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REFORME

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très universitaires qui formaient les futurs pasteurs ne pouvaient pas être asservies à des symboles, non plus qu'à des autorités d’Eglise ; et dès que les autorités de l’une des Eglises évangéliques d’Allemagne faisaient des réserves sur l’enseignement théologique d’une université, on voyait se multiplier les protestations, au nom de la liberté de la science. Lorsque, en 18y3, les surintendants généraux de Uesse Cassel dénoncèrent l’influence trop libérale exercée par les professeurs Achelis et Hermann sur les futurs pasteurs qui étudiaient à Marbourg, il y eut une telle campagne d’opinion contre leur circulaire, qualitiée de « bloc erratique ullramontain », que les autorités directrices des autres Eglises lurent peu tentées d’imiter leur exemple ; et lorsque en 189, 4 les professeurs Meinhold et Grafe soutinrent à Bonn, dans des cours de vacances, des thèses inquiétantes pour l’orthodoxie, et ripostèrent à leurs dénonciateurs en déclarant que les communautés renfermaient un certain nombre de membres fatigués de « l’apparat des dogmes », le conseil suprême évangélique se lira d’embarras par une décision passablement alambiquée où, sans les les déposséder de leur chaire, il maintint tout à la fois les droits de la liberté scientifique et la nécessité de former les serviteurs de l’Eglise. Les orthodoxes, préoccupés de cette nécessité, se plaignaient bien haut que « la conscience des étudiants fût fourvoyée par de nombreux professeurs, etqueles doctrines qu’on leur faisait absorber les rendissent impropres au ministère ecclésiastique. » Alors, pour remédier à cette détresse et pour faire contrepoids à l’enseignement des professeurs libéraux auxquels il n’osait toucher, l’Etat créait à côté d’eux, dans les universités de Bonn et de Marbourg, deux chaires confiées à des professeurs orthodoxes ; les libéraux, ricanant, qualifient ces deux professeurs de Strafprofessoren (professeurs de châtiment), et leur enlevaient à l’avance tout ascendant.

Y a-t-il deux vérités ? questionnait l’orthodoxe Gazette de la Croix ; y a-t-il une vérité que l’Eglise enseigne ? une vérité que les professeurs enseignent ?

Et inversement, M. Harnack, observant que depuis cinquante ans l’Eglise évangélique laissait contester la naissance miraculeuse de Jésus, demandait : Pourquoi tant de tempêtes lorsqu’on conteste cette naissance à l’occasion d’un article du Symbole ? Doit-il y avoir une double vérité ? doit-on voiler dans l’Eglise évangélique la connaissance historique ?

Dans le libéralisme comme dans l’orthodoxie, la même question se posait ; et cette question montrait les tourments intérieurs du protestantisme allemand. La parole de l’empereur, la parole du Conseil suprême, étaient impuissantes à y mettre un terme. En 1899, le pasteur "Wiungaut, d’Osnabiuck, était officiellement privé de sa charge, parce que, dans un sermon pascal, il s'était mis en opposition avec le symbole de l’Eglise. Derechef l’Allemagne protestante s’agitait. Pourquoi ne pas distinguer, disait à Dresde le pasteur Sulzk, entre la « foi au salut » (Heilsglauben) dans laquelle l’Ame de chaque prédicateur doit être enracinée, et les formules doctrinales, instigatrices de débats tbcologiques auxquels la communauté chrétienne doit d ci n curer étrangère ? Et le pasteur Hadb, chef et représentant du groupe de théologiens de la Christliche ll’clt, qui incarnaient de plus en plus activement la tendance libérale, soutenait en substance que c’est aux pasteurs de s’excommunier eux-mêmes, s’ils se jugent, en conscience, trop éloignés de la foi de leur communauté, et que, si l’Eglise protestante persistait à vouloir frapper elle-même ses pasteurs pour infi délité à la « pure doctrine », il lui fallait posséder une autorité qui fixât cette doctrine.

Dans les premières années du vingtième siècle, les t affaires », les « cas » (facile), comme on dit outre-Rhin, allèrent se multipliant. Et le conseil supérieur évangélique de Berlin, le 8 février 1907, dans un rescrit d’une particulière àpreté, blâma ces agitations constantes comme un déshonneur pour le christianisme, et comme un péril pour l’Eglise territoriale, c’est-à-dire pour « le seul cadre qui permette de maintenir, dans l’ensemble delà vie populaire, l’ascendant du christianisme évangélique ». Deux ans plus tard, fatigué de ces bagarres doctrinales, le conseil supérieur évangélique cherchait à se libérer lui-même de toute responsabilité. Il profitait de la tenue d’un synode général en 1909 pour régler d’une façon nouvelle la procédure à laquelle donneraient lieu, désormais, les défaillances doctrinales des professeurs. De par le nouveau règlement, des doctrines erronées cessèrent de pouvoir être imputées à faute, et de pouvoir entraîner des pénalités. C’en étaitfait delà procédure disciplinaire à laquelle jusque là elles donnaient lieu ; désormais, lorsqu’un enseignement seraitsignalé comme incompatible avec la parole de Dieu, contenue dans l’Ecriture Sainte et répercutée dans les Symboles, un tribunal d’Eglise examinerait, en fait, si, oui ou non, la position prise par le pasteur à l’endroit de la confession de foi de l’Eglise demeurait compatible avec la continuation de son ministère. Si l’incompatibilité était reconnue par le tribunal, ce verdict n’avait nullement l’aspect d’un châtiment, car l’ecclésiastique qui serait l’objet d’un tel verdict devait toucher, sur les fonds de l’Eglise évangélique, une pension correspondante à son traitement denaguère.

Peu de mois s'écoulèrent avant qu’on eût à faire usage de cette procédure nouvelle, et toute l’Allemagne se mil aux écoutes, pour épier la façon dont seraient sauvegardés, tout à la fois, le principe de la liberté d’examen et l’intégrité des symboles. Après de multiples tentatives pour l’assagir, le Conseil supérieur évangélique avait prévenu le pasteur Karl Jatho, de Cologne, qu’il paraissait y avoir contradiction entre ses idées sur Dieu, sur le péché, sur l’immortalité, et la foi de sa communauté, et qu’un tribunal d’Eglise devait apprécier. M. Jatho s’expliqua sans difliculté. Ce pasteur déclara qu’il se refusait à admettre un Dieu extérieur au monde, qu’il se refusait à admettre, dans le temps, un acte créateur. La vie, pour lui, vie collective et vie individuelle, vie organique et vie inorganique, vie spirituelle etvie corporelle, c'était la plénitude de la divinité. Une idée de Dieu qui fût approuvée par son Eglise, M. Jatho considérait cela comme un accessoire ; l’essentiel, pour lui, c'était de s’assimiler Dieu par la prédication. Il n’attribuait à la personnalité du Christ qu’un rôle exclusivement pédagogique ; l’idée du péché, celle de la rédemption, lui paraissaient incompatibles avec la noblesse de la nature humaine. Quant aux fins dernières, quant à notre survie outre-tombe, M. Jatho avouait ne posséder, là-dessus, aucune certitude. D’un bout à l’autre de l’A lleniagne.leslibéraux avancés s’enflammèrent pour le pasteur Jatho, vantant ses extraordinaires dons oratoires et son anima candida ; certains aspects de sa personnalité religieuse désarmaient les orthodoxes eux-mêmes, qui cependant estimaient que dans une ville comme Cologne, où les catholiques observaient, il était profondément regrettable de donner l’exemple d’une pareille anarchie doctrinale. A l’avance, certains libéraux attaquaient, comme une sorte d’inquisition, le tribunal qui devait se prononcer sur M. Jatho. Ce trilmnal