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REFORME

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tique fragile et éparse vit-elle la « variation » s’installer à sa base, et dut-elle se plier le plus souvent aux circonstances. « L’hérésie, faible production de l’esprit humain, ne peut se faire que de pièces mal assorties, observe BossuBTdans la Préface de VHistoire des i’tiriations… On s’engage sans bien pénétrer toutes les suites de ce qu’on avance ; ce qu’une fausse lueur avait fait hasarder au commencement se trouve avoir des inconvénients qui obligent les réformateurs à se réformer tous les jours : de sorte qu’ils ne peuvent dire quand uniront les innovations ni jamais se contenter eux-mêmes ». Ceci, déjà vrai de Luther, est vrai des réformateurs qui l’ont suivi. Aussi, dès que Bossuet leur tend le miroir et les force à prendre conscience de leurs variations, ils canonisent jusqu’à la variation elle-même, l’opportunité aidant chez eux l’instinct. Les protestants d’aujourd’hui n’éprouvent aucune honte d’avoir varié, évolué, absolument comme les catholiques se font gloire du développement et de la vie de leur doctrine : mais variation, évolution — et développement — ne sont pas seulement des mots, mais des choses très différentes ; et l’histoire du protestantisme, comparée à celle du catholicisme, est tout à fait révélatrice à cet égard.

Il n’en est que plus nécessaire d’examiner les principes du protestantisme à l’heure où ils sont posés, allirmés pour la première fois, où ils n’ont donc pas déroulé les conséquences ou subi les transformations qui pourraient les rendre méconnaissables à leurs propres auteurs. Si c’est, jusqu’à un certain point, une fiction littéraire que de les prendre ainsi à l’état statique, les protestants ne sauraient nous le reprocher : ils ont souvent employé celle méthode ; par exemple, Licutenbbrgbr dans son Encyclopédie des Sciences religieuses et Kattbnbusch dans la Realencrclopædie fur protestantische Théologie de Hauck.

Nous examinerons successivement les divers points sur lesquels le protestantisme a inuové.

1. La justification sans les œuvres. — a) Exposé de la théorie. — L’insurrection religieuse du xvi* siècle ne s’attarda pas aux questions secondaires qui pouvaient entrer et, de fait, entrèrent dans son programme, mais, suivant une remarque préliminaire de Mobhlbr dans sa Symbolique, elle dressa sa tente au centre même du christianisme, posant dès le début, avant de diriger l’attaque vers la périphérie (purgatoire, sacrements, observances, jeûnes, culte des.Saints, etc.), la question vitale de la justification : — Comment l’homme pécheur, après la dégradation primitive, est-il restauré dans le fond de son être et reconvre-t-il la justice et la sainteté ?

Genèse de la théorie. — Serait-ce par les bonnes œuvres, inspirées par la prière, la pénitence ou l’amour ? — Non, déclare Luther, à rencontre même de l’humanisme chrétien qui sauvait la nécessité des œuvres avec Erasme, Gian Francesco, Lefcvre d’Etaples, etc.

On s’accorde à peu près sur les motifs de cette première négation. Ayant eu conscience, dans le cloître, d’avoir perdu la grâce par le péché mortel, il éprouva le besoin d’être « justifié ». Après de longues années de macérations et de pénitence (qu’il faudrait réduire de beaucoup, d’après Drniklb, Luther und f.uthertum, I, 355, etc.), il se persuada que la justification ne pouvait pas reposer sur de telles pratiques, ni sur rien d’extérieur, somme, par exemple, le rite de l’absolution. Il gardait, en elfel, ses terreurs et ses troubles (et il les garda, plus ou moins, du reste, toute sa vie). Mais il eut un jour le sentiment d’être éclairé, dans son angoisse, par la lecture de saint Paul, particulièrement de l’Epltre aux

Romains. — Les historiens prolestants ajoutent qu’il prit, à cette occasion, une idée nouvelle de Dieu. Tandis que le catholicisme l’agenouillait en vain devant la puissance d’un Maître et d’un Juge, il se représenta Dieu comme principalement bon et miséricordieux, comme incliné au pardon, pourvu qu’on ait confiance, c’esl-à-dire foi. Par là, déclare catégoriquement Kattbnbusch (dans la 7t. /s’. 3, XVI, 1/49) »

« toutes les routes sont coupées entre le catholicisme

et le protestantisme. »

Luther prétendra ensuite avoir trouvé le fondement de sa doctrine dans les écrits de* augustiniens, des mystiques à la façon de maître Eckart, des nominalisles de l’école d’Occam : la vérité est qu’il y choisit ce qui correspond le mieux à ses idées ou expériences.

L’article essentiel de la religion est désormais fixé dans son esprit, « article dont on ne devra rien céder, écrira-t-il plus tard, dussent s’écrouler ciel et terre ». Et, sauf quelques protestations isolées, celles de Georges Major, de Pfeflïnger, par exemple, la première théologie protestante, de Luther à Calvin, l’entend bien ainsi : elle a son centre dans la doctrine de la justification sans les œuvres.

Grandes lignes de la théorie. — Partout et chez tous, malgré des divergences ou des atténuations de détail que l’érudition signale presque comme des curiosités, on met l’accent sur l’inefficacité des œuvres : la foi, dégagée d’ordinaire de la charité, de la prière, de la pénitence, importe et agit seule dans la justification. Que la charité naisse de la foi justifiante, comme la pomme naît du pommier ou le feu de la chaleur et de la fumée, Luther l’accordera ensuite, au risque de se contredire (et non sans quelque souci de résoudre la contradiction) ; qu’un sentiment de pénitence accompagne et suive la foi justifiante, sans être conditionné par elle, Calvin l’accordera aussi. La foi n’en reste pas moins pour eux l’exclusive condition de la justice. Quiconque adhère à cette vérité que Dieu, avant tout Miséricorde, a remis les péchés à cause du Christ et par lui, est déclaré juste par Dieu : c’est-à-dire, selon Luther, que Dieu ne le voit plus qu’à travers le Christ et orné des mérites du Christ ; c’est-à-dire, selon Calvin, qu’il appréhende par sa foi même la justice de Jésus-Christ, qu’il en est revêtu, qu’il apparaît ainsi devant Dieu, non comme pécheur, mais comme juste.

Quelle est donc la nature de la foi qui opère une telle merveille ? Question difficile à élucider. Pour Luther et Mélanchthon, c’est plutôt une « confiance ». Pour Calvin, à la confiance se joint une « connaissance ferme et certaine de la bonne volonté de Dieu », connaissance qui a pour fondement la promesse gratuite donnée en Jésus-Christ, révélée à notre entendement par le Saint-Esprit, exprimée par la parole de Dieu contenue dans l’Ecriture.

Corollaires de la théorie. — Ce phénomène religieux de la justification a, pour le croyant, un premier corollaire infiniment précieux : il acquiert la certitude du salut, fondée sur Pinamissibilité de la justice, indépendamment de toute collaboration de sa liberté avec la faveur soudaine qui lui aéié faite. La grâce ne saurait être un remède, puisque le péché est sans remède ; elle reste une simple faveur (Mélanchthon), dont le concept n’implique pas nécessairement une coopération. Quelle coopération attendre, au surplus, « l’une créature dont le mal profond n’a pas été guéri, mais simplement couvert et comme dissimulé par l’indicible Bonté ? Ici, la doctrine catholique montrait, après la tache originelle, une créature privée des dons surnaturels, blessée seulement dans les qualités naturelles. La’théorie protestante veut que cette créature, incapable de rien