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POSSESSION DIABOLIQUE

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je ne dirai pas de nier la réalité historique de la possession démoniaque, mais d’en douter un instant ? Non, à moins d’avoir perdu le bon sens, et défouler aux pieds toutes les règles delà sainecritique. Nous n’hésitons pas à le dire, s’il est permis de rejeter ce témoignage des Pères de l’Eglise, il est permis de rejeter tous les faits non seulement de l’histoire ecclésiastique, mais aussi de l’histoire profane.

III. Témoignages des Missionnaires. — Nous en venons maintenant à la troisième classe de témoignages que nous avons annoncée, à ceux que nous fournissent les missionnaires. La valeur de ces témoignages est incontestable. Il s’agit de témoins oculaires, de gens instruits, prévenus contre la superstition, et qui font profession de la combattre ; nous en verrons même qui, en arrivant dans ces contrées inûdèles, sont forcés de reconnaître qu’ils avaient été par trop incrédules au sujet des manifestations diaboliques. Leur bonne foi ne saurait être suspecte : ce sont des hommes d’une vertu héroïque, qui ont renoncé à tout en ce monde, se sont exposés à tous les dangers, sans attendre aucune récompense icibas, et dont plusieurs ont versé leur sang pour le salut de leur prochain. Du reste, nos adversaires eux-mêmes rendent en ce point hommage au caractère et à la parfaite sincérité des missionnaires. Cela dit, nous transcrivons quelques récits. Voici ce qu'écrit le P. Fouqubt, S. J., missionnaire en Chine. Sa lettre est datée de Nan-Tchang-fou, capitale de la Province de Kiamsi, le 26 novembre 170a :

« Dieu, dont les bontés sont infinies, fait ici de temps

en temps des coups surprenants, pour amener les infidèles à la connaissance de la vérité ; et quoique je sois en garde contre une crédulité trop facile, j’avoue qu’en certains cas, je ne peux m’empêcher de croire. En voici un, arrivé depuis quelques mois, dont le P. de Chavagnac m'écrit lui-même les circonstances qu’il a pris soin de vérifier.

« Dans un village voisin de lavillede Fou-tcheou, 

une jeune femme de dix-sept à dix-huit ans, fut attaquée d’une maladie si extraordinaire, que personne n’y connaissait rien. Elle se portait bien quant au corps, buvant et mangeant avec appétit, vaquant aux affaires de la maison, et agissant à son ordinaire. Mais à l’heure qu’on y pensait le moins, elle se trouvait saisie d’un violent accès de fureur, pendant lequel elle parlait de choses éloignées etabsentes, comme si elles eussent été présentes, et qu’elle les eût vues de ses yeux. Elle dit dans un de ces accès, qu’un homme qui était à la campagne, arriverait bientôt, et qu’il lui parlerait de la religion chrétienne. Une autre fois, elle dit que deux catéchistes viendraient à un certain jour qu’elle marqua, et qu’ils jetteraient je ne sais quelle eau sur elle et par toute sa maison. Elle flten même temps des signes de croix, et commença à contrefaire ceux qui aspergent le peuple d’eau bénite. Un des assistants lui ayant demandé pourquoi elle paraissait inquiète sur cette eau et sur ces signes de croix, C’est, répondit-elle, que je les crains comme la mort. » Le même P. Fouquet témoigne ensuite que les infestations des démons sont assez ordinaires en Chine, comme généralement dans tousles pays où Jésus-Christ n’est point connu.

