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REFORME

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catholique constitue un ordre permanent… Autant l’Incarnation et la Résurrection me paraissent impossibles quand on n’a que ces miracles passés à m’offrir, autant je les jugerais aisés à croire, s’ils faisaient partie d’une série ininterrompue de faits semblables, c’est-à-dire si j’adorais aujourd’hui même la présence réelle dans l’Eucharistie » (loc. cit.)

Quoiqu’il faille penser d’un tel état d’âme vis-àvis de l’objet de la foi présenté par la Bible, et à supposer qu’il ne soit pas très commun parce qu’il est assez subtil ; il reste, en pratique, que la masse de nos frères séparés suit, en fait de commentaires du texte sacré, la direction de ceux qui l’instruisent. Mais ceux-là même « possèderonl-ilsune autorité qu’ils refusent eux-mêmes à leur propre Eglise ? Offrent-ils une autre garantie en faveur de l’inspiration divine de leurs exégèses ?… Quelle contradiction d’attribuer en /ait à une communauté une autorité qu’on lui dénie en principe ?… Ce n’est pas tout : la plupart des prédicateurs ne tirent pas immédiatement leur enseignement delaBible… (Ils ne reçoivent eux-mêmes cette doctrine que par divers canaux ; et c’est une des plus étonnantes illusions de notre temps, de croire que le protestantisme n’a recours qu’aux Ecritures pour établir ses rapports avec Dieu et avec son Christ. » ^Moehler-Goyau, 326-318).

III. Le libre examen et la libre conscience.

— Chose curieuse, c’est surtout du principe qui confère à la Bible une autorité exclusive, que sortit celui du libre examen. Quoiqu’il n’ait pas apparu très nettement comme un corollaire des doctrines nouvelles, qu’il n’ait pas trouvé de longtemps sa formule, qu’il ait eu à lutter contre des tendances autoritaires, et même parfois, comme au xvn » siècle, contre une sorte de retour à la conception catholique de l’Eglise, ce n’est pas à tort qu’on le considère, soit chez les catholiques, soit chez les protestants, comme un des éléments implicites contenus dans le protestantisme initial.

a) Exposé de la théorie. — En elTet, dans la pensée de Luther, si le christianisme est pour l’individu un lien, c’est aussi un affranchissement ; or, cet affranchissement, il le considère, ainsi que le faisaient les esprits directeurs de la Renaissance, comme une attitude nouvelle de la conscience, émancipée et pénétrée de ses droits, envers l’autorité. De plus, si la conscience individuelle peut appliquer son effort à la Bible pour l’interpréter en dernier ressort, c’est bien qu’elle se crée à elle-même sa foi. C’est, du reste, une concession indispensable à se faire entre croyants, tous capables d’entendre différemment la Parole de Dieu, que de reconnaître défait la valeur religieuse de ces interprétations individuelles, sans trop regarder à leurs conséquences.

— Telle est, sinon à la lettre, du moins dans son esprit, la conception qu’on se fa t du libre examen : une conception d’ordre pratique plutôt que théorique.

« Le protestant est un homme qui examine

avant de se soumettre ». Ce motde Vinkt, rapproché soigneusement de son contexte : « Ce que je repousse absolument, c’est l’autorité », peut assez bien servir d’illustration à la pensée un peu confuse des premiers Réformateurs, à la condition qu’on entende ici l’autorité, non pas de toute autorité religieuse, quelle qu’elle soit — (la Bible est une autorité qu’ils aceptent), — mais de toute autorité o/ficirtleoulégale. C’est du moins ce qu’ils proclament, en attendant de recourir au prince — comme lit Luther, — ou de le remplacer — comme lit Calvin, — pour l’adminis Tome IV.

trationde la vérité religieuse et le maintien du nouvel Evangile.

b) Examen de la théorie. — Nous n’avons pas ici à déterminer ou à discuter quels sont les droits de la raison et de la conscience en face de la vérité religieuse. Cet exposé, du seul point de vue philosophique, comporterait une vaste étude, et c’est un tout autre débat. Contentons-nous d’observer simplement

— c’est une remarque de Moehler (cf. Moehlbk-Goyau, 0.7), que le libre examen maintient perpétuellement le fidèle à son point de départ, puisque

« l’hérésie, parvenue à son développement, devra

toujours professer laliberté de penser, si ellevent… ne pas être en contradiction avec elle même ; elle ne peut se débarrasser de son néant, sans s’anéantir elle-même ». Cela correspond à l’aveu de Vinet : « Le protestantisme n’est pour moi qu’un point de départ ». Ainsi en fut-il dès les premiers temps de la Réforme. Mais de ce « point de départ », on alla tout de suite aux pires excès : aux révoltes de la démagogie sur le terrain politique, et, sur le terrain proprement religieux, aux contradictions les plus hardies et les plus violentes. Bornons-nous à constater que ce furent là — historiquement — les fruits immédiats du libre-examen.

i° L’autorité civile devait être la première à souffrir du discrédit qui atteignait l’autorité religieuse. C’est pour la « défense du saint Evangile 1 », librement interprété par les prédicants, qu’on s’insurge en Allemagne et en Bohème : ou plutôt, c’est ici le prétexte dont on couvre confusément, et de justes revendications sociales, et d’inavouables convoitises, c’est ici le premier service qu’on demande à la « parole de Dieu ». L’Ancien Testament a établi les dîmes, mais le Nouveau en affranchit. La taxe sur le bétail ne peut être conservée, puisque les animaux ont été donnés en propriété à l’homme ; et cela autorise aussi tout le monde à chasser : donc, pas de gibier, pas de pèche réservée. Plus de serfs, puisque le sang de Jésus-Christ a coulé pour tous : d’où l’abolition des classes, l’égalité sociale la plus absolue. C’est ainsi qu’on raisonne en Souabe ou en Franconie. Tout le monde ne saurait avoir la haute raison des gens instruits et des sages, qui tirent de la Bible des conclusions plus désintéressées. Car on tire tout de la Bible. Et par ce que Moïse a inspiré la révolte contre Pharaon, on s’élève contre le seigneur et le prêtre, qui personnifient Pharaon et tous les tyrans nommés ou flétris par l’Ecriture 1 — L’horrible guerre des paysans a telle d’autres origines ? Assurément ; mais elle a aussi celle-là. Luther, qui l’avait attisée, se vit obligé de reculer devant son œuvre et de se retourner contre les paysans, quand leur cause fut perdue : il le fit encore au nom d’une inspiration divine, d’un ordre du Seigneur à sa concience.

2* L’insurrection démagogique n’est rien à côté de l’anarchie doctrinale produite par le libre-examen. Celle-ci se prolonge davantage, et l’on dirait que tous les tenants de la Réforme ont à cœur d’y collaborer. — Carlosladt soutient, dès 1520, dans son De canonicis Scrij/turis, que l’interprétation de la parole de Dieu s’inspire, non delà foi, mais du sens littéral. Et il en déduit : que l’idéal politique doit être calqué sur l’idéal mosaïque, se résoudre en une théocratie égalitaire qui supprimera science, hiérarchie, rangs sociaux ; que l’on doit brûler ou briser les images, les tableaux, les statues, suivant les prescriptions du Deutéronome (I)eut., xxvii, 15) ; que la polygamie, simplement tolérée par Luther, dans un cas particulier, est licite. — Un ami de Carlostadt. Sehwenkfelt, ne voit, lui, dans l’Ecriture, qu’un simple témoignage historique : il n’y a

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