Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/436

Cette page n’a pas encore été corrigée

859

RELIGION : THÉORIE SOCIOLOGIQUE

860

exigent des interprétations spécifiques. Toute explication qui cherche son point d’appui dans la nature de l’homme, ramène le dehors au dedans, le collectif à l’individuel, le social au psychique ; elle est toujours et sous toutes ses formes un contre-sens sociologique. La cause d’un fait social doit être toujours cherchée dans le milieu social donné, dans la série antécédente des faits sociaux. C’est donc dire qu’il faut les étudier historiquement, dans leur évolution historique. Il convient de les prendre pour des résultats, des synthèses complexes, non des données primitives. Leurs éléments se découvriront en remontant à travers l’histoire et jusqu’aux civilisations primitives quioflfrent des expériences privilégiées, les faits sociaux étant encore à l'état brut et à un minimum de complication : du « passé vivant », et sous sa forme simple. A l'étude de l’individu, il faut donc substituer l'étude du sujet collectif, la société. Comte disait plus amplement encore : l’Humanité.

A ces conditions, on aboutira à des interprétations objectives, impersonnelles, scientifiques, c’està-dire conformes aux exigences de l’esprit positif. Les règles de la méthode sociologique ne sont, au fond, on le voit assez, qu’une codification des lois générales de la philosophie positive.

La doctrine sociologique. — De cette méthode se dégagera progressivement une doctrine dont les thèses principales peuvent êire ainsi formulées.

i. Existence d’une réalité sociale. — Sans doute la société est composée d’individus : par elle-même, elle n’a pas une existence substantielle, sorte d’hypostase nouvelle. Et cependant la société est autre que la somme des citoyens qui la composent. Ce fut l’une des idées maîtresses et des funestes erreurs du dis-huitième siècle, d’adopter, en philosophie sociale, a^ec Rousseau, en économie politique avec Smith, le système de l’individualisme radical. Composer une société organisée avec des individus inorganisés, décréter a priori les formules d’une constitution pour l’homme, conçu comme un être essentiellement identique à toutes les époques et dans tous les milieux, additionner des abstractions : vice fondamental de cette idéologie sociale, plus périlleuse encore que l’autre.

En opposition avec cet individualisme, l'école sociologique, après Durkheim, allirme la réalité de l'être social, de la conscience sociale, des représentations collectives. La société a sa réalité propre, sa nature spécifique, son existence sui juris : au dessus des individus, constituée par eux, mais différente d’eux, permanente par-delà la variabilité des hommes, indépendante d’eux en quelque sorte, puisqu’elle les précède et qu’elle leur survit. Réalité propre, nature hétérogène, existence sui generis : l'école sociologique reprendra inlassablement les mêmes expressions. C’est le postulat même, nous dit-on, de l’existence de la sociologie. Elle ne peut être science véritable et distincte, que si elle a un objet spécifique, autre que les individus. Les faits sociaux sont donc, par nature, irréductibles aux faiti individuels. La collectivité agit, pense, sent, autrement que les particuliers qui la constituent.

a. Affirmation des lois sociales. — « Les faits sociaux doivent être traités comme des faits naturels, soumis à des lois nécessaires ». Pourquoi limiter la notion et l’existence des lois aux réalités physiques, chimiques, biologiques ? Le progresse mesure à cette extension des loisà des domaines nouveau*. Les lois ont conquis la psychologie, pourquoi leur interdire l’entrée des réalités sociales ? Il faut donc renoncer à l’idée dune malléabilité indéfinie de ces

réalités. On ne décrète pas a priori des institutions ; on ne crée pas des constitutions artiticielles. L'œuvre esquissée par Turgot, Condorcel et Comte, il faut la reprendre, en serrant de plus près cette réalité sociale, pour aboutir à des lois sociales plus précises.

Seulement, il importe de le souligner, ces lois seront exclusivement sociales, c’est-à-dire que d’aucune façon, ni directement ni indirectement, elles ne doivent être déduites de la nature humaine, d’un fond supposé commun. Toute tentative de réduction à la psychologie est vouée d’avance à l’insuccès, comme elle le fut dans le passé.

3. Acceptation d’un déterminisme social. — Et ceci n’est qu’une conséquence de l’affirmation des lois. Dire qu’il y a des lois revient à dire que les faits sociaux, que les séries sociales, sont reliés par des rapports de causalité ; pas de place entre ces séries pour l’indéterminisme.

Application de la doctrine sociologique aux faits religieux. — En possession de cette méthode, seule rigoureusement scientifique, et de la doctrine qui en sort, il suffit d’appliquer l’une et l’autre à la religion « Il s’agit de traiter les faits religieux, non plus comme des faits humains, dont l’explication peut être fournie en dernière analyse par la psychologie, mais comme des faits sociaux, c’est-à-dire qui se produisent nécessairement dans des sociétés ». Lorsque M. Durkheim tente cette application, en 1899, dans son étude sur la définition des phénomènes religieux, il est déjà en possession d’une philosophie générale qui conditionne d’avance et rigoureusement cette explication — et qui d’avance aussi vicie sa prétendue objectivité scientifique.

1. La méthode religieuse. — Ici encore, il faut étudier des faits, des faits religieux, les religions, non la religion. La religion relève d’une métaphysique ; les religions appartiennent à l’histoire : représentatatious mythiques, altitudes rituelles, institutions ecclésiastiques, sacrifices, prières, etc. Voilà la matière de ces observations et de ces analyses. Ainsi, à la place des spéculations, des recherches historiques, des éludes sociologiques.

Dans cette élude, plus qu’ailleurs encore, il importe d'écarter les prénotions et les préjugés. S’il faut nous persuader que nous ne savons rien de la réalité morale, bien davantage encore faut-il nous mettre en garde contre une éducation religieuse, des jugements de préférence tout faits, l’affirmation d’une transcendance reconnue à certaine religion privilégiée. C’est toules les religions qu’il faut observer, comme c’est tous les faits qu’il faut retenir.

Ces phénomènes religieux, il convient, suivant la méthode définie, de les examiner du dehors, en recherchant leurs caractères extérieurs et leurs éléments communs ; dans ces conditions, il sera possible de déterminer scientifiquement quels éléments sont essentiels à la religion. L’expérience religieuse n’est vraiment une expérience qu'à la traiter ainsi, tout objectivement.

La prétention des psychologies religieuses manifestera ainsi leur radicale incapacité. Ce qui est le plus mal connu, c’est l’individu, avec ses aspirations, ses pensées, ses émotions ; monde infiniment complexe, qu’aucune analyse n'épuisera et où les méprises sont si faciles. Toute psychologie religieuse est conjecturale autant que fragmentaire. Qu’a-t-ou gagné à délinir avec MaxMueller la religion, comme la faculté de l’infini ? Le dehors n’est-il pas d’abord le plus accessible et par suite le mieux connu ? Pourquoi lui préférer cette intimité de la conscience, si obscure, si impénétrable, et si variée ? Et ne