Son témoignage est confirmé dans un « Mémoire sur l'état desmissions de la Chine, présenté en latin, à Rome, au R. P. général delà Compagnie de Jésus, l’an 1 700, par le P. François Noël, de la même Compagnie, et depuis traduit en français ». Ce mémoire ajoute que les néophytes se délivrent aisément du démon, par le signe de la croix, et par l’eau bénite. Les missionnaires de l’IIindoustan parlent de même. Ainsi le P. Pihrre Martin, dans sa lettre datée

d’Aonr, dans le royaume de Maduré, le Il décembre 1700 ; le P. Bouchrt, missionnaire dans le royaume de Marava ; le P. Calmettk, dans ses lettres datées de Vencatiguiry, dans le royaume de Carnates, du 24 janvier 1^33, et de Ballapourain, du 17 septembre 1735, où il rapporte en outre plusieurs exemples de possédés. On peut lire ces documents et une inimité I d’autres dans le recueil des Lettres édifiantes et curieuses écrites des missions étrangères, etc. ; on en trouvera d’autres dans les Annales de la Propagation de la Foi, qui font suite aux « Lettres édiliantes », et dans les Missions catholiques. Veut-on des témoignages contemporains, qu’on lise dans les « Annales de la Propagation de la Foi », entre autres, la lettre de Mgr Delaplacb, vicaire apostolique du Pé-tché-ly septentrional, écrite de Péking.le 18 octobre 1876, et celles de Mgr Bruguièhe, évêque de Capse, datée de Hang-kok, 1829.

Nous finirons par un fait détaillé de possession, que nous empruntons à une lettre adressée au célèbre D 1 Winslow, en 1788, par le P. Lacour, missionnaire en Cochinchine. Le D r Calmeil en reproduit aussi le texte dans son ouvrage De la Folie(t.l, p. 417 etsuiv.) et tout en donnant du fait raconté une explication naturaliste, vraiment stupéfiante, il rend hommage à la parfaite sincérité du missionnaire, et considère le récit comme d’une autorité irréfragable.

« L’an 1733, environ, au mois de mai ou de juin, 

dit le P. Lacour, étant dans la province de Chain, royaume de Cochinchine, dans l'église d’un bourg qu’on nomme Chéta, distant d’une demi-lieue environ de la capitale de la Province, on m’amena un jeune homme de 18 à 19 ans, chrétien… Ses parents me dirent qu’il était possédé du démon… Un peu incrédule, jepourrais mêmedire à ma confusion, trop pour lors, à cause de mon peu d’expérience dans ces sortes de choses, dont je n’avais jamais eu d’exemple, et dont néanmoins j’entendais souvent parler aux chrétiens, je les questionnai pour savoir s’il n’y aurait pas de simplicité ou de malice dans le fait. 1 Ici vient le récit des parents, dontvoici la substance, Le jeune homme, après avoir fait une communion indigne, avait disparu du village, s'était retiré dans les montagnes, et ne s’appelait plus que le traître Judas…

« Sur cet exposé et après quelques difficultés, 

reprend le missionnaire, je me transportai dans l’hôpitaloù était le jeune homme, bien résolu de ne rien croire à moins que je ne visse des marques au-dessus de la nature, et, au premier abord, je l’interrogeai en latin, dont je savais qu’il ne pouvait avoir aucune teinture. Etendu qu’il était à terre, bavant extraordinairemcnt et s’agitantavec force, il se leva aussitôt sur son séant et me répondit très distinctement : Ego nescio loqui latine. Ma surprise fut si grande que, tout troublé, je me retirai épouvanté, sans avoir le courage de l’interroger davantage.

« … Toutefois, quelques jours après, je recommençai

par de nouveaux commandements probatoires, observant toujours de lui parler latin, que le jeune homme ignorait ; et, entre autres, ayant commandé au démonde le jeter par terre sur-le-champ, je fus obéi dans le moment ; mais il le renversa avec une si grande violence, tous ses membres tendus et raides comme une barre, qu’on aurait cru, par le bruit, que c'était plutôt une poutre qu’un homme qui tombait. .. Lassé, fatigué de sa longue résistance, je pris la résolution de faire un dernier effort ; ce fut d’imiter l’exemple de Mgr l'évcque de Tilopolis en semblable occasion. Je m’avisai donc, dans un exorcisme, de commander au démon en latin de le transporter au plancher de l'église, les pieds les premiers et la tète en bas. Aussitôt son corps devint raide, et