Enfin, entre les attributs de la société, transcendance, perpétuité, puissance, action créatrice, et les attributs de la divinité, il n’y a que des rapprochements lointains et superficiels, des analogies forcées. Quille distance entre la supériorité matérielle ou inorale du groupe et la transcendance delà divinité ! Ou bienfaudra-til en revenir à la piteuse explication, que le croyant est an « délirant », et que les hommes, dès qu’ils sont en société, sont atteints de cette folie mystique, combien singulière, qui transforme la société en |

Dieu ? Et c’est pourtant ià l’explication d’un sociologue soucieux de positivité.

II. Sur le totémisme, type et origine de la religion sociologique. — Quelques brèves remarques suffiront, sur un sujet qui demanderait une exposition historique spéciale.

1) Caractère adventice de l’explication sociologique par le totémisme. — Il importe de ne pas se laisser séduire par cette présentation historique. On l’a remarqué déjà : la théorie sociologique, quant à son ensemble et son application au fait religieux, existait déjà avant que Durkheim s’avisât d’en chercher une justification dans la science des religions. Il prendra donc les faits décrits au sujet du totémisme, et là où d’autres virent une démonstration de l’animisme, il interprétera d’après une doctrine préconçue. N’est-ce pas en contradiction totale avec la règle fondamentale de sa méthode d'écarter les prénotions ?

a) Diversité desexplications proposées. — Multiples sont les hypothèses au sujet de ceritualisme, connu encore assez confusément. Durkheim d’ailleurs ne les ignore pas, quitte à les réfuter comme supposant déjà des notions religieuses. — Selon Tvloh, le totémisme exprimerait une forme particulière du culte des ancêtres : une àme des aïeux se serait réincarnée dans un animal ou une plante ; et le culte religieux, dû à cet ancêtre par extension, se serait donc étendu à l'être nouveau. — D’après le naturisme, le totémisme naîtrait de l’effroi de l’homme devant les forces redoutables de l’univeis ; d’où, pour le primitif, la tendance à chercher protection dans un pacte d’alliance entre le clan et cett< ( orce, et sous la forme d’une parenté, non pas individuelle, mais collective ; ainsi d’après Jevons. — Pour d’autres, le totémisme collectif iésulterait d’un totémisme individuel, qui se serait généralisé, soit que celui-ci à son début se ramène à un cas de fétichisme, suivant Hill, Tont, Boos, soit qu’il recouvre un stratagème pour mettre 1 àme à l’abri de dangers passagers, en l’incarnant provisoirement dans un animal suivant Frazbr, soit qu’il attribue le fait de la conception à une fécondation dont un esprit, incarné dans un animal ou une plante, serait l’agent (totémisme conceptionnel). — D’après Lukbock, A. Lang, le totémisme naît de l’attribution du nom d’un animal à l’homme, et par extension, des propriétés ou attributs de cet animal, c les noms et les choses étant unis par un rapport mystique et transcendanlal »… (théorie du sobriquet), etc…

3) Les interprétations du spiritualisme, — Le totémisme exprime un pacte magique, à la fois religieux et social : « inslitution consistant essentiellement en un pacte magique, représentant et formant une parenté d’ordremystique et supranaturel, par lequel sous la forme visible d’un animal, et exceptionnellement d’un corps végétal, minéral ou astral, un esprit invisible est associé à un individu, à une famille, à un clan, à une tribu, en vue d’une réciprocité de services », d i t Mgr Lu Roy, La Religion des primitifs, Paris, 1906 ; — « pacte, par le moyen d’une créature visible, avec le monde invisible ». Cette institution, loin de la nier, suppose donc la notion d’un être invisible et surnaturel, la possibilité d’entrer en relation avec lui, l’efficacité de cette intervention supérieure. — Le totémisme « ne nie donc ni la conscience religieuse, ni la morale, ni la croyance aux esprits, ni le sacrifice, ni la communion : il suppose tout cela déjà existant et il s’en sert lui-même pour se constituer et pour se perpétuer ». Le Roy, op. cit., p. 133.

De son côté, W. Scumidt, S. V.D., Semaine dElhnologie religieuse, Paris, 191 3, insiste sur l’insulli-