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POSSESSION DIABOLIQUE

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à la Vie de Jésus. Il a un autre niais bien triste mérite : celui d’avoir adapté ses blasphèmes à l’intelligence et au goût des moins savants.

Notons d’abord que Renan ne nie pas d’une façon absolue les l’ait* racontés parles évangélistes, inème quand il s’agit des miracles, et des possessions en particulier ; toute sa tactique consiste à interpréter ou plutôt à dénaturer les faits. Il a même ici un aveu qu’il faut relever : « Ce serait manquer, dit-il, à la bonne méthode historique que d’écouter trop ici nos répugnances (de rationaliste), et, pour nous soustraire aux objections qu’on pourrait être tenté d’élever contre le caractèrede Jésus, de supprimer des faits qui, aux yeux de ses contemporains, furent placés sur le premier plan. (Il entend par là les miracles, et en particulier les guérisons de possédés ; pour lui, ce sont des impostures ou des illusions qui déparent Jésus.) Il serait commode de dire que ce sont là des additions de disciples bien inférieur

  • à leur maitre… Mais les quatre narrateurs

de la vie de Jésus sont unanimes pour vanter ses miracles… Nous admettrons donc sans hésiter que des actes qui seraientmaintenant considérés comme des traits d’illusion ou de folie ont tenu une grande place dans la vie de Jésus. » (Ch. xvi) Nous demandons pardon à nos lecteurs de reproduire ces blasphèmes ; mais il fallait relever cet aveu pour mieux montrer qu’il ne s’agit ici que d’une question d’interprétation entre Renan et nous.

Parcourons donc brièvement les objections qu’il fait à notre manière d’interpréter.

Il commence par dire qu’une facilité étrange à croire aux démons régnait dans tousles esprits. Non seulement en Jiulée, mais partout on admettait la réalité de la possession. L’hystérie, l’épilepsie, les maladies mentales et nerveuses, la surdité, le mutisme étaient expliqués par la possession. L’admirable traité « de la maladie sacrée » d’Hippocrate, qui posa, quatre siècles et demi avant Jésus, les vrais principes de la médecine sur ce sujet, n’avait point banni du monde une pareille erreur. On supposait qu’il y avait des procédés pour chasser le démon. L’étal d’exorciste était une profession. Il n’est pas douteux que Jésus n’ait eu la réputation de posséder les derniers secrets de cet art.

Nous répondons que la facilité de croire au démon, et la persuasion universelle de la réalité de la possession n’ont rien d’étrange, si ce n’est pour ceux qui nient a priori le démon. Le témoignage de l’antiquité tout entière prouve simplement que la possession était réelle, et fort fréquente de ce temps-là. Ce qui le confirme, c’est qu’Hippocrate, le père de la médecine, qui était certes connu, sinon en Judée, du moins en Grèce et à Rome, n’a pas changé la croyance universelle, qui est encore aujourd’hui aussi vive que jamais, sauf parmi certains incrédules d’Europe ; encore y en a-t-il d’autres qui joignent à l’incrédulité la superstition et le commerce avec le démon. Renan allirme sans preuve aucune que les possédés étaient des malades. Nous avons clairement démontré qu’un homme sérieux ne peut pas s’incliner devant cette affirmation gratuite, opposée aux témoignages les plus certains de l’histoire. Renan ose comparer Jésus-Christ aux exorcistes juifs. Puisqu’il ignore ou feint d’ignorer la différence essentielle entre la manière d’agir du Sauveur à l’égard des possédés, et celle des exorcistes, tels que l’Eglise en a encore, nous lui dirons : que l’exorcisme se fait suivant des rites et avec des prières déterminées par l’autorité ecclésiastique, et par des ministres désignés par elle ; c’est la A’oie ordinaire, qui n’a rien du miracle ; son efficacité, quoique réelle, n’est pas absolument infaillible ; Jésus-Christ, au contraire, chassait le

démon infailliblement par un ordre, par sa seule volonté, et Dieu agit encore de même par ses saints ou par des personnes auxquelles il veut bien communiquer ce don, cette seconde manière est miraculeuse, elle prouve l’intervention spéciale et extraordinaire de Dieu.

Continuons. Le lecteur veut-il savoir ce que Renan fait de l’histoire des possédés de Gadara ? Voici : « Il y avait alors beaucoup de fous en Judée, sans doute par suite de la grande exaltation des esprits. Ces fous, qu’on laissait errer, comme cela a lieu encore aujourd’hui dans les mêmes régions, habitaient les grottes sépulcrales abandonnées, retraite ordinaire des vagabonds. Jésus avaient beaucoup de prise sur ces malheureux. On racontait au sujet de ces cures mille histoires singulières, où toute la crédulité du temps se donnait carrière. » Voilà ce qui s’appelle critique historique et interprétation I

Pour l’honneur du bon sens humain, nous eussions préféré voir nier les faits, plutôt que de les entendre interpréter d’une façon aussi puérile. Aussi tout homme sérieux trouvera que Renan ne mérite pas ici d’être réfuté.

Mais ce n’est pas tout : « Ici encore, continue-t-il, il ne faut pas s’exagérer les difficultés. Les désordres, qu’on expliquait par des possessions, étaient souvent fort légers. De nos jours, en Syrie, on regarde comme fous ou possédés du démon (ces deux idées n’en font qu’une, medjnoun), des gens qui ont seulement quelque bizarrerie. Une douce parole suffit souvent dans ce cas pour chasser le démon. Tels étaient sans doute les moyens employés par Jésus. Qui sait si sa célébrité, comme exorciste, ne se répandit pas presque à son insu ? »

Renan a donc senti lui-même le ridicule de son interprétation ; mais comment se tire-t-il de la difficulté ? Par une autre niaiserie. Il ne faut pas exagérer ; souvent ce n’étaient pas des fous ; aujourd’hui encore là-bas, les possédés ou fous (c’est la même chose) sont des gens qui ont quelque bizarrerie. Et de peur que le lecteurne comprenne pas très bien, il ajoute en note qu’avoir un démon, Sa.iu.mm, a, dans l’antiquité, le sens d’être fou, c’est-à-dire souvent d’être bizarre. Pourquoi donc a-t-il commencé par dire que tout le monde croyait au démon, et à la possession ? qu’on attribuait au démon toute espèce de maladies, surtout les maladies mentales et nerveuses ?


De plus, aujourd’hui même que les possédés sont plus rares, le verbe 8a.tfj.ovKv a-t-il changé de signification ? est-il vrai que, dans n’importe quel temps et quel pays du monde, avoir un démon, être possédé, signifie être fou, et que « dæmonium habes » doit se traduire par : Tu es fou ? Quand on a quelque prétention d’être philologue, on devrait avoir honte d’oser affirmer pareille absurdité. Autre chose est traduire, autre chose interpréter : or, non seulement pareille traduction n’en serait pas une, mais une semblable interprétation doit être exclue, comme nous l’avons démontré. Autre chose est la signification des mots, autre chose un sens déduit par métaphore, de cette signification. Ainsi nous disons : cet homme est un tigre. La signification du mot « tigre » est-elle pour cela autre chose que. la bête féroce désignée par ce mot ? Et si je dis de quelqu’un : « Il a le diable au corps », est-ce que pour cela : avoir le diable au corps signifie toujours être fou ? Ce seront donc les circonstances dans lesquelles je parle, qui devrontindiquerquej’emploie l’expression dans un sens métaphorique. Dans les récits évangéliques, la métaphore est exclue d’une façon trop évidente et de trop de manières, pour y insister encore.