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REFORME

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rendit son jugement le 2 4 juin 1 91 1 ; ce jugement constatait que le pasteur incriminé ne pouvait continuer son ministère dans l’Eglise évangélique.

Des ouragans de protestations s’élevèrent. Pour les apaiser, une voix se (it entendre, : ce fut celle de M. Harnack. Le libéralisme avait fait tant de progrès dans l’Eglise prussienne, que M. Harnack, peu à peu, avait acquis dans cette Eglise l’autorité d’un directeur d’opinion : il en profitait pour tenter d’apprivoiser les éléments libéraux les plus avancés et pour justifier de son mieux les décisions préservatrices par lesquelles les tribunaux d’Eglise défendaient, contre des pasteurs trop exubérants, ou trop sincères, les susceptibilités traditionnelles des croyants. Entre M. Harnack, qui approuvait la procédure suivie à l’égard de M. Jatho, et M. Jatlio lai-même, une correspondance des plus curieuses s’engagea.

Nous pensons de même sur le Christ, lui signifiait en substance M. Jatho ; nous estimons, l’un et l’autre, qu’il n’est rien de plus qu’un homme ; et vous êtes le premier à reconnaître que, d’âge en âge, la conception que se faisaient les fidèles du Christ historique a notablement varié. 11. Harnack alors de répondre : « Je considère et j’ai toujours considéré Jésus comme le Messie et le Maître. » Mais cette formule même — M. Jatho n’avait pas de peine à le prouver — était insuffisante aux jeux des orthodoxes ; et les théologiens qui réintégraient la personne du Christ et le fait chrétien dans l’histoire du

« développement religieux de l’humanité », trouvaient

qu’au contraire saluer le Christ comme le Messie et le Maître, c’était encore faire trop de concessions à l’orthodoxie.

Car de même que les vingt dernières années du dix-neuvième siècle avaient vu s’insurger, contre le vieux Credo, l’histoire des idées successives que la communauté chrétienne s’était, disait-on, faites du Christ, de même, dans les premières années du vingtième siècle, une autre mode intellectuelle s’était installée, contre laquelle M. Harnack avait inutilement protesté. L’un des points de départ de cette mode avait été le livre de l’assyriologue Frédéric Dklitzsch : Babel et la Bible. L’évolutionnisme religieux inspirait ces pages : la religion de l’Ancien Testament y était présentée comme issue de Babylone ; l’idée d’une révélation apportée aux hommes par Jehovah périclitait ; et dans le développement religieux de la conscience humaine, tel que le décrivait, à grands renforts d’arguments philosophiques, cette science nouvelle. Dieu révélateur, Dieu législateur ne jouait plus aucun rôle effectif, historique. Toute une série d’écrits sur l’histoire desreligions se publia, dans lesquels des plumes de philologues et de théologiens s’attachaient à détruire le caractère transcendant du christianisme, à supprimer ce prestige unique, exceptionnellement auguste, qui s’attachait à la personne du Christ dans l’histoire religieuse de l’humanité. M. Harnack, chagrin, assistait à ce travail, dans lequel le théologien berlinois Ernest Troeltsch allait bientôt s’illustrer* et M. Harnack déplorait que l’attention publique, à la faveur de ces nouvelles méthodes, s’égarât sur des phénomènes religieux d’ordre inférieur et perdit de vue la précellence du fait chrétien. Mais lorsque M Jatho criait à M. Harnack :

« Après tout, pour vous comme pour moi, le

Christ n’est rien de plus qu’un homme », M. Harnack était assez gêné.

Sur un « cas », un autre « cas » se greffait : tout de suite après l’affaire Jatho, on eut l’affaire Tuaiis. M. Traub, pasteur à Dorlmund, professait son incroyance à l’endroit du symbole ; il ne connaissait pas les « faits relatifs au salut » (ffeilsthat sache ») ; il repoussait l’idée de sacrement, l’idée de dogme. Et par surcroît, à l’occasion de l’affaire Jatho, il attaquait vigoureusement les autorités de l’Eglise. Pour éviter de donner une fois de plus à l’Allemagne religieuse le spectacle des divergences doctrinales, le consistoire de Munster affecta de ne s’occuper que des invectives de M. Traub, et de ce chef il le poursuivit disciplinairement. Les jugements rendus contre lui par le consistoire, puis par le conseil suprême évangélique, soulevèrent de violents mécontentements ; et l’on vit M. Harnack, à la veille de la Grande Guerre, se poser de nouveau en tribun de la liberté de l’enseignement et de la liberté des consciences à l’endroit des vieilles chaînes liturgiques. Un peu partout en Allemagne, une agitation se produisait pour le remaniement delà liturgie et pour une éviction, totale ou partielle, du vieux Symbole, lorsque la Guerre éclata.

IV. La réaction contre la théologie « moderne », le mouvement en faveur d’une « haute Eglise allemande ». — Quels seront, pour le protestantisme allemand et pour les diverses tendances théologiques qui y « ont en conflit, les résultats de la guerre ? Un plus grand recul serait nécessaire pour émettre à cet égard un jugement précis. Les bouleversements civils qui ont modifié la façade politique de l’Allemagne ont détruit, du même coup, les charpentes d’Etat dans lesquelles s’encadrait l’établissement religieux évangélique. Il n’y a plus d’autorités d’Etat pour maintenir, aux heures critiques, certaines apparences de cohésion, pour signifier aux orthodoxes que leurs protestations ne doivent pas dépasser certaines limites, pour signifier aux libéraux que leurs revendications doivent s’abstenir de certains excès.

Dans ces Eglises évangéliques où le principe de la l’berté d’examen s’insurge chaque fois que l’intérêt même de lacohésion de l’Eglise inspire aux autorités religieuses un acte législatif ou disciplinaire, le vieux césaropapisme, toujours exercé par le souverain territorial, était une force de conservation, et, dans une certaine mesure, un élément de cohésion ; mais désormais il a abdiqué, comme ont abdiqué les dynasties qui l’exerçaient ; les Eglises évangéliques sont devenues maîtresses de leurs destinées.

— pleinement maîtresses.

Il est curieux de constater que l’un des tout premiers résultats de cette liberté a été l’éclosion d’une € haute Eglise allemande », de ce qu’on a pu appeler

« un essai de luthéranisme catholique «.Depuis que

les Eglises elles-mêmes, représentées par leurs synodes, choisissent les pasteurs, les professeurs universitaires n’exercent plus la même influence qu’au temps où, dans ces nominations, l’Etat disait son mot. Le besoin d’une certaine objectivité doctrinale se fait sentir de plus en plus nettement. En 1917, en pleine guerre, ce besoin s’attesta par la publication que fit M. Hansen, pasteur à Altona, d’un certain nombre de « thèses », qui visaient « les erreurs et les abus de ce temps ». Il déclarait, entre autres choses, en ce quatrième centenaire des thèses de Luther, que le protestantisme n’avait aucune raison de fêler des jubiles, etqu’il devrait.bien plutôt, « faire pénitence dans un sac et dans la cendre », que « le mouvement de réforme qui eut lieu en 1 ô 1 7 donna lieu à quelques bons résultats, mais qu’il contribua beaucoup plus à empirer la situation, et que ce mouvement expulsa un diable, mais qu’il en introduisit sept, plus acharnés ». Au milieu des suprêmes convulsions de la guerre, ces thèses ne firent que peu de brait ; mais le 9 octobre 1918, à Berlin, le pasleur Hansen, trois de ses confrères et deux laïques,