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RELIGION : THEORIE SOCIOLOGIQUE

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simple relâchement des liens sociaux. Cf. Lesuicide, élude sociologique. D’une manière plus générale, les jugements de valeur en morale se mesurent à l’idéal, variable suivant les époques historiques. L’âme collective n’est que l’ensemble des idéals collectifs Cf. Duhkhbim, t Jugements de valeur et jugements de réalité », Congrès int. de Philosophie, Bologne, 191 1.

Comme la morale, l’esthétique est création sociale. Ici encore, même variabilité des idéals et des jugements. A son tour, la psychologie relève de la même interprétation. L’àme, à la foi* immanente et transcendante au corps dans l’homme, traduit la participation à un principe totémique immanent et transcendant. Sa survivance reflète la survivance du groupe, par delà les individus : l’opposition de l’àme et du corps exprime le dualisme, en chacun de nous de la vie collective et de la vie individuelle. La personnalité est créée par les interactions, les complications de la vie sociale. Et elle apparaît comme sacrée, parce qu’elle est du social incarné en nous. Ainsi, tour à tour, spiritualité de l’àme, immortalité, union de l’àme et du corps, prennent un sens tout nouveau à la lumière de la sociologie nouvelle.

Et ceci est vrai, de façon plus frappante, de la logique. Notre logique ne diffère pas en nature, suivant Durklieim, de la logique religieuse des primitifs. Et les catégories, modes fondamentaux de la pensée, traduisent, dans leur éternité, l’éternité, l’universalité, la nécessité des relations sociales. La notion d’espace est calquée sur l’organisation sociale ; l’idée du temps est empruntée au rythme de succession de la vie collective ; le concept de totalité n’est que la forme abstraite du groupe. Genres, espèces, dans leur hiérarchie, reflètent la hiérarchie de l’organisation sociale ; la force, la causalité, découlent toujours de la même origine. A la place de l’interprétation kantienne ou de la solution empirique, s’impose désormais l’explication sociologique.

« Les catégories sont nées de la religion » : 

elles sont le produit de la pensée religieuse : « instrument de pensée, que les groupes humains ont laborieusement forgé au cours des siècles ». On peut dire d’elles qu’elles sont sociales au second degré, et dans leur signes et dans leur contenu.

Sur ce point, M. LiivY-BnuiiL s’écariera des idées de son chef. Dans son élude sur /.es fonctions mentales dans les sociétés primitives, Paris, 1910, et l.a mentalité primitives, Paris 1922, il soutient qu’il ne peut y avoir de loi unique pour les divers types sociaux, que les sociétés primitives ont donc leurs lois propres, leur logique propre. Pour lui, la mentalité du primitif est essentiellement prélogique et /)ir.s/iy(/e ; prélogique : elle ne s’embarrasse pas de nos principes premiers et en particulier du principe de contradiction ; mystique : tout est mystique pour lui : réalités, représentations, objets ; il baigne dans la magie.

Mais, sous les divergences, l’accord fondamental subsiste : la religion est bien d’origine sociale et la logique scienlilique est issue de la logique, ou prélogique religieuse.

Ainsi l’interprétation sociologique de la religion reçoit, dit-on, une confirmation évidente par son rapprochement avec les explications générales de la science nouvelle. « Si la religion organise tout ce qu’il y a d’essentiel dans la société, c’est que la société est l’àme delà religion ». Elle est, comme Dieu, au commencement et à la lin de touteschoses. (’.. miment s’étonner dès lors que dans l’avenir elle se substitue à Dieu ?

II* Paiitik. — Critique

I. Critique de la doctrine sociologique. — Puisque l’explication religieuse est tout entière subordonnée à une théorie générale sur la sociologie, et aux postulats fondamentaux de la conception de Durkheim, il y a lieu de discuter brièvement la valeur de ces postulats.

1) A propos du réalisme social ; affirmation d’une nature sociale irréductible à la psychologie. — On a reproché au spiritualisme l’idée d’un.esprit humain toujours identique à lui-même. Pourquoi admettre maintenant une nature sociale, sorte d’hypostase nouvelle, entité arbitraire ? — D’autre part, lasociologie peut exister comme science distincte, avec son objet distinct, dèslors que les faits sociaux ont leurs caractères distincts et sont étudiés à ces points de vue distincts. Les faits sociaux sont naturels ; il ne s’ensuit pas que leur nature demeure irréductible à d’autres faits. — Il est exact que la société est plus qu’une somme d’individus ou une simple juxtaposition. Durkheim à raison. Mais MgrDeploige remarque fortement qu’entre la doctrine individualiste du xviii’siècle, et leréalisma social, il y a la doctrine moyenne de S. Thomas. La société ne se ramène pas à un tout accidentel comme le tas de pierre, ni à l’unité naturelle du vivant ou du composé chimique, mais à un tout de coordination. Cf. Dbploigb, Le conflit de la morale et delà sociologie, a* édit., ch. v, Paris, 191 2.

a) A propos des lois sociales. — Il existeune constance dans les faits économiques, juridiques, religieux. Mais cette constance, loin d’être absolue, est seulement approximative. Elle ne suppose nullement le déterminisme, mais une ressemblance dans le mode d’action. — Des êtres humains, ayant une même nature, tendent à agir semblablement ; de là les analogies entre les institutions sociales, les faits sociaux, des diverses sociétés.

3) A propos de la spécificité ou irréductibilité de faits sociaux. — Sans doute il y a quelque héiéiogénéité entre les faits individuels et les faits collectifs. Mais comment serait-elle radicale ? Par quelle transmutation magique le psychique deviendrait-il du social, totalement différent ? Aucune des métaphores de Durkheim ne projette quelque lumière sur cette transmutation. Cf. G. Michblet, Rcv. de Phil., sept.-déc. 191 ! , L’interprétation sociologique de la morale. On le voit assez par ces explications, Fouillée avait raison, la sociologie de Durkheim est suspendue à lapuremétaphysique. Cf. Dbploigb, op. cit. ; Fouii.i.rr, Lu pensée et les nouvelles écoles anti-intellectualistes, Paris, 191 1.

, II. Critique del interprétation sociologique de la religion. — Avant d’aborder la critique, dégageons les éléments de vérilé de cette doctrine.

A. Les éléments de vérité. — 1) Reconnaissance de la réalité de la religion. — Cette théorie nous débarrasse de toutes les explications qui faisaient de la religion une institution artificielle, due aux prêtres, aux intérêts, à la peur : explications puériles. Pour Durkheim, c’est un postulat évident qu’une institution « universelle et permanente ne peut reposer sur l’erreur et le mensonge ». La religion a donc son fondement dans le ré.el.

a) Aveu de son importance primordiale. — La religion est considérée comme le fait social par excellence, celui dont tous les autres sont sortis, celui qui a pour objet de créer périodiquement la vie sociale, de l’Intensifier, lien le plus puissant de tous, facteur principal de celle conscience sociale du groupe.