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RELIGION : THÉORIE SOCIOLOGIQIK

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soupeonne-t-on P oml ° « ue * on P ren d pour des données primitives les résultats d’une longue évolution religieuse de l’humanité ?

Pratiquons donc cet examen objectif, ete laminons sans parti pris toutes les religions, les religions dites supérieures et les religions primitives, pour en extraire ce résidu commun.

a. L’essence de la religion. — Or un tel examen nous conduit à ne pas définir les faits religieux par leur rapport au mystère ou au surnaturel, — pas davantage par leurs relations avec des êtres spirituels, comme le veut l’école anthropologique anglaise, avec Tylor, Spencer ; l’idée du mystère est trop tardive, étrangère à la mentalité du primitif, pour qui tout est simple ; la distinction de la nature et de Ui surnature naît avec le déterminisme, acquisition récente de la science. — La notion d’êtres spirituels, d’âmes, de dieux, ne se vérifie pas dans toutes les religions : il y a des religions athées, le bouddhisme et le jainisme par exemple ; et là où ces êtres apparaissent, ils sont le résultat d’une spéculation tardive, ou n’occupent qu’une situation secondaire dans l’économie religieuse. — Il s’agit, on le voit assez, d écarter 1’  « objet insaisissable » qui fait le contenu de la pensée religieuse, et d’expliquer la religion sans qu’intervienne l’idée de Dieu.

Vus du dehors, les faits religieux se composent d’un ensemble de croyances et de rites. Représentations communes et rites sociaux ont pour caractères d’être contraignants, de s’imposer à toutes les consciences individuelles. Tous les fidèles s’inclinent devant les mêmes croyances, tous participent aux mêmes rites. L’individu recherche ainsi hors de lui la règle de ses représentations et de leurs manifestations.

« La religion personnelle est toujours empruntée

au milieu social », le caractère d’obligation résulte de la pression sociale. « Les croyances sont obligatoires, parce que diffuses dans la société et mécaniquement imposées aux individus. A proprement parler, la résistance de ceux-ci e<t inconcevable ». Les faits religieux sont éminemnent des faits collectifs et coercitifs.

Longtemps l’Ecole sociologique s’en est tenue à cette caractéristique tout extérieure des faits religieux. En fait, elle aboutissait à une notion toute formelle, comme l’a reconnu parla suite Durkheim, en méconnaissant leur contenu ; de plus, elle en arrivait à confondre le phénomène religieux avec tous les autres faits sociaux. Si tous ont la même caractéristique d’être objectifs, supérieurs aux individus, et de s’imposer à eux par une sorte de coercition mentale ou morale, que reste-t-il de spécifiquement religieux ?

3. La notion du sacré. — lia donc fallu revenir à délinir la religion par son contenu. Et n’était-ce point revenir aussi par un détour à la psychologie, à l’individu, à sa représentation ? Or représentations et rites ont trait à un même objet : le sacré.

« Les croyances religieuses sont des représentations

qui expriment la nature des choses sacrées » ; « la religion est un système de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées ». Croyances, dogmes, légendes expriment à leur manière du sacré ; sacrilices, rites funéraires, s’adressent au sacré. La notion du sacré e*t ainsi « l’idée cardinale i> de la religion. Ainsi s’accuse la dis inctton du monde en deux domaines : celui du sacré et celui du profane.

— Cette distinction va jusqu’à Y hétérogénéité des deux mondes : ils sont radicalement séparés l’un de l’autre. Une barrière, ou mieux, un abîme lessépare ; personnes sacrées, objets sacrés, son’considérés comme d’une autre nature et d’une nature supérieure. — Souvent même, il y a antagonisme entre

le sacré et le profane : lutte d’intérêts, d’influence, de devoirs ; dans la conscience collective et parfois dans la même conscience individuelle, les conflits surgissent entre les commandements du sacré et les attraits de la vie matérielle ; les oppositions de la conscience morale et de la conscience sociale, à certaines heures pénibles, ne sont que les échos de cet antagonisme ; le dualisme de l’esprit et du corps, du spirituel et du charnel, que la psychologie a tant de fois signalé, n’est en son fond qu’un contre-coup, dans l’individu, de cette opposition du sacré et du profane. La religion, elle, est précisément « le domaine de l’administration du sacré ».

4. Le sacré et la vie collective. — Comment expliquer une telle hétérogénéité. Et d’où peut provenir cette notion du sacré ? Ici nous retrouvons, dans l’école sociologique, cet exclusivisme initial, a priorisme formidable placé, au nom de l’esprit scientifique, au seuil de la science des religions.

Le sacré ne peut provenir de l’individu. Comment celui-ci s’élèverait-il par lui-même à cettedistinction des deux mondes, et à cette opposition des deux notions ? Pas davantage la nature n’en est la source. Comment donnerait-elle l’idée de quelque chose qui la dépasse ? Or, au dessus de l’individu et de la nature — Dieu écarté par définition, — il ne reste que la société. « Ce doit être pour la religion un principe, que la religion n’exprime rienqui ne soit dans la nature » ; « Un fait de l’expérience commune ne peut nous donner l’idée d’une chose qui a pour caractéristique d’être en dehors de l’expérience commune ». Il faut se refuser à chercher des solutions

« extra-expérimentales », celles qui feraient

intervenir Dieu. Aussi, avec quel dédain transcendant les repousse-t-on, sansdiscussion, au nom des principes et de la méthode scientifiques !

L’individu et la nature — et Dieu — éliminés, une seule voie demeure ouverte ; l’explication sociale. Le sacré et le profane répondent aux différences de la vie collective et de l’existence individuelle. Comme le sacré est dictinct du profane, la vie collective a ses représentations, ses sentiments, sa conduite ; comme le sacré est hétérogène au profane, la loi des pensées et des actions collectives est irréductible aux lois des pensées et des actions individuelles ; enfin le même antagonisme s’accuse. Les alternances de la vie individuelle et de la vie sociale répondent aux alternances du sacré et du profane ; le rythme de la vie religieuse ne fait qu’exprimer le rythme de la vie sociale. Et la liturgie, avec son cycle régulier, le développement de ses fêtes saisonnières, manifeste spontanément cette activité collective. Les rites la traduisent, comme les croyances la représentent. C’est toujours la société pensée sous les espèces du sacré et i>ersonniliée dans l’idée de Dieu. Dieu n’est que la société « pensée symboliquement ».

Ainsi la religion est sociale, tout entière sociale. Sociale d’abord dans son origine : elle descend de la collectivité aux individus. Et c’est par un mécanisme mystérieux, mais admirable, que la société impose le respect et l’adoration à ses membres ; elle pèse sur eux du dehors ; elle s’impose à leur pensée et à leur action irrésistiblement — Sociale dans son contenu : c’est toujours la vie collective qu’elle magnilie dans ses représentations du sacré, qu’elle expérimente dans ses sentiments, qu’elle vénère dans sa liturgie. Sociale enfin par son but, autant qu’on peut parler de finalité dans cet empirisme sociologique. La société, sans le savoir, use de ce stratagème et de cette admirable pédagogie, pour élever l’individu au-dessus de lui-même et l’amener doucement, maisimpérieusement.à subordonner son égoïsme natif aux lins collectives. Partout et toujours la