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RELIGION : THÉORIE SOCIOLOGIQUE

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3) Affirmation de l’aspect social de la religion. — Par là est condamné tout individualisme religieux. Les doctrine* de la pure religion de l’esprit, de l’autonomie totale de la conscience religieuse, du pur culte intérieur, spécitiquement protestantes ou modernistes, le rêve d’une religion toute spiritualisée, telle que la présente Auguste Sabaticr, dans ses livres (Cf. A. Sabatibh, Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire, iS<)7. Les religions d’autorité et la religion de l’esprit, lyoi), et son école avec lui. Tout cela est contraire tout autant à la psychologie qu'à l’histoire. Contraire à la psychologie réelle, car la vie intérieure tend nécessairement à s’extérioriser et à se projeter dans la vie sociale ; contraire aussi à l’histoire. Durkheim fait consister la différence essentielle entre la magie et la religion en ce que la magie est individualiste, tandis que la religion se présente toujours comme une réalité sociale. Pas d’Eglise magique, dit-il ; mais toute religion se prolonge dans une Eglise, c’est-à-dire dans un culte collectif. A ces théoriciens d’une religion toute subjective, et tellement spiritualisée qu’elle est vidée de tout son contenu dogmatique et de toute réalité, le sociologisme oppose l’enseignement de la science des religions et l’affirmation de l’histoire.

4) Nécessité d’une tradition religieuse. — Et ceci est la conséquence de cette opposition à l’individualisme religieux : l'âme seule en face de Dieu, l’homme recevant directement de l’Esprit les principes et la règle de sa foi et de son action. En fait, reconnaît le sociologisme, l’homme reçoit d’une société sa langue, comme ses idées, sa foi religieuse comme son culte. De là l’accord maintes fois signalé avec le traditionalisme, les deux systèmes mettant en relief cette origine sociale des vérités morales et religieuses, et la loi de cette transmission du groupe aux individus. Seulement, pour les traditionalistes, derrière la société, il y a Dieu ; dans le système positiviste, la société se sullit à elle-même : elle fait fonction de Dieu.

5) Légitimité d’une sociologie religieuse. — Puisque toute religion tend nécessairement à se projeter dans la vie sociale, à devenir une Eglise, à se donner un corps en des institutions, il est légitime, à côté de l’analyse psychologique de ces aspirations, de faire place à l'étude de ces manifestations cultuelles : sacrifices, rites funéraires, cérémonies expiatoires, liturgie. W. James a eu tort de réduire la religion à des émotions, à des expériences qui se résolvent en sentiments vagues, imprécis, et comme il le dit. inanalysable* : une philosophie totale, par delà ce qui est variété individuelle de cette expérience, doit meitre en lumière ce qui est commun : les croyances communes, les rites communs. Et c’est ce second aspect que le sociologisme a le mérite de dégager.

6) Perpétuité de la religion. — D’autres ont parlé de l’irréligion de l’avenir : Comte se contentait de remplacer la théologie par la science, ce qui n’excluait pas, selon lui, la religion positive. Durkheim croit assurer, dans ses théories, la pérennité delà vie religieuse. Puisqu’elle nait de la société, et que c’est la société qu’elle exprime, sous des formes nouvelle*, nous dit-on, et mieux adaptées à l'évolution sociale, une religion existera toujours. Elle jaillit de la spontanéité du groupe, immédiatement et nécessairement. De là les affirmations répétées, dans ce système, de la valeur durable accordée au phénomène religieux. Tout ceci représente les mérites et l’utilisation possible de la théorie sociologique.

B Les erreurs. Critique de la méthode. — Considérée dans sa généralité, nous l’avons vu, la méthode appliquée à l'étude de la religion est entière ment sous la dépendance des règles générales de la sociologie, — par suite ici une simple conséquence d’une métaphysique antérieure. De cette métaphysique découlent les postulats impliqués dans la philosophie religieuse du sociologisme.

i) Préférence accordée aux religions inférieures. — YV. James analysait les expériences les plus aiguës, parce que plus significatives. Durkheim s’attache, et ses disciples avec lui, aux formes religieuses dites élémentaires. Pourquoi ce singulier privilège en faveur de religions mal connues, rudiinenlaires, grossières ? Non parce que l’observation est plus facile ; non pour des raisons de méthode scientifique. Mais en vertu d’un postulat métaphysique. Les religions inférieures douent être les plus primitives. Et ceci en vertu de la philosophie de l'évolution. Les formes grossières, suivant ce système, doivent toujours être les formes initiales ; par la suite, du fait même de l'évolution, elles se compliquent ; des éléments nouveaux s’y ajoutent, défigurent les premiers. D’où nécessité de se tourner vers ce qui doit être primitif. Cf. inf’ra.

Mais l'évolulionnisme n’est qu’une hypothèse philosophique ; et de quelle ampleur ! Elle embrasse le ciel et la terre, tout le domaine scientifique, biologique, psychologique, social. Et c’est par extension qu’on l’introduit dans la science des religions : ici encore, un a priori formidable. En l’acceptant, en l’imposant, au seuil de ses recherches, le sociologue renonce à travailler en historien : il a déjà fait œuvre de métaphysique.

a) Identification des religions inférieures et d n l’organisation sociale la plus grossière. — Ici, nouvel a priori. A quoi reconnaître qu’une religion est plus inférieure qu’une autre ? A sa dogmatique, plus ou moins ou compliquée ou parfaite, à sa morale et à son degré de pureté, de désintéressement, à son organisation ecclésiastique, plus ou moins cohérente, aux manifestations de son culte ? Tout autant de points de vue, suivant qu’on envisage les faits religieux en intellectualiste, en moraliste, en pragmatiste : Durkheim et son école choisissent et a priori toujours en dépendance de l'évolutionisme, un autre principe : la religion qui correspond à l’organisation sociale la plus rudimentaire doit être la plus primitive.

3) Identité de la loi d'évolution dans les divers types sociaux.— Comte, après Turgotet Condorcet, concevait l’Humanité comme soumise à une même loi universelle de développement. L'école sociologique a vivement reproché à Comte, et avec raison, cette simplification systématique. A l’Humanité elle oppose les divers typesde société, la division progressive du travail social. Et Durkheim fait grief à l'école anthropologiste de comparer les faits en des sociétés différentes ; même reproche de Lévy-Bruhl contre la méthode comparative, qui admet des lois identiques en des civilisations diverses.

Or, dans l'étude des faits religieux, voici que l’on se restreint, de parti pris, à l’examen du totémisme chez quelques tribus australiennes. A ce totémisme on donnera une interprétation sociologique. Conclusion : partout et toujours, la religion naît de la société et a pour objet la société. La méthode sociologique aurait ce privilège singulier, de passer de l’observation d’un cas, dans un milieu donné, à une induction universelle. Méthode économique certes, et combien rapide, mais si peu scientifique, quand on a tant insisté sur la différence des types sociaux et de leurs lois. En réalité, après avoir tant critiqué l’identité de structure mentale chez tous les êtres, à toutes les époques, on introduit l’idée, autrement complexe, d’identité de structure sociale